« Nous ne voulons pas que la tradition de la décoration des œufs meure avec nous »

Photo: Ondřej Tomšů

Des œufs richement décorés représentent un symbole incontournable de Pâques en République tchèque. Selon la tradition, le lundi de Pâques, les jeunes garçons fouettent les filles avec la « pomlázka », une verge de branches tressées et liées par un ruban. En échange, les filles leur offrent des œufs durs peints de différentes couleurs et bien ornés, en symbole de la fécondité et de la vie. A l’occasion de cette émission spéciale de Pâques, nous nous présentons certaines des techniques traditionnelles de la décoration des œufs qui nous sont parvenues jusqu’à nos jours.

Photo: Ondřej Tomšů

Les racines de la tradition de la décoration des œufs remonteraient à l’Egypte ancienne ou à la Rome antique. Chez les Slaves, cette coutume est néanmoins liée à de vieilles célébrations païennes de fécondité. Le tout premier œuf a été décoré sur le territoire tchèque au XIe siècle et retrouvé par les archéologues à Velké Hostěrádky, en Moravie du Sud.

Depuis le XIXe siècle, les filles (et même les garçons) peignent également des œufs vidés, appelés des « kraslice » en tchèque, qui décorent ensuite leur maison. Aujourd’hui, certains de ces œufs sont de vraies œuvres d’art et font l’objet de différentes expositions. Leurs peintres, des « malérky », se focalisent uniquement sur des techniques traditionnelles et existantes depuis plusieurs siècles déjà.

« Nulle part dans le monde cette tradition n’est aussi développée qu’en Tchéquie »

Lenka Volková,  photo: Ondřej Tomšů

Lenka Volková travaille à l’Institut de recherche en production animale à Uhříněves, dans le 22e arrondissement de Prague. Quand elle ne travaille pas, elle consacre la plupart de son temps libre à la décoration d’œufs de Pâques, une tradition qu’elle a découverte il y a douze ans de cela :

« J’avais décoré des œufs de Pâques quand j’étais à l’école primaire. Puis, j’ai complétement oublié ces méthodes traditionnelles et ce n’est qu’en 2006 que je me suis relancée. J’ai découvert que cette activité m’amuse beaucoup. Je crois en effet que nulle part dans le monde cette tradition n’est aussi développée qu’en Tchéquie. Les autres nations apprennent de nous et admirent notre art. »

Depuis 2007, Lenka Volková est membre de l’Association des peintres d’œufs de Pâques qui essaie de maintenir et de promouvoir cette tradition menacée de disparition :

« Il existe en République tchèque cinq techniques traditionnelles : la décoration à la cire, le collage de la paille, le grattage, le collage de la moelle du jonc et le batik. Moi, je maîtrise trois de ces techniques, ce qui est beaucoup. »

La plus répandue et, à en croire Lenka Volková, également la plus facile, est la décoration à la cire. C’est cette technique en particulier que l’artiste propose de découvrir régulièrement au large public. Durant les semaines précédant Pâques, elle organise également des cours destinés aux élèves de différentes écoles primaires.

Photo: Ondřej Tomšů

Les écoliers d’Uhříněves, âgés de 9 à 10 ans, ont eu l’occasion de découvrir la décoration à la cire pour la deuxième fois déjà.

Après s’être initié à cette technique sur un premier œuf d’essai, les élèves ont pu commencer à créer différents motifs selon leur propre volonté : des fleurs, des gouttes, des étoiles ou encore l’inscription « Joyeuses Pâques ». Mais quel équipement à part des œufs vidés faut-il avoir afin de pouvoir se lancer dans la décoration ? Un des petits peintres cite :

« Il nous faut une craie de cire que nous faisons fondre dans une cuillère installée au-dessus d’un réchaud à alcool ou d’une bougie. Et aussi un crayon dans lequel nous enfonçons une épingle que nous trempons dans la cire et à l’aide de laquelle nous pouvons dessiner. »

« Décorer un œuf à la paille prend environ huit heures »

Lenka Volková a elle-même commencé par la décoration d’œuf à la cire. Sa technique par excellence, c’est néanmoins le collage de la paille pour lequel elle a même été récompensée du titre Maître de l’art populaire dans le domaine de la décoration des œufs, une distinction décernée par des ethnologues. Et c’est un titre sûrement bien mérité car, comme elle l’explique, il s’agit d’une technique extrêmement difficile et demandant beaucoup de patience :

Lenka Volková,  photo: Ondřej Tomšů

« Le collage de la paille représente une technique très exigeante au niveau du temps. Les préparatifs commencent en été déjà car il est nécessaire de cueillir la paille. Nous utilisons de la paille d’orge, de seigle et d’avoine. Comme la paille mûrit, elle change de couleur. Je me rends donc régulièrement dans les champs afin de cueillir de la paille de différentes teintes. Je fais surtout des motifs floraux, et notamment un épi qui est comme ma signature d’après laquelle les collectionneurs peuvent reconnaître mes œuvres. Mais je fais aussi des motifs géométriques. Ensuite, la paille peut être stockée chez vous et vous pouvez l’utiliser tout au long de l’année. Quant à la décoration, vous devez mettre la paille dans l’eau, l’ouvrir avec des ciseaux et la défroisser de la même manière que l’on fait boucler un ruban avec des ciseaux. Ce n’est qu’après que je peux couper différents motifs et les coller sur l’œuf. »

Traditionnellement, les motifs variaient selon les régions et se transmettaient d’une génération à l’autre. Leurs auteurs déménageant souvent, ces variantes locales ont toutefois quasiment disparues. D’autres motifs sont pour leur part oubliés et ne sont à découvrir que dans les musées. Le motif le plus traditionnel reste toujours une étoile, le symbole du bonheur. Les étoiles décorent également de nombreux œufs de Lenka Volková :

« La décoration à la paille prend beaucoup de temps. Un œuf de poule prend environ huit heures, un œuf d’oie environ douze heures et un œuf d’autruche près de quinze jours. »

Photo: Ondřej Tomšů

Même les couleurs utilisées pour la décoration des œufs obéissent à des règles strictes. Selon la tradition, les œufs ne peuvent jamais être de couleur bleu clair car c’est une couleur de deuil. A côté des œufs jaunes (symbole du soleil), verts (symbole du bonheur) et noir (symbole de la terre), les œufs sont traditionnellement peints notamment en rouge, couleur qui symbolise le sang du Christ et la vie. Les peintres utilisent aussi bien des colorants chimiques que naturels, comme la pelure des oignons, la betterave rouge ou les noix.

Les œufs de Lenka Volková sont traditionnellement rouges et décorés à la cire blanche ou à la paille non-colorée. D’après la peintre, il n’existe toutefois aucun manuel et les artistes doivent inventer leurs techniques en observant leurs collègues plus expérimentés :

« Moi, j’ai appris ces techniques par moi-même. J’ai vu quelques exemples et j’en ai déduit comment faire. Je ne sais même pas s’il existe une méthode ‘correcte’, je crois que chacun a sa manière propre. Ce qui est important pour toutes les techniques, c’est de savoir comment travailler avec l’espace, si vous voulez diviser la surface de l’œuf en deux, trois ou quatre parties et comment vous voulez y placer vos motifs. »

La dernière technique employée par Lenka Volková est la décoration à la moelle du jonc, une matière spongieuse, blanche comme la neige :

« Le jonc est cueilli entre octobre et janvier. Vous devez bien évaluer si la plante est déjà mûre afin de pouvoir sortir sa moelle, ce qui se fait à l’aide d’une allumette. Pour créer différents motifs, cette moelle se colle sur l’œuf en combinaison avec des morceaux du ruban rouge. »

« En Chine, nous ne célébrons pas Pâques »

Photo: Ondřej Tomšů

Qu’il s’agisse d’une technique plus facile ou d’une méthode plus exigeante, les débuts demandent toujours beaucoup d’efforts. C’est ce que confirment d’ailleurs les élèves d’Uhříněves qui ont créé pendant cette heure en compagnie de Lenka Volková entre quatre et six œufs décorés. La plupart d’entre eux affirment également qu’ils veulent continuer chez eux et apprendre également d’autres techniques traditionnelles. Alors que la plupart des élèves ont répondu à notre question de savoir comment était le cours par un simple ‘super’, un des garçons a ajouté :

« La décoration des œufs me plaît beaucoup. Nous avons visité ce cours l’an dernier déjà et je trouvais cette coutume très amusante. »

Pour Jája, fille aux origines chinoises, le cours de Lenka Volková représentait la toute première occasion de se familiariser avec cette tradition tchèque :

« C’est difficile pour moi car je ne fais jamais ça à la maison. En Chine, nous ne célébrons pas Pâques. »

Photo: Ondřej Tomšů

Les institutrices Věra et Draha, qui ont accompagné leurs élèves au Musée d’Uhříněves où le cours a eu lieu, ont également apprécié cette possibilité :

Věra : « Les enfants ont beaucoup aimé ce cours l’an dernier. Ils étaient donc très contents à l’idée de le refaire cette année. De plus, ils connaissaient déjà cette technique et savaient donc quoi faire. »

Draha :« Oui, ils étaient très enthousiastes et se sont inspirés pour la décoration des œufs à domicile. Je trouve que nous devrions promouvoir ces traditions car elles font partie de nos racines culturelles. »

A Libotenice, la Galerie des œufs décorés

En effet, bien que la tradition de la décoration d’œufs par ces cinq techniques reste toujours vivante, notamment en Moravie, le nombre de peintres qui s’adonnent à cette activité baisse sans cesse, les familles souvent préférant décorer leurs œufs avec de simples autocollants. L’Association des peintres des œufs de Pâques regroupe aujourd’hui un peu moins de 200 membres seulement. Lenka Volková :

« Je crois que cette tradition devrait se transmettre d’une génération à l’autre. Au départ, j’ai donné des cours au siège de l’association et puis j’ai commencé à donner des cours aux enfants. Nous sommes peu nombreux qui maîtrisons ces techniques traditionnelles et nous ne voulons pas que cette tradition meure avec nous. »

Les œufs décorés par les membres de l’association sont souvent présentés dans le cadre de différentes expositions. Lenka Volková expose ainsi ses chef-d ’œuvres plusieurs fois par an, par exemple à l’occasion de la grande exposition organisée chaque année au moment de Pâques à Kraslice, en Bohême de l’Ouest. Une Galerie d’œufs décorés a également ouvert ses portes à Libotenice, dans la partie nord de la Bohême :

Photo: Ondřej Tomšů

« Pour l’Association des peintres des œufs, j’ai fabriqué dix-huit œufs rouges décorés à la paille et ayant chacun un motif différent. Cela m’a pris cinq ans. Ils sont présentés dans une vitrine. Par ailleurs, j’avais déjà créé trois autres vitrines avec des œufs décorés à la cire. Ces vitrines sont exposées à la Galerie d’œufs décorés à Libotenice. »

Unique en son genre dans le pays, cette galerie organise des expositions à travers toute la République tchèque. Ses locaux à Libotenice sont ouverts sur rendez-vous tout au long de l’année et exposent quelque 2 000 œufs décorés. Les visiteurs peuvent également en apprendre plus sur ces différentes techniques grâce à des démonstrations pratiques. Un endroit idéal donc pour tous ceux qui souhaitent découvrir cette tradition centenaire et s’inspirer pour la création de leurs propres œufs décorés.

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