Pandora Papers : « C’est à Andrej Babiš d’apporter des réponses aux questions que nous posons »
Retour sur les Pandora Papers, cette enquête internationale selon laquelle le Premier ministre tchèque Andrej Babiš, également fondateur du groupe Agrofert et actuellement en pleine campagne électorale, aurait omis de mentionner dans sa déclaration de patrimoine l’existence de structures offshore qui détiennent plusieurs propriétés luxueuses pour une somme totale d'environ 15 millions d'euros à Mougins, sur la Côte d'Azur française, des biens acquis après un montage financier compliqué. Pour en parler Radio Prague Int. a joint Pavla Holcová, fondatrice du Centre de journalisme d'investigation, investigace.cz, qui a publié l’article concernant le Premier ministre tchèque, et lui a demandé comment son site s’est retrouvé membre du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) :
« Nous avons été invités à y participer il y a plusieurs années. A l’époque, nous enquêtions sur une autre affaire où des personnalités influentes achetaient des projets immobiliers à Wall Street. Nous avons étudié chaque appartement de luxe, pour savoir qui était propriétaire et si ces personnes n’avaient pas utilisé, pour leur achat, de l’argent détourné de fonds publics comme ça avait été le cas pour certains ressortissants russes. Nous avons collaboré, puis quand il a fallu s’adresser à des journalistes tchèques dans d’autres affaires qui ont vu le jour comme LuxLeaks ou Panama Papers, ils ont fait appel à nous. »
Quelle a été votre réaction lorsque le nom d’Andrej Babiš est apparu dans ces documents confidentiels transmis par une source anonyme à l’ICIJ, provenant des archives de quatorze cabinets spécialisés dans la création de sociétés offshore dans les paradis fiscaux ?
« Justement, au tout début, j’étais relativement sceptique lorsque qu’il m’ont appelée. J’ai dit que notre Premier ministre ne faisait pas mystère du fait qu’il était propriétaire de ces biens immobiliers et que l’histoire ne reposait pas sur le fait qu’il essayait de les dissimuler. Mais progressivement, nous avons réalisé que le problème était un peu différent : la question était plutôt, où a-t-il pris ces 15 millions d’euros ? »
En quoi consiste exactement le montage financier qui est en cause ici et dont vous dites qu’il a toutes les apparences d’une opération de blanchiment d’argent ?
« La question qui demeure est la suivante : pourquoi Andrej Babiš a-t-il eu recours à un système aussi complexe pour faire l’acquisition de biens immobiliers en France ? Pourquoi n’a-t-il pas acheté ces biens directement ? Soit c’est parce qu’il voulait faire réduire les droits de mutation pour l’achat de ces biens en France, auquel cas il s’agirait d’un délit fiscal. Ou bien il voulait cacher le fait qu’il possédait cette somme de 15 millions d’euros. Ces questions que nous posons sont celles auxquelles Andrej Babiš doit répondre lui-même puisqu'il est le seul à pouvoir prouver ses propos avec des documents. Il est possible de trouver des réponses à ces questions, mais c’est du ressort de la police avant tout. En tant que journalistes, nous n’avons pas accès aux comptes d’Andrej Babiš. »
Une journaliste d’investigace.cz s’est rendue en France, dans cette petite ville de l’arrière-pays cannois, Mougins. C’est une région qui est connue pour ses propriétés de luxe. Qu’est-ce que vous avez pu apprendre sur place ?
« Ma collègue Zuzana Šotová a fait le déplacement dans la région. Elle s’est rendu compte que personne ne connaissait Andrej Babiš sur place. Que même les jardiniers qui s’occupent de son jardin n’ont aucune idée de l’identité de leur employeur et qu’il s’agit du chef du gouvernement tchèque. Personne ne savait non plus que non loin de là, il avait été propriétaire du restaurant Paloma. »
Lundi, la police tchèque a fait savoir qu’elle allait agir, entre autres, concernant cette affaire du Premier ministre tchèque. Que peut-il se passer et cela peut-il impliquer une coopération entre police tchèque et autorités françaises ?
« Je pense que la police française devrait absolument être impliquée dans cette affaire. J’espère bien qu’il y aura une coopération. Je ne pense pas cela dans le mauvais sens du terme et que cela signifie automatiquement que le Premier ministre tchèque a effectivement commis un crime, mais dans le bon sens : si en effet, il n’a rien commis, c’est une occasion pour lui de s’expliquer et de le prouver. »
Mercredi dernier, plusieurs journalistes étrangers, dont une des auteurs de l’article d’investigace.cz, ont été refoulés de la conférence de presse conjointe entre Andrej Babiš et Viktor Orbán. Rétrospectivement, cette interdiction prend un sens très différent, maintenant que l’on sait que la plupart d’entre eux travaillaient sur les Pandora Papers…
« En effet, on ne nous a pas laissés entrer à la conférence de presse car Andrej Babiš savait quelles questions nous voulions lui poser. Nous lui avons fait parvenir des questions extrêmement précises deux semaines à l’avance, avant la publication de notre article, justement pour qu’il ait le temps d’y répondre. »
Que s’est-il passé exactement avec Hana Čápová, la journaliste qui a essayé de lui parler au sortir de la conférence de presse ?
« Nous savions qu’il était très important qu’Andrej Babiš puisse bénéficier d’un espace pour s’exprimer. En même temps, nous savons qu’en raison de sa fonction, il a peu de temps, donc ce temps, deux semaines, nous le lui avons donné. Nous avons décidé que comme nous n’avions pas la possibilité d’assister à la conférence de presse, ni à la suivante, nous allions essayer de lui parler en personne lorsqu’il sortirait de sa voiture. Notre collègue Hana Čápová lui a posé une question, mais nous n’avons jamais eu de réponse. Les gardes du corps du Premier ministre l’ont bousculée et lui ont dit de partir. »
300 autres Tchèques sont également concernés par ces Pandora Papers. Pour la Radio tchèque, vous avez dit que vous alliez rendre publics certains noms. Peut-on préciser qui sont ces Tchèques ?
« Nous n’allons pas rendre publique toute la liste. Nous allons publier un certain nombre d’autres affaires. Nous verrons combien de temps cela va durer car cela dépend si les deux personnes en question voudront répondre ou non à nos questions. Ce sont des gens influents en République tchèque, des noms connus. »
Le Premier ministre s’est défendu en parlant d’une campagne contre lui à cinq jours des élections législatives…
« On peut comprendre cela comme une tentative désespérée de se défendre. Bien sûr, j’ai du mal à imaginer que quelqu’un puisse mettre en œuvre un tel complot rassemblant 600 journalistes du monde entier qui auraient décidé de rendre publique cette affaire justement à la veille d’élections en Tchéquie. Je suis persuadée, au contraire, que des journalistes aux Philippines, en Inde ou en Amérique du Sud n’avaient aucune idée qu’un scrutin allait se dérouler dans un pays appelé la République tchèque où un certain Andrej Babiš est un des candidats. »
C’est assez rare que la République tchèque se retrouve à faire la une de journaux internationaux. Le nom et la photo d’Andrej Babiš se sont retrouvés à côté de ceux de Tony Blair ou du roi Abdallah de Jordanie. Cela est révélateur du caractère exceptionnel et de la gravité de cette affaire ?
« Oui, cette affaire du Premier ministre tchèque représente une des plus grosses affaires des Pandora Papers qui représentent un total de 12 millions de documents. Le fait qu’il s’agisse d’un Premier ministre en activité, qu’il s’agisse d’une grosse somme d’argent destinée à l’acquisition de biens immobiliers en France via un système compliqué, tout cela a contribué à en faire le centre d’intérêt majeur des journalistes étrangers également. »