En Tchéquie, l’antisémitisme en hausse, essentiellement dans l’espace virtuel
Comme tous les ans, la Fédération tchèque des communautés juives a publié son rapport annuel sur l’antisémitisme qui constate une hausse des manifestations d’antisémitisme dans le pays - 4 328 incidents en 2023, contre 2 277 l’année précédente – essentiellement dans le monde virtuel, et tout particulièrement sur les réseaux sociaux. Une tendance notable surtout depuis le massacre du 7 octobre en Israël.
Selon le rapport de la Fédération tchèque des communautés juives, le nombre de manifestations verbales antisémites a augmenté de 90 % en Tchéquie l’an dernier, à la suite de l’attaque terroriste du Hamas du 7 octobre et du début des représailles israéliennes à Gaza. D’octobre à décembre dernier, 1 800 incidents ont été enregistrés, soit près de 42 % du total, constate Petr Papoušek, président de la Fédération :
« Dès les deux ou trois premiers jours qui ont suivi l'attaque du Hamas, nous avons constaté une énorme augmentation de ce genre de manifestations et déclarations. Cela correspond à un phénomène que nous avons vu dans le monde entier. En même temps, il faut dire qu’en Tchéquie, les chiffres sont en hausse depuis 2019. »
La majeure partie de ces incidents s’est déroulée dans l’environnement virtuel : 98 % de ces propos ont été tenus sur Internet :
« Il s’agissait de différents textes, images ou fichiers audio et vidéo. On les a repérés sur une grande partie du réseau, notamment dans les commentaires. Heureusement, il n'y a pas eu d’agressions physiques. Mais les propos deviennent plus agressifs, il y a plus de menaces et de harcèlement sur Internet. »
Ces déclarations antisémites ont été publiés principalement sur des plateformes de désinformation, mais aussi dans des discussions et des commentaires sous des articles de médias « mainstream ». Hors de la sphère virtuelle, le nombre d’incidents dans les espaces publics a également augmenté l’année dernière, selon le rapport annuel. La Fédération des communautés juives a enregistré 57 incidents de ce type, soit une augmentation de 25 % par rapport à 2022. Dans la plupart des cas, il s’agissait de discours prononcés lors de manifestations, de rassemblements, de débats ou de conférences.
Trois manifestations pro-palestiniennes ont eu lieu en Tchéquie au mois d’octobre, mais aucune n’a donné lieu à d’attaques violentes graves. Toutefois, selon Petr Papoušek, des appels à faire disparaître Israël de la carte du monde et au génocide de ses habitants ont également été entendus lors de ces manifestations. Interrogé par le site Aktualne.cz, le politologue Jan Charvát, spécialiste de l’extrémisme politique, des violences contre les citoyens juifs ne sont pas pour autant à exclure en Tchéquie à l’avenir. En cause, selon lui, le fait qu’il n’y ait pas eu de débat public sur la question d’Israël et de la Palestine dans le pays après 1989 à l’avenir. Depuis la révolution de Velours, tous les gouvernements au pouvoir se sont positionnés comme des alliés indéfectibles de l’Etat juif, dans la lignée d’une tradition masarykienne interrompue par près d’un demi-siècle de communisme, et reprise par le premier président de la Tchécoslovaquie démocratique, Václav Havel.
Malgré tout, la Fédération des communautés juives estime que la situation dans le pays reste modérée et la situation moins inquiétante que dans d’autres pays plus à l’ouest de l’Europe, comme le souligne son secrétaire, Michael Pelíšek :
« Je peux vous dire que la Tchéquie est l’un des endroits les plus sûrs au monde pour la communauté juive ou le peuple juif. Les Juifs se sentent beaucoup plus en sécurité en Tchéquie que partout ailleurs en Europe. Il y a de nombreuses raisons à cela. Certaines sont rationnelles, historiques, d’autres sont plus difficiles à comprendre. Mais c’est ainsi que les Juifs se sentent dans le pays. »
Dans le passé aussi, un antisémitisme présent en pays tchèques
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Si la Tchéquie a en effet renoué depuis 35 ans avec la tradition masaryko-havélienne évoquée plus tôt, cette réalité ne doit pas en faire oublier une autre, moins glorieuse : l’affaire Leopold Hilsner, souvent considérée comme l’affaire Dreyfus de Bohême, a également ébranlé la société tchèque en son temps. Tout comme Dreyfus eut son Zola, ce jeune Juif accusé à tort du meurtre d’une jeune fille chrétienne eut le penseur Tomáš G. Masaryk, comme défenseur acharné. Celui qui deviendra plus tard le premier président de la Tchécoslovaquie indépendante n’a jamais caché son soutien au projet sioniste de fonder un Etat juif en Palestine, alors sous mandat britannique. Pour preuve sa mémoire est aujourd’hui toujours rappelée en Israël : au nord-est du pays, se trouve Kfar Masaryk, un kibboutz fondé dans les années 1930 par des migrants tchécoslovaques et lituaniens.
Il y a deux ans, une exposition à Liberec retraçait l’histoire de l’antisémitisme en pays tchèques, une histoire qui n’a rien à envier aux pires manifestations vues dans d’autres pays. Comme le rappelait récemment un historien à la Radio tchèque, l’héritage de Masaryk n’a pas empêché le développement de tropes antisémites dans l’entre-deux-guerres, attisés par la montée du nazisme.
Un exemple marquant : le grand acteur Hugo Haas renvoyé en février 1939 du Théâtre national de Prague, quelques mois après l’annexion des Sudètes, mais avant l’occupation totale de la Tchécoslovaquie effective en mars 1939…
Après l’arrivée au pouvoir du parti communiste, et surtout après le changement radical de la doxa stalinienne sur Israël, la Tchécoslovaquie aussi a connu une nouvelle vague d’expression antisémite : les grands procès politiques autour de Rudolf Slanský, comportent une importante dimension antisioniste et antisémite. Elle est due au retournement de l’URSS sur Israël, après avoir soutenu, à l’instar de la Tchécoslovaquie, diplomatiquement et militairement sa lutte pour conquérir son indépendance. A l’époque, les caricatures antisionistes – comprendre : antisémites – se multiplient dans les journaux communistes tchécoslovaques, certains auteurs de ces dessins d’un autre temps continuant d’officier jusque dans les années 1980…
Les auteurs du catalogue de l’exposition de Liberec notent toutefois que depuis 1989 en effet, les manifestations d’antisémitisme ont d’autant plus diminué que la politique officielle vis-à-vis d’Israël a changé, avec une vague d’intérêt générale pour la redécouverte de la culture et du patrimoine juifs. De manière tristement classique, les manifestations de l’antisémitisme renaissent avec les crises sociétales, nombreuses ces dernières années, montrant que les peurs irrationnelles conduisent à chaque époque certains à construire un ennemi imaginaire.