Quand les femmes tchécoslovaques s’engageaient dans les armées étrangères
Des milliers de femmes se sont mobilisées contre la guerre en Ukraine. Si l’on estime actuellement qu’environ 30 000 femmes se battent directement sur les champs de bataille contre l’armée russe, ce qui ne représente pas moins de 15 % de l’armée ukrainienne, beaucoup de femmes se sont aussi engagées de manière non combative. L’engagement des femmes dans des conflits armés, qu’il soit combatif ou non, n’est pas une chose nouvelle, même s’il leur a parfois été rendu compliqué. Radio Prague International vous propose un retour sur l’engagement des femmes tchécoslovaques pendant la Seconde Guerre mondiale. Entre résistance sur le territoire tchécoslovaque, interdiction de combat et engagement dans les armées étrangères, les femmes ont constitué une aide majeure dans la lutte contre le nazisme. Karolína Stegurová, historienne et auteure du livre Les femmes aussi voulaient se battre ! nous parle de cet engagement féminin.
« Pendant la Seconde Guerre mondiale, il n’y avait aucune possibilité pour les femmes tchécoslovaques d’entrer directement dans l’armée. Ces femmes, qui voulaient être utiles pendant la guerre, ont donc servi dans les services auxiliaires britanniques. Ces services auxiliaires britanniques existaient également pendant la Première Guerre mondiale et les Britanniques les ont rétablis pendant la Seconde Guerre mondiale. Il y a des services auxiliaires dans l’armée de terre, dans l’armée de l’air et dans la marine. Dans l’armée de l’air, le service féminin s’appelle WAAF (Women’s Auxiliary Air Force) ; dans l’armée de terre, c’est l’ATS (Auxiliary Territorial Service) ; dans la marine, il s’appelle WRNS (Women’s Royal Naval Service). »
Ces femmes motivées par l’envie de se rendre utiles dans une guerre où seuls les hommes étaient autorisés à se battre par la loi tchécoslovaque ne pouvaient pas s’engager dans l’armée de leur pays car, contrairement au Royaume-Uni, à la Pologne ou à la France, la Tchécoslovaquie n’a jamais créé de services auxiliaires destinés aux femmes au sein de son armée. Karolína Stegurová explique :
« Les principaux arguments utilisés pour justifier ce refus était que la loi devrait être changée, que cela coûterait plus cher à l’armée tchécoslovaque et au ministère de la Défense s’ils enrôlaient des femmes dans l’armée, mais je pense que c’était surtout des excuses, parce que les archives montrent bien que l’armée tchécoslovaque avait beaucoup d’hommes exemptés et ajournés suite à un examen médical, d’hommes qui n’étaient pas en assez bonne santé pour devenir pilote ou aviateur dans un Spitfire [avion de chasse utilisé par les Alliés pendant la Seconde Guerre mondiale, ndlr], mais qui étaient capables de faire des services auxiliaires, comme par exemple du rangement ou comme être un employé de bureau, alors que dans les services auxiliaires britanniques, ce type de travaux étaient faits par des femmes. »
Parce que les femmes n’étaient pas autorisées à entrer dans l’armée tchécoslovaque, le gouvernement en place a conclu un accord avec le gouvernement britannique pour qu’elles puissent, sous certaines conditions, entrer dans les services auxiliaires.
Le fait que des ressortissantes étrangères fassent partie de l’armée britannique faisait néanmoins figure d’exception.
Si certaines Françaises se sont engagées dans l’armée britannique au début de la Seconde Guerre mondiale, très vite, des services auxiliaires féminins sont créés, le premier corps français de ce type étant fondé le 7 novembre 1940 à Londres au sein des Forces Françaises Libres. Ce corps deviendra par la suite le « corps des volontaires féminines françaises » et divers services auxiliaires le complèteront, à l’image du corps des transmissions, du groupe d’état-major et des services ou du corps spécialiste du service de santé.
Karolína Stegurová rappelle néanmoins que les services auxiliaires britanniques n’ont pas seulement été formés au Royaume-Uni mais qu’ils existaient aussi dans les dominions britanniques où une plus grande diversité était représentée :
« Des services auxiliaires britanniques ont également été formés dans les dominions britanniques, c’est-à-dire au Moyen-Orient et en Extrême-Orient. Au Moyen-Orient, mis à part les femmes tchécoslovaques, nous pouvons trouver des femmes grecques, perses, arabes ou juives, donc beaucoup de nationalités différentes s’y côtoyaient. »
Les femmes tchécoslovaques ne se sont néanmoins pas seulement engagées dans l’armée britannique. Certaines sont également entrées dans l’armée rouge:
« En URSS, les femmes tchécoslovaques pouvaient entrer dans les corps tchécoslovaques. Cela motivait nombre d’entre elles à s’engager volontairement dans l’armée rouge, d’autant plus que beaucoup de femmes russes en faisaient partie. La situation était différente dans l’armée britannique et dans l’armée rouge, car l’unité tchécoslovaque dirigée par le général Svoboda avait besoin de chaque homme et de chaque femme disponibles afin d’être en nombre suffisant pour être placé sur une zone de tir et de combat. C’est pour cela qu’il a laissé les femmes s’enrôler. »
Ainsi, les femmes combattaient au sein de l’armée soviétique, alors qu’au sein de l’armée britannique, elles étaient certes reconnues comme membres de l’armée et bénéficiaient de certains privilèges, mais il leur était interdit de se battre. Selon Karolína Stegurová, entre 400 et 500 femmes se sont engagées dans le corps tchécoslovaque de l’armée rouge, contre environ 200 femmes tchécoslovaques dans l’armée britannique.
L’engagement dans les combats n’était pas la seule différence de traitement des femmes tchécoslovaques entre les deux armées. Karolína Stegurová nous en dit plus :
« Si l’on était une femme tchécoslovaque qui servait dans l’armée de leur pays formée par l’URSS, alors on était un membre de l’armée à part entière, mais si l’on était une femme tchécoslovaque dans les services auxiliaires britanniques, alors du point de vue du gouvernement britannique, on était bel et bien un membre de l’armée, mais ce n’était pas le cas du point de vue de la législation tchécoslovaque. Cette différence de statut a posé des problèmes après la guerre. »
Certaines femmes engagées dans les services auxiliaires britanniques ont œuvré pour être reconnues comme membres de l’armée par les autorités tchèques. C’est le cas de Dolores Šperková, membre de la WAAF et officier :
« Pendant la guerre, elle a fait un effort considérable pour essayer de convaincre les autorités tchécoslovaques d’organiser des services auxiliaires directement par l’armée tchécoslovaque et ensuite, lorsque cet effort n’a pas été couronné de succès, elle a essayé de faire en sorte que le statut de membres de l’armée tchécoslovaque soit attribué à ces femmes qui avaient servi dans les services britanniques. Cet effort a malheureusement lui-aussi échoué. »
L’engagement des femmes tchécoslovaques dans les armées étrangères n’a néanmoins pas été l’unique moyen pour elles de lutter contre la menace nazie. Beaucoup de celles restées sur le territoire tchécoslovaque se sont en effet engagées dans la résistance :
« Pendant le protectorat de Bohême-Moravie [1939-1945, ndlr], les femmes tchécoslovaques ont joué un rôle important dans la résistance. Ce dont on se souvient le plus, c’est vraisemblablement leur soutien aux parachutistes. L’acte de résistance le plus connu en Tchécoslovaquie est l’assassinat du Reichsprotektor Reinhard Heydrich par Jan Kubiš et Jozef Gabčík en mai 1942. Beaucoup de femmes ont aidé à la résistance et l’ont soutenue en fournissant de la nourriture, un logement, et aussi pour les accompagner lors de leurs rondes afin qu’ils aient l’air moins suspects lorsqu’ils essayaient de suivre les déplacements de Reinhard Heydrich. »