Sections tchèques en France : témoignage de plusieurs générations
Plus de 1000 jeunes Tchèques ont suivi leurs études secondaires en France pendant les près de cent ans d’existence des sections tchèques aux lycées à Dijon et à Nîmes. Récemment, plusieurs dizaines d’anciens et d’actuels élèves de ce programme intergouvernemental étaient réunis à l’ambassade de France à Prague pour partager leur expérience. Certains d’entre eux ont passé leur baccalauréat juste après la Seconde Guerre mondiale, d’autres dans les années 1970, après la Révolution de velours en 1989 ou s'apprêtent à terminer leurs études dans les années à venir. Radio Prague vous propose de découvrir ces sections tchèques (et tchécoslovaques) en France à travers les témoignages de plusieurs générations.
« C’est super. Je suis très content de pouvoir être à Dijon parce que c’est une expérience magnifique. Quand mes professeurs m’ont proposé d’aller passer mes études en France, j’étais très content. Etre en France signifie pour moi devenir indépendant. C’est un style de vie différent et un grand changement. Ce qui m’a surpris le plus à l’école, c’est le travail avec les documents. Nous travaillons beaucoup plus avec les documents qu’en Tchéquie. L’accent est mis sur l’écrit et sur la formulation de nos idées. »
Ces sentiments sont partagés chaque année par une dizaine d’élèves tchèques de quinze ans qui, ayant remporté le concours d’admission, quittent leur pays pour passer trois ans loin de leur famille et du système d’éducation tchèque, un système bien différent de celui en France.
Ouvertes en 1920 à Dijon et en 1924 à Nîmes, les sections tchèques proposent, depuis bientôt cent ans, aux jeunes Tchèques de passer la totalité de leur enseignement secondaire dans l’Hexagone. Les élèves tchèques, qui logent à l’internat et passent leurs week-ends dans des familles d’accueil, sont entièrement intégrés dans les classes françaises, ce qui leur permet de s’ouvrir au système de pensée français et d’améliorer leurs connaissances de la langue de Molière, mais pas seulement, comme l’explique Radka, diplômée en 1998 au lycée Alphonse Daudet de Nîmes :« Personnellement, je pense que le fait d’avoir passé le bac français a donné une direction à toute ma vie professionnelle. Sans cette expérience, je n’aurais jamais eu le parcours professionnel que j’avais et que j’ai maintenant. De plus, dans les années 1990, la France et la République tchèque ont été deux mondes bien différents. C’était mon rêve de faire mes études en France. Partir à Nîmes était donc à l’époque une des rares opportunités, comme y parvenir à l’âge de seize ans. »
« Nous partageons une même aventure »
De nombreuses personnalités célèbres, comme l’acteur Jiří Voskovec, le réalisateur Zdeněk Troška, l’écrivain et critique littéraire Václav Černý ou une des grandes figures du Printemps de Prague, Čestmír Císař, ont passé leurs études aux sections tchèques ou tchécoslovaques en France. Née en 1929 à Nitra, en Slovaquie, Viera Budovičová a été employé à l’Institut de linguistique de l’Académie des sciences, puis comme professeur de linguistique à la Faculté des lettres de l’Université Charles. Elle a entamé ses études en France en 1945, peu après la réouverture des sections tchécoslovaques, fermées par les nazis :« J’en ai gardé mes meilleurs souvenirs. Ce sont malheureusement les souvenirs très lointains mais qui restent et resteront toujours. Nous étions la première section tchécoslovaque en France après la Seconde Guerre mondiale. Trois ans plus tard, les sections tchécoslovaques ont été malheureusement fermées. Mais nous avons eu de la chance car nous avons pu passer notre baccalauréat en France. Nous étions donc prêts pour commencer à étudier à une université en Tchécoslovaquie. »
Les sections ont été ensuite fermées à plusieurs reprises pour des raisons politiques, la première fois après l’arrivée des communistes au pouvoir en 1948. Viera Budovičová et ses collègues, n’ont-ils pas voulu rester en France ?
« C’était impossible. Il est vrai que nous avons eu des propositions pour rester en France. Mais nous n’avons pas pu nous exiler à cause de nos parents. »
Les sections de Dijon et de Nîmes ont été rouvertes définitivement en 1989, la troisième, celle du lycée Claude Debussy à Saint-Germain-en-Laye, n’a plus jamais vu le jour. Malgré cette histoire tourmentée et même s’ils sont dispersés dans le monde entier, les anciens élèves tchèques en France se réunissent régulièrement. Kristýna Křížová est présidente de l’Association des anciens élèves des sections tchèques et tchécoslovaques qui regroupe ces élèves depuis 2009 :
« Nous partageons une même histoire, une même aventure, même si nous n’avons pas vécu cette expérience au même moment et au même lycée (car il existait trois sections tchécoslovaque au départ et qu’elles sont deux actuellement). Mais cette aventure que nous avons vécu est tellement commune à nous tous que nous nous regroupons et nous avons des liens amicaux à travers les générations. Vous pouvez voir ce soir aussi bien des jeunes qui étudient actuellement à Dijon et à Nîmes, que des anciens élèves qui ont eu leur bac en 1948. Nous nous considérons tous comme des ‘camarades de classe’ parce que cette expérience est tellement unique que les barrières de temps et de distance n’ont aucune importance. »Les études inspirantes et la discipline à l’internat
L’association s’efforce non seulement d’être un intermédiaire entre les anciens élèves, mais aussi de promouvoir les sections tchèques auprès des jeunes et d’attirer de nouveaux candidats. Chaque année, une cinquantaine de futurs lycéens s’inscrivent au concours. Kristýna Křížová :« Nous avons vécu une histoire qui nous a beaucoup influencé et nous voulons que les nouvelles générations aient cette même chance. Tous les ans à l’automne, entre novembre et janvier, nous intervenons dans des lycées à travers toute la République tchèque. Nous présentons aux élèves ce dispositif, nous parlons de notre expérience d’être élève en France, de vivre dans un internat, nous racontons ce que cela nous a donné pour nos études supérieures, pour notre carrière et pour notre vie personnelle. Car il n’est pas évident, quand vous avez quinze ans, de prendre cette décision de quitter pour trois ans vos parents, votre famille, vos amis. »
Tous les élèves des sections tchèques, anciens ou actuels, affirment apprécier ce nouveau système d’éducation inspirant, basé sur la pensée critique plutôt que sur la mémorisation, ainsi que le contact avec le français et les Français. De nombreux se souviennent toutefois aussi du régime disciplinaire strict qui régnait lors de leur séjour à l’internat. Devant un petit groupe de jeunes rassemblés sur la terrasse de l’ambassade, Ondřej, qui a passé son baccalauréat à Dijon en 1995, raconte une histoire amusante :
« C’était mon tout premier week-end à Dijon. Nous avons décidé avec mon ami Ivoš que c’était l’occasion parfaite pour découvrir non seulement la petite ville de Dijon mais pour aller jusqu’à Paris. Nous avons donc fait de l’auto-stop et nous sommes arrivés à Paris. Nous avons dormi sur un banc sur les Champs-Elysées. Une fois de retour à Dijon, nous avons appris qu’une enquête policière avait été déclenchée par madame le proviseur qui avait eu peur que deux de ses étudiants tchèques se soient perdus. Par la suite, le lycée a mis en place un règlement interdisant aux étudiants tchèques de faire de l’auto-stop et de passer leur week-ends ailleurs que dans les familles d’accueil ou au lycée. »
Cette rencontre à l’ambassade de France à Prague était organisée, entre autres, à l’occasion de la parution du livre intitulé « Fenomén Dijon : století českých maturit ve Francii » (« Phénomène Dijon : un siècle des baccalauréats tchèques en France ») de l’historien Jiří Hnilica. Nous vous présenterons cet ouvrage dédié à l’histoire des sections tchèques et tchécoslovaques et de leurs élèves dans une prochaine émission.