Retour sur la rencontre européenne de jeunes de Taizé à Prague
La 37e rencontre européenne de Taizé s´est achevée vendredi dernier. 30 000 jeunes chrétiens du monde entier étaient réunis à Prague pendant cinq jours pour partager leurs recherches spirituelles et faire une découverte culturelle du pays. L’occasion aussi pour eux de célébrer le Nouvel An dans une atmosphère à la fois de prière et de fête. Retour sur cette étape de ce que la communauté œcuménique de Taizé appelle le Pèlerinage de confiance sur Terre.
« Je m’appelle Anna et je viens de Belgique. Prague, c’est une ville fantastique, c’est très beau et la rencontre avec toutes les personnes! Il y a beaucoup, beacoup de personnes, et c’est étonnant parce que, dans ma vie, je suis un peu seule. Cela me donne du plaisir et de la joie. »
« Il fait très froid, mais je m’attendais à ça. Malgré le froid, j’ai plutôt découvert autour de Prague parce que, le centre touristique, j’avais déjà visité un jour ou deux il y a quelques années de cela en tant que touriste. C’était très beau, mais là, du coup, j’ai découvert la banlieue et j’ai pu vraiment discuter avec une femme qui a une cinquantaine d’années et qui m’a accueille. On a beaucoup parlé notamment de la période de communisme. C’est quelque chose que je n’ai pas vécu. C’était dans les livres d’histoire, donc de pouvoir discuter avec elle, de coment elle l´a vécu, c’était hyper enrichissant, c’était trop touchant ! »Taizé possède une longue tradition en République tchèque. Les liens entre la communauté et les chrétiens tchèques ont été nombreux et profonds sous l’ancien régime communiste. La situation était difficile, voire dangereuse pour ceux qui avaient le courage de se rendre à Taizé, en Bourgogne. Les prières et les rencontres dans les familles tchèques étaient surveillées par la police secrète. La personne la plus propice pour en témoignager est sans doute Frère Alois, le prieur de la communauté :
« Quand je suis venu pour la première fois, j’ai dû apprendre certaines adresses par cœur parce que s’ils en avaient trouvées à la frontière, cela aurait pu causer des problèmes aux personnes concernées. Mais j’ai rencontré des gens qui ont payé un prix pour la liberté et c’est de cela que je me souviens. Les familles que j’ai rencontrées comme la famille Kaplan et d’autres, des prêtres, des pasteurs. J’ai rencontré le pasteur Alfréd Kocáb qui était le premier Tchèque à être venu à Taizé en 1967. Pendant longtemps, il n’a pas eu la permission d’être pasteur. Mais quand moi je suis venu, il était pasteur à Mladá Boleslav. J’ai pu lui rendre visite et nous avons pu parler. Et c’étaient toujours des moments de joie : célébrer le fait que cette frontière en Europe n’est pas absolue et que nous, chrétiens, avons la responsabilité de créer des liens, de dépasser cette frontière. Cela reste une impression très forte. »Cette année, le contexte était bien différent. Prague accueillait la rencontre européenne pour la deuxième fois déjà. Lors de la première en 1990, l’esprit de joie et le goût d’une nouvelle liberté étaient omniprésents. Et même si, depuis, les Tchèques ont, pour beaucoup d’entre eux, un peu oublié cet enthousiasme, selon Frère Alois, Prague reste une ville symbolique de la paix:
« Nous avons choisi Prague aussi parce que nous pensons que la République tchèque n’est pas assez connue dans les autres pays autour et que nous devons venir pour mieux connaître la situation ici. C’est extraordinaire que Prague accueille toute l’Europe! Il y a beaucoup de jeunes Ukrainiens qui sont présents, des Russes, des Biélorusses dans cette période de tensions, de guerre on peut dire ... Que les jeunes se rencontrent, que Prague soit ce lieu de paix… Je crois que c’est ça l’important. »Evêque de Saint-Brieuc et Tréguier et président du Conseil pour la pastorale des jeunes, Denis Moutel accompagne un groupe de 38 français de son diocèse. Pour lui, Prague, malgré son atmosphère anticléricale, est un lieu hautement spirituel :
« Prague a un trésor de tradition de la vie spirituelle, de l’ouverture à l’Europe, de l’ouverture à l’intelligence. Il y a beacoup d’intellectuels à Prague, beacoup d’universités, beaucoup d’artistes. Et, donc, cette rencontre entre la foi et la raison, entre le cœur et l’intelligence... Je trouve que Prague est une ville qui, peut-être, vit cela en Europe. En même temps, je sais aussi que dans toute la République tchèque, et à Prague en particulier, on est marqué par l’esprit de consommation. Il y a un certain effacement de Dieu, et je crois qu’il peut y avoir un vide et même une tristesse peut-être qui peut s’installer si on ne recherche plus la liberté intérieure, si on ne recherche plus le meilleur de son cœur et le meilleur de ce qu’on peut construire ensemble dans la société aussi. Il y a une société qui est à construire à Prague et en Europe et il faut que les chrétiens s’y engagent. »La communauté et ses bénévoles ont préparé un riche programme culturel. Des workshops aux sujets variés comme la solidarité, l’église et la spiritualité, l’art ou le business, se sont tenus dans des endroits différents de Prague. La sociologue Markéta Sedláčková a donné une conférence avec son mari, l’économiste Tomáš Sedláček, sur l’économie avec un visage humain et la confiance :
« Pour moi, c’est un peu comme un rêve de voir Taizé à Prague. Quand j’étudiais au lycée bilingue, c’était un rêve d’aller en France et de voir le fonctionnement de la communauté de Taizé. Maintenent, c’est une formidable possibilité de participer, de faire une conférence avec mon mari. C’était la deuxième fois que nous faisions cela ensemble. Moi, j’ai choisi le sujet de la confiance auquel je me consacre dans mes recherches. On a donc parlé de la confiance et de la société, puis de l’économie : comment on voit les points économiques dans la Bible, dans l’histoire d’Adam et Eve. »La question de la confiance était importante également pour l’hébergement de milliers de jeunes pèlerins. Pour Markéta, l’évocation de Taizé a servi de garantie de securité. En même temps, elle est bien consciente qu´il n’est pas tout à fait naturel pour la plupart des Tchèques d’ouvrir leurs portes aux étrangers :
« Il y a encore une semaine de cela, il y avait plus de 3 000 jeunes pour lesquels nous n’avions pas de logement, donc c’est vrai que je n’avais pas trop confiance. Je me disais que pour les Tchèques ce n’était pas si facile d’ouvrir leurs maisons. En plus, c’est la fin d’année, donc c’est un peu un temps réservé à la famille. Pour moi, c’est une très bonne expérience de voir que ça fonctionne vraiment, que les Tchèques n’ont pas peur d’accueillir et de rencontrer des gens venus d’ailleurs. C’était pour moi-même aussi une expérience de la confiance. Je sais que ce sont des gens de Taizé, donc je n’ai pas de soucis pour leur donner la clé de ma maison. »
Le cardinal et archevêque de Prague Dominik Duka, qui a activement participé à la rencontre, a également apprécié l’ouverture des familles tchèques pour accueillir les jeunes inconnus :
« Les habitants sont ouverts vers la réalité, donc une grande partie des participants habitent en ce moment dans des familles à Prague. C’est réellement un signe de la fraternité chrétienne dans notre pays mais aussi des grandes possibilités pour les contacts entre les nations et les églises chrétiennes. »Tous les jeunes n’ont cependant pas été logés à Prague. La communauté du Chemin neuf à Tuchoměřice, en Bohême centrale, s’est également investie dans la rencontre. Grace à une vocation en commun orientée vers l’œcuménisme et l’unité des chrétiens, la communauté se sent proche de la spiritualité de Taizé. La proximité de Prague et les capacités de logement dans le monastère ont également été un gros avantage pour accueillir des jeunes pélerins. Christophe, le prêtre de la communauté, en témoigne :
« Nous sommes vraiment très contents, c’était une très bonne expérience, il y a beaucoup de familles du village qui ont accueilli des jeunes, puis nous ensuite dans le monastère avec sept nationalités différentes. On avait des Polonais comme dans chaque paroisse, des Italiens, des Français, des Hongrois, des Biélorusses, des Ukrainiens et bien sûr des Tchèques. Il y a eu, je crois, 60-70 jeunes qui étaient dans des familles et le reste, donc environ 130, dans le monastère. En fait, ceux qui étaient logés dans le monastère étaient très contents aussi, parce que, quand ils rentraient le soir, ils étaient encore ensemble, mélangés entre différentes nationalités. Ils chantaient et passaient encore du temps ensemble, ils étaient très contents. »
La prière œcuménique du Nouvel An dans la cathédrale Saint-Guy a achevé la rencontre. Les mois de préparation dans la Maison de Kafka à côté de la place de la Vielle Ville ont donc porté leurs fruits. Mais pour les participants de la rencontre de Taizé à Prague, le Pèlerinage de confiance sur Terre continue et les moments forts de cette rencontre les portent à l’avenir.« Il y a eu une scène un peu banale mais assez touchante : il y avait deux filles qui étaient devant nous et trois autres qui sont arrivées en disant qu’elles n’avaient pas à manger parce qu’elles étaient arrivées en retard. On a donc demandé pour trouver une solution, à savoir si on pouvait avoir à manger pour elles, ce qui n’était pas possible. Du coup, il y a une dizaine de personnes qui sont arrivées en courant, en sortant la nouriture de leurs sacs en disant ‘tiens, prends ça, prends ça’, et même si le lendemain on n’avait plus de pique-nique à manger, ce n’était pas grave. Et pour moi, ça résume un peu ce qu’est Taizé, c’est vraiment la solidarité. Même si je ne te connais pas, même si je ne parle pas ta langue, il y a quelque chose qui se crée. Et même si c’est éphémère, je trouve ça très beau. Cela nous porte un peu pendant l’année. »
Laissons-nous alors porter par la joie de cette rencontre en attendant de nous retrouver l’année prochaine, cette fois à Valence en Espagne.