Passeurs et clandestins sous le régime communiste

Sumava

Bienvenue à l'écoute, aujourd'hui, ce sera un retour sur la période des années 1950 quand beaucoup de Tchèques ont décidé de partir en Occident. Comment ils l'ont fait, dans quelles conditions, nous en parlerons tout de suite dans cette page d'histoire.

Sumava
Nous commençons à Frantiskov, petit village de la Sumava, en Bohême du sud-ouest: "Par ce sentier, les citoyens tchécoslovaques avides de liberté quittaient leur patrie, après février 1948," lisons-nous, en tchèque et en allemand, sur un monument dévoilé ici, samedi dernier. Le monument a été érigé par le Cercle d'amis de compréhension tchéco-allemande, à la mémoire des Tchèques et des Allemands qui aidaient ceux qui fuyaient le nouveau régime communiste à passer la frontière.

La chaîne de montagnes Sumava, à la frontière tchéco-bavaroise, a été sous le régime précédant une zone militaire strictement surveillée dans laquelle il était interdit de mettre le pied. Une région abandonnée et presque dépeuplée, à l'exception de quelques rares anciens résidents. Région par laquelle conduisait la voie vers la liberté. Le passage de la frontière représentait un risque énorme pour les deux parties - ceux qui avaient décidé de partir, et ceux qui leur faisaient passer la frontière. Ces "passeurs" courageux connaissaient intimement chaque sentier dans des forêts impénétrables. Aider ceux qui ont décidé d'émigrer n'était pas une question d'argent, mais de conviction, puisque eux-mêmes n'étaient pas partisans des nouveaux ordres.

"Par ici, on a conduit nos concitoyens dont la seule culpabilité était de vouloir vivre dans un pays libre. Ceux qui, à cause de leur origine sociale, sont devenus des ennemis de classe. Toutes ces personnes ont été qualifiées de traîtres et criminels, pourchassées comme des animaux sauvages, tuées par balles lors de la fuite, du rocher Biertopf," se souvient Kveta Penickova du Cercle d'amis. On ne saura probablement jamais combien ils étaient, les Tchèques ayant quitté dans ces conditions leur patrie, après le coup d'Etat de 1948. Selon les statistiques de l'Institut de documentation et d'enquête sur les crimes du communisme, 180 personnes ont été tuées à la frontière, les autres 88 ont trouvé la mort sur les fils à haute tension qui encerclaient toute la frontière occidentale entre 1952 et 1964. La situation à la frontière après février 1948 est décrite par Josef Pek dans La Chronique des forêts de Sumava. Une publication unique en son genre, saisissant les souvenirs d'environ 3000 témoins directs des événements d'alors.

Des anciens rois de la Sumava - comme on appelle ces "passeurs" courageux, quelques-uns sont encore en vie, résidant tous à l'étranger: Josef Hasil et Jan Hrdlicka aux Etats-Unis, Josef Hones en Allemagne, Frantisek Randak, Frantisek Nusko et Rudolf Vesely sont fixés au Canada. Le roi légendaire de Sumava, l'Allemand Kilian Nowotny, qui a conduit des centaines de personnes à travers la frontière tchéco-allemande, est mort il y a quelques années en Bavière. Miluse Pikova, 77 ans, l'une des participants à l'inauguration du monument, ne l'oublie pas: Elle avait 21 ans au moment où elle a pris la décision la plus risquée de sa vie: apporter une aide à Kilian Nowotny. Chaque mois, il passait au moins 3 nuits dans sa maison, avant de conduire les émigrants. Condamnée pour cette aide à 15 ans de prison et privée de tous ses biens, elle ne regrette pourtant rien. "C'était pour le bien de la cause, nous n'avons pas pensé aux conséquences", dit-elle.

Un autre cas de départ en Occident après 1948 dans des conditions dramatiques est celui des frères Masin: Ctirad et Josef, qui se sont frayés un chemin vers la liberté en tuant 5 personnes. Pour les uns - des héros, pour les autres - des assassins. Peu d'affaires divisent autant la société tchèque. Un débat public à ce sujet a eu lieu la semaine passée au Sénat, suite à la proposition de décerner une haute distinction de l'Etat aux frères Masin. Ctirad et Josef Masin, fils du colonel Masin exécuté par les nazis pour ses activités de résistance, se sont opposés, suivant l'exemple de leur père, au nouveau régime communiste. Avec trois camarades - Milan Paumer, Vaclav Sveda et Zbynek Janata, ils se sont procurés des armes et des explosifs... Avant leur fuite, ils ont préparé diverses actions de sabotage lors desquelles il y eut des blessés et des morts. En octobre 1953, tous les 5 ont franchi la frontière allemande. De Berlin-Ouest, Josef et Ctirad Masin et Milan Paumer ont continué vers les Etats-Unis. Deux autres membres du groupe en fuite ont été arrêtés et condamnés à mort.

A Prague, les communistes ont pris une revanche cruelle. Plus de vingt personnes parmi les proches du groupe Masin ont été condamnées à de longues peines et trois à la peine capitale. La mère des frères Masin est morte, un an après avoir été incarcérée, dans la prison de Pankrac. Leur soeur, Zdena, a été poursuivi par la StB. Une seule fois, en 1969, elle a eu l'occasion de parler brièvement, à Copenhague, à son frère, Josef. Ce dernier a voulu qu'elle parte, elle aussi. Pour des raisons de santé, elle a refusé.

A l'objection que 5 personnes sont mortes lors de la fuite de ses frères, Zdena Masinova dit: "C'était la guerre. La première chose que les communistes ont fait, c'était s'armer et créer leurs propres lois. Mes frères n'ont fait qu'employer les mêmes moyens."

En 1998, l'acte des frères Masin a été proclamé prescrit. Ce verdict ne dit cependant rien sur la culpabilité ou l'innocence des frères Masin. Il ne dit pas s'ils étaient des combattants pour la liberté et méritent l'estime ou s'ils étaient des criminels. Une chose reste certaine: leur affaire suscite des réactions contradictoires dans la société tchèque et les frères Masin, installés aux Etats-Unis, hésitent à revenir dans leur pays natal.