Notes de prison de Milada Horaková
Les Archives nationales ont livré un témoignage unique : les notes de prison de Milada Horaková, écrites avant sa mort, le 27 juin 1950, suite à un procès monstre, par une certaine Vlasta H., agente de la police secrète, la StB. Retrouvées par hasard par l'historien Karel Kaplan, ces notes fournissent un témoignage précieux sur les dernières journées et heures de Milada Horakova en prison...
« Les 43 pages tapées à la machine par une agente de police représentent le plus triste de tout ce qui ait jamais été écrit pour la StB, » dit l'historien Karel Kaplan. La fausse co-prisonnière de Milada Horaková, en réalité une agente secrète, décrivait les sentiments, le comportement, les opinions et les réactions de cette femme exceptionnelle. Milada Horaková, docteur en droit, membre du parti national social, femme politique et députée, avait organisé pendant la guerre les départs de milliers de familles des Sudètes vers l'intérieur du pays. Emprisonnée à Terezín, elle a échappé de justesse à la peine capitale prononcée contre elle par le tribunal de Dresde. En 1949, elle a été arrêtée et jugée avec quatorze autres personnes dans un procès dirigé par les conseillers soviétiques. Accusée de haute trahison et d'espionnage, Milada Horaková a été condamnée à mort par pendaison.
Le 17 novembre 2005, la Radio tchèque a diffusé des enregistrements authentiques et jusqu'alors inédits du procès de Milada Horaková. Pour la première fois depuis 55 ans, on a pu entendre les dernières paroles du plaidoyer prononcé par cette femme courageuse. Sa voix claire et forte avec laquelle elle a fait face aux inculpations mensongères, témoignait de ce qu'elle était restée ferme et fidèle à ses convictions. Peu après la découverte d'une caisse poussiéreuse contenant trois bandes sonores avec l'enregistrement des dernières minutes du procès de Milada Horakova, les Archives nationales ont rendu publique un autre témoignage : les notes de prison de Milada Horakova :
« Elle ne cesse de s'occuper du problème d'être condamnée à mort par pendaison. Lorsque j'ai essayé de la dissuader de cette idée, elle m'a dit s'être réconciliée avec son sort, que seul Dieu décide d'elle et que sa décision sera l'unique juste. Elle a dit aussi que la peine de mort serait meilleure qu'une peine à perpétuité »
lit-on sur la page deux rédigée par l'agente de la StB. C'était une pratique courante de la police de faire suivre les condamnés à mort par des indicateurs appelés, dans la terminologie de l'époque, les référents, et dirigés directement par les enquêteurs. L'indicatrice de Milada Horaková a été envoyée dans sa cellule le 23 avril 1950 pour y rester jusqu'à l'annonce du verdict, le 8 juin 1950. Selon l'historien Kaplan qui a préféré de ne pas révéler son nom, cette femme, Vlasta H., faisait partie de l'équipe de la rédaction pragoise du quotidien communiste slovaque Pravda. En 1949, elle a été condamnée à 12 ans de prison. Tout d'abord, Milada Horaková était surprise par sa présence et ne lui faisait pas entièrement confiance. Elle n'arrivait pas à comprendre pourquoi cette femme, déjà condamnée, se trouvait avec elle dans la cellule de détention.
La question que l'historien se pose est de savoir dans quelle mesure les notes de prison écrites sur commande de la police secrète peuvent être dignes de foi. La manière dont les agents ont interprété ce qu'ils ont écouté ne devait pas toujours être précise et objective, mais le contenu ne devait pas s'éloigner de la réalité, dit-il. La tâche de l'agente était de poser à Milada Horaková des questions, de lui demander ses opinions et de suivre ses réactions, à chaque fois qu'elle retournait dans la cellule après un interrogatoire.
Le plus émouvant parmi ces notes est la réaction de Milada Horakova lorsqu'elle reçoit une lettre de sa fille, confie l'historien Karel Kaplan. A partir de cette lettre, Milada Horaková a déduit que son mari était mort, ce qui n'était pas vrai, et elle a eu beaucoup de mal à l'accepter. L'agente Vlasta H. a décrit de la manière suivante cette situation :
« La lettre qu'elle a reçue de sa fille ne cessait de l'inquiéter. Elle refusait de croire que son mari ait pu partit en exil - une possibilité qu'elle avait, elle-même refusée, elle en a donc déduit qu'il était mort. Après avoir lu cette lettre, elle a passé une nuit blanche. Pâle et les traits tirés, elle m'a dit, le matin, qu'elle avait beaucoup réfléchi sur elle et sur la tragédie de toute sa famille. Elle avait pensé surtout à sa fille, par qui elle serait élevée, si elle venait à mourir, si ce serait sa soeur, ou son amie dont elle avait souvent parlé... »
Milada Horaková ignorait que son mari s'était exilé pour l'Amérique et que leur fille était élevée chez des proches parents. L'historien Karel Kaplan n'exclut pas que les informations fournies pas les indicateurs à Milada Horaková aient été de nature à la laisser dans l'incertitude.
Dans les notes de cellule de Milada Horakova rédigées par Vlasta H., on peut aussi lire :
« un samedi après-midi, elle m'a priée de la laisser tranquille. Elle avait l'air de quelqu'un qui est à bout de ses forces psychiques et physiques. Sa main droite était légèrement paralysée et elle n'arrêtait pas de pleurer. Ce jour-là, elle a reçu une lettre qui a confirmé ce dont elle avait eu peur pendant tous les sept mois de son emprisonnement : son père était mort, son appartement avait été liquidé, sa fille confiée aux soins de parents. Ce même jour, elle a été interrogée et le soir elle m'a dit avoir eu une crise cardiaque. Cette attaque l'a beaucoup affaiblie et plongée dans le pessimisme. Son état de santé l'inquiétait, car elle avait voulu rester ferme pendant son procès... » fin du rapport numéro neuf.
En dépit de ses problèmes de santé, Milada Horaková est restée ferme, jusqu'à la fin de son procès, ferme dans ses convictions. En témoigne une lettre écrite à sa soeur la nuit avant l'accomplissement du verdict :
« J'ai déjà tout repensé, j'ai réévalué de nombreuses valeurs, et ce qui est resté, c'est une valeur impérissable, au-dessus tout, sans laquelle je ne pourrais pas imaginer ma vie : c'est la liberté de ma conscience. »
A la question de savoir si la publication de ces notes peut nuire à la mémoire de Milada Horaková, Karel Kaplan répond par la négative : malgré les crises qu'elle a eues en prison, elle n'était pas une femme brisée. L'impression qu'elle a tout avoué n'est pas juste non plus : elle ne contestait pas avoir rencontré certaines personnes, mais elle s'est opposée à ce que cela soit qualifié de haute trahison. Elle aimait sa patrie et il était impensable pour elle d'agir contre celle-ci.