Le destin du résistant Veleslav Wahl revit grâce à la réédition de son livre sur les oiseaux de Prague
Un jour avant son exécution en 1950, Veleslav Wahl exprima un dernier vœu : voir son livre consacré aux oiseaux de Prague réédité. 80 ans après sa première édition, c’est désormais chose faite cette année avec, en plus, un hommage à la personnalité de cet ornithologue, résistant contre le régime nazi puis contre le régime communiste qui le condamna à la peine capitale.
Rédigé en 1944 sous le Protectorat de Bohême-Moravie, le livre Les Oiseaux de Prague de Veleslav Wahl, réédité fin 2023 et qui a été désigné « plus beau livre de l’année », n’est pas un ouvrage comme les autres. C’est en effet un très beau livre, mais sa version contemporaine ouvre aussi une fenêtre sur le destin brutalement interrompu de son auteur. Veleslav Wahl n’était pas simplement un jeune étudiant en droit, en réalité bien davantage passionné d’ornithologie au point d’être assistant au zoo de Prague d’alors. Il a également connu le tragique destin de nombre de ses compatriotes tchécoslovaques opposés au régime communiste mis en place en 1948, et exécuté pour ses convictions et ses actions.
Petr Voříšek est le directeur de la Société ornithologique tchèque et rappelle comment est née l’idée de la réédition, complétée par la biographie complète de son auteur :
« Dans les années 1990, je suis tombé sur le testament de Veleslav Wahl, rédigé la veille de son exécution. Depuis, je n’ai cessé de penser à lui et à son livre. Un autre élément déclencheur a été l’ouvrage de l’ornithologue polonais Eugeniusz Nowak, qui a rédigé les biographies de différents biologistes, principalement d’ornithologues, qui vivaient sous les deux régimes totalitaires. Un court chapitre de son livre est consacré à Wahl. J’ai été frappé de voir que dans la plupart des cas, les scientifiques ont collaboré avec les régimes, parce qu’ils étaient passionnés d’ornithologie et qu’ils voulaient continuer à faire ce qu’ils aimaient. Mais l’histoire de Wahl est tout à fait différente. C’était un ornithologue très talentueux et passionné, mais il avait aussi une vision très claire de ce qui était juste et de ce qui ne l’était pas. »
Veleslav Wahl est né à Prague en 1922 dans une famille de la bourgeoisie. Son père était un avocat réputé, qui a participé activement à la résistance contre les nazis, tout comme son oncle. En 1942, tous deux été exécutés par les autorités d’occupation. Wahl lui-même travaillait comme assistant du directeur du zoo de Prague, mais il était également actif dans la résistance antinazie. Le jeune homme a donc exercé de manière concomitante plusieurs activités exigeantes et a priori incompatibles : travailler au zoo, écrire son livre sur les oiseaux de Prague et, en même temps, diriger un groupe de résistants. À la fin de la guerre, ce groupe comptait plus de 1 000 membres, pour la plupart des scouts, qui fournissaient des renseignements au gouvernement tchécoslovaque en exil à Londres et qui ont activement participé à l’insurrection de Prague. Veleslav Wahl était le plus jeune membre du Conseil national tchèque au moment du soulèvement le 5 mai 1945.
Après la guerre, il est décoré pour ses actes de résistance, entame des études de droit et de sciences naturelles, tout en poursuivant ses activités ornithologiques. Son engagement politique ne faiblit pas. De résistant anti-nazi, il devient tout naturellement résistant anti-communiste :
« Sous l’occupation nazie, Wahl est devenu un ami très proche du major Jaromír Nechanský, un soldat formé au Royaume-Uni pendant la guerre et parachuté en Tchécoslovaquie au début de l’année 1945. Ils étaient en contact avec des membres de l’ambassade américaine et ont commencé à mettre en place un réseau de renseignements en vue d’un éventuel conflit militaire entre l’Ouest et l’Est. En 1949, une personne de ce réseau a été démasquée et cela a eu un effet domino. Wahl et Nechanský ont été arrêtés en septembre 1949. Lors de leur procès au printemps 1950, ils ont été accusés d’avoir mis en place un réseau pour le compte des États-Unis. Certains de ces diplomates américains ont été contraints de quitter le pays, mais ceux qui ont le plus souffert sont Wahl et Nechanský. »
Exécuté le 16 juin 1950, malgré de nombreux appels à la clémence, son corps est incinéré au crématorium de Strašnice, où l’urne contenant ses cendres est conservée avant d’être déplacée dans un entrepôt de la prison de Pankrác, où elle a disparu sans laisser de traces. Aujourd’hui, Veleslav Wahl a, comme tant d’autres prisonniers politiques victimes du régime, une pierre tombale symbolique à son nom au cimetière de Ďáblice. Sa jeune épouse Taťana Wahlová-Růžičková écopera de onze ans de prison pour les activités de résistance de son mari défunt.
Son nouveau livre, agrémenté de nouveaux éléments comme des photos, sa biographie, de nouveaux dessins en plus de ceux d’origine et d’une actualisation puisqu’il couvre la période 1880-2000, est le résultat d’un gros travail de réédition. Il permet également, selon Petr Voříšek, de redécouvrir combien Veleslav Wahl était précurseur dans le domaine de l’ornithologie :
« En raison de sa complexité, son livre Les Oiseaux de Prague est vraiment une référence. A l’époque, les ornithologues ne s’intéressaient pas vraiment aux habitats urbains, mais se rendaient à l’extérieur de la ville pour étudier la nature. Wahl a été l’un des premiers à s’intéresser à l’urbanisation. Il ne s’est pas contenté de décrire les oiseaux dans les villes, il a également développé une réflexion sur le processus d’urbanisation et l’adaptation des oiseaux à l’environnement urbain. Le livre contient également des réflexions très impressionnantes sur la conservation de la nature. Aujourd’hui, il existe une législation européenne sur ce qu’on appelle la ‘restauration de la nature’, mais Wahl proposait déjà de telles mesures il y a 80 ans. Par exemple, il défendait l’idée qu’au lieu de se contenter de protéger les oiseaux, on se concentre sur la conservation de leurs habitats. C’était quelqu’un de très innovant et de visionnaire. Malheureusement, en raison de son destin tragique, il n’a pas eu l’occasion de développer davantage ses compétences et ses idées. »
A noter qu’aujourd’hui, le nom de Veleslav Wahl est rappelé sur le lieu de sa dernière adresse, grâce à un projet mémoriel éponyme : en 2014, une plaque a été apposée sur la façade de l’immeuble pragois où le jeune ornithologue et résistant a passé les derniers mois de sa vie, avant d’être broyé par la machine totalitaire.