Pavel Minařík : profession agent secret à Radio Free Europe
En 1976, Pavel Minařík entamait une véritable campagne médiatique en Tchécoslovaquie et dans d’autres pays socialistes visant à porter atteinte à l’image de Radio Free Europe, média basé à Munich, financé par les Américains et désireux de porter une information « libre » dans le monde dominé par les Soviétiques. Il y avait travaillé sept années durant comme présentateur, mais surtout en tant qu’agent de la Stb, la police secrète communiste. Pavel Minařík envisageait même d’y commettre un attentat à la bombe. Retour dans cette rubrique historique sur le destin de cet homme, condamné en 2009 à six ans de prison pour une sombre affaire de fraude à l’assurance.
C’est ainsi que le capitaine Pavel Minařík expose les tenants et les aboutissements de sa mission à l’occasion d’une conférence de presse diffusée le 29 janvier 1976 par la télévision tchécoslovaque. Et ses conclusions sur le profil psychosociologique des collaborateurs tchécoslovaques de Radio Free Europe est sans appel :
« Ce qui lie ces personnes, c’est la convoitise de l’argent qu’ils reçoivent des Américains, c’est la perte de toute illusion, ce sont des carriéristes, ce sont des personnes qui n’ont plus de patrie. »
Ils ont perdu la face, le dollar en était la raison
Aux côtés de Goebbels, ça ne leur pose pas de problème
Ils ont perdu la face, leur langue et leurs origines
Maintenant ils nous jouent la partition de la voix de la CIA
« Beaucoup de lettres parviennent à la télévision tchécoslovaque et me sont adressées. Je veux sincèrement remercier tous les expéditeurs et promettre d’essayer de répondre à ces lettres. J’éprouve particulièrement du plaisir à recevoir des lettres des jeunes auditeurs, téléspectateurs, lecteurs. C’est pour moi très agréable de constater principalement que la jeunesse s’implique incontestablement dans la vie politique de notre pays. »
Cette gloire et ces menus plaisirs, notre capitaine les doit à sa mission d’infiltration au sein de la division tchécoslovaque de Radio Free Europe, division qui émet depuis Munich à partir de 1951. Pavel Minařík est quant à lui né six ans plus tôt à Brno. Electricien de formation, il travaille dans un premier temps comme technicien du son au théâtre DRAK de Hradec Králové. Il collabore avec la police secrète communiste, la Stb, à partir de l’année 1967, et c’est sa profession du moment qui va déterminer son envoi prochain en République fédérale d’Allemagne, ainsi que l’explique l’historien Prokop Tomek, dont le travail sur les rapports entre les citoyens et le pouvoir sous le communisme l’a porté à s’intéresser aux émissions radio des Tchécoslovaques en exil :
« Etant devenu présentateur professionnel à la radio à Brno, il a été planifié qu’il serait envoyé à l’étranger, si possible à Munich et au sein de Radio Free Europe. C’est ce qui est advenu en septembre 1968. Là-bas, Pavel Minařík y a assez rapidement trouvé un emploi puisqu’il y est devenu présentateur. »
En tant que présentateur, l’agent secret n’a aucune marge de manœuvre sur le contenu rédactionnel de l’information diffusée depuis la station. Il ne peut pas non plus avoir accès aux décisions de la direction. Aussi, la qualité des renseignements qu’il a pu communiquer à Prague est discutée. Pour certains, dont fait partie Prokop Tomek, Pavel Minařík n’est certainement pas le « grand espion » dont l’image a été construite par la suite. Cependant, l’agent était également actif auprès des réseaux de Tchécoslovaques exilés dans la métropole bavaroise. Aussi, Lída Rakušanová, un temps professeur à l’université de Munich mais également ancienne rédactrice à Radio Free Europe, estime que les informations fournies aux services tchécoslovaques par Pavel Minařík, un homme dont elle se méfiait naturellement dit-elle, pouvait avoir une vraie importance :« Pour la Stb, cela avait une grande valeur et pour ces gens (les informateurs de Radio Free Europe, ndlr), qui à cette époque-là vivaient en Tchécoslovaquie, cela représentait une vraie menace à partir du moment où la Stb avait quelque chose sur eux. »
Cela représentait une menace pour la vie même des employés de Radio Free Europe puisque Pavel Minařík planifiait d’y commettre un attentat. Il ne mit jamais son plan à exécution mais le siège de la radio fut tout de même la cible d’une attaque quelques années plus tard, une opération financée par les services roumains et commise par un groupe mené par le célèbre terroriste Carlos. Le 21 février 1981, l’explosion d’une bombe blessa plusieurs personnes et causa d’importants dégâts. Entre temps le fonctionnement de Radio Free Europe avait quelque peu changé, ainsi que le détaille Prokop Tomek :
« Radio Free Europe a été financée par le budget de la CIA jusqu’à la fin des années 1970. C’est quelque chose qui était connu déjà à l’ouest dans les années 1960. Les pratiques ont changé et le gouvernement américain a mis en place un nouveau système qui existait déjà quand Pavel Minařík est rentré en Tchécoslovaquie. Il s’agissait du comité américain pour la radiodiffusion internationale qui gérait les activités de Radio Free Europe et de Radio Liberty, stations destinées à diffuser dans les pays de l’Union soviétique. Via ce comité, ces radios obtenaient directement un financement depuis le budget fédéral des Etats-Unis. »Pour l’historien, si Pavel Minařík n’a pas été le seul agent envoyé par la Stb à Munich, il a certainement été le plus important. Selon lui, la police secrète tchécoslovaque a probablement fait une erreur en faisant de son agent une personnalité médiatique, qu’elle ne pouvait clairement plus utiliser pour des opérations discrètes. Cela n’en était pas pour autant fini des voyages pour Pavel Minařík, qui, après sa tournée des médias, part étudier à Moscou et à Kiev. A son retour, dans les années 1980, parallèlement à la poursuite de ses activités avec la Stb, il est rédacteur pour la revue Signál, un magazine financé par le ministère tchécoslovaque de l’Intérieur, dont il devient bientôt le rédacteur en chef. Mais tout a une fin et Pavel Minařík tire un trait sur ces différents engagements en 1990, peu après la Révolution de velours. Pourtant, le passé tumultueux de l’ancien espion le rattrape bien vite. Prokop Tomek :
« De façon répétée, il y a eu des tentatives pour qu’il soit jugé en raison de son activité au sein de Radio Free Europe pour la Stb. Il a principalement été poursuivi pour sa tentative d’attentat à la bombe à Radio Free Europe mais rien de tout cela n’a abouti et il n’a jamais été condamné. »La justice n’en avait cependant pas fini avec Pavel Minařík, lequel se rappelle bientôt à son bon souvenir en tentant une folle opération. En 1996, avec des complices, il demande à une compagnie d’assurances le versement de 41 millions de couronnes suite à la destruction d’un chargement de fibres optiques qui a brûlé dans un malencontreux accident de la route en Ukraine. Pas de chance pour l’ancien espion et ses acolytes, un tribunal estime que l’accident a été simulé et que la valeur des biens endommagés est largement inférieure à celle annoncée. La convoitise de l’argent a eu raison de Pavel Minařík, condamné en 2009 à six ans de prison.