Pandora Papers : derrière l’achat d’un château sur la Côte d'Azur par A. Babiš, un montage financier opaque
Selon l'enquête internationale Pandora Papers menée par de très nombreux médias étrangers et le site tchèque investigace.cz, le Premier ministre tchèque et fondateur du groupe Agrofert Andrej Babiš aurait fait transiter quelque 15 millions d'euros via des sociétés offshore qu'il a ensuite utilisés pour acheter des biens immobiliers sur la Côte d'Azur, dont le château Bigaud. A cinq jours des élections législatives, le principal intéressé, déjà visé par un audit de la Commission européenne pour une affaire de conflits d'intérêts, s'est défendu de toute malversation et évoque une campagne pour « influencer le scrutin ». Plus de 300 Tchèques dont d’anciens ministres, hommes d’affaires et autres grandes fortunes sont également visés par cette enquête.
Les Pandora Papers est une enquête collaborative menée par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) en partenariat avec 150 médias internationaux, dont le site tchèque investigace.cz. Cette enquête s'appuie sur une fuite massive de données de documents confidentiels provenant de 14 cabinets spécialisés dans la création de sociétés offshore.
L'enquête publiée le 3 octobre par investigace.cz met en lumière comment plusieurs chefs de gouvernement ont placé des avoirs dans des paradis fiscaux, notamment pour échapper à l'impôt dans leur propre pays. Parmi les personnalités incriminées : le Premier ministre tchèque, donc, mais aussi le roi de Jordanie ou encore l'ancien Premier ministre britannique, Tony Blair.
Mercredi dernier, lors de la visite du Premier ministre hongrois Viktor Orbán en Tchéquie, plusieurs médias étrangers dont le journal français Le Monde, les chaînes de télévision allemandes NDR et ARD, et deux journalistes du site investigace.cz avaient été écartés de la conférence de presse commune des deux chefs de gouvernement. Il s'avère aujourd'hui que bon nombre d'entre eux, dont ceux du site d'investigation tchèque, ont travaillé sur les Pandora Papers.
Le site investigace.cz rapporte qu'en juillet 2009, Andrej Babiš, avec l'aide du cabinet d'avocats français DB Artwell Avocats et du cabinet d'avocats panaméen Alcogal, a fait créer des sociétés de manière anonyme et discrète. « Quatre mois plus tard, il a utilisé cette structure pour transférer 15 millions d'euros d'une de ses sociétés à une autre. Il s'est essentiellement octroyé un prêt pour acheter 16 propriétés de luxe en France, dont le château Bigaud sur la Côte d'Azur », peut-on lire sur le site.
Ce sont en tout quelque 40 000 m2 de biens immobiliers divers, des parcelles dans les collines de Mougins, dans les Alpes-Maritimes, ainsi que le château et la casa Bigaud, qui sont en cause dans cette affaire.
Selon le site d'investigation tchèque, les documents analysés ne montrent pas quelle était la source de l'argent au départ. « Quoi qu'il en soit, le Premier ministre Andrej Babiš a déployé des efforts considérables pour cacher le fait qu'il était le propriétaire des 15 millions d'euros. Outre l'utilisation d'un système de sociétés offshore garantissant son anonymat, il n'a pas déclaré ses sociétés, pas même en République tchèque », soulignent les auteurs de l'enquête, ajoutant qu'Andrej Babiš n'a mentionné aucune de ces sociétés dans aucune de ses déclarations de patrimoine.
« Aucune transaction commerciale normale ne ressemblerait à cela », a déclaré à investigace.cz Kamil Kouba, ancien enquêteur sur la criminalité financière et désormais consultant en matière de lutte contre le blanchiment d'argent. « Ce schéma me semble sortir d'un manuel pour enquêteurs. En anglais, il a même un nom : ça s'appelle un loan back », a-t-il ajouté.
Alors que vendredi et samedi prochain se déroulent des élections législatives en République tchèque, le Premier ministre s'est défendu de toute malversation, estimant qu'il n'avait « rien fait d'illégal ou de mal, mais cela ne les empêche pas d'essayer de me salir à nouveau et d'influencer ainsi les élections parlementaires tchèques ».
Ce n'est pas la première fois que l'ancien homme d'affaires et actuel chef du gouvernement tchèque se retrouve au cœur d'une affaire financière suspecte. Andrej Babiš a fait l'objet d'un audit de la Commission européenne qui a conclu que ce dernier continuait à contrôler les entreprises de son groupe. Selon Bruxelles, celui-ci est en situation de conflit d'intérêts malgré le placement de ses avoir dans deux fonds fiduciaires. Parallèlement il est également toujours visé par une enquête de la police tchèque dans l'affaire dite du Nid de cigognes. Pour la construction de ce complexe récréatif, Andrej Babiš est soupçonné d’avoir bénéficié frauduleusement de deux millions d'euros de subventions européennes réservées aux petites et moyennes entreprises.
Le Premier ministre tchèque n'est pas le seul Tchèque a être visé par les Pandora Papers. Selon investigace.cz, plus de 300 Tchèques dont d’anciens ministres, hommes d’affaires, fabricants d'armes et autres grandes fortunes sont également concernés, même si aucun nom n'a été cité par le serveur. Ce lundi, sur son compte Twitter, la police tchèque a fait savoir que, via sa centrale contre le crime organisé, elle « [allait] agir non seulement concernant les affaires du Premier ministre mais aussi celles de tous les citoyens tchèques mentionnés » dans les Pandora Papers.