Les sections tchèques en France (I) : à l’épreuve de l’histoire
Depuis plus de cent ans, le lycée Alphonse Daudet à Nîmes et le lycée Carnot à Dijon voient chaque année étudier entre leurs murs des élèves tchèques, aux côtés des jeunes Français. Ce sont au total près de mille jeunes Tchécoslovaques, puis Tchèques qui ont pu bénéficier d’un programme à la longévité exceptionnelle. Portrait de quatre d’entre eux.
Des jeunes garçons Tchécoslovaques ont posé pour la première fois leurs bagages en France pour y étudier, lorsqu’a été ouverte la première section à Dijon en 1920. En 1923 une nouvelle section voit le jour au lycée de Saint-Germain-en-Laye, et finalement, en 1924 c’est dans la ville de Nîmes qu’une troisième section est établie. Concrètement, cela signifie que chaque année une dizaine de jeunes tchèques viennent encore de nos jours passer trois ans en France, aux côtés des élèves des lycées Daudet de Nîmes et Carnot de Dijon. Ils y suivent les mêmes cours, et passent leur baccalauréat en fin de terminale – la plupart du temps avec d’excellents résultats.
Près de cent ans d’histoire donc pour les sections, mais leur existence s’est calquée parfaitement sur le cours du XXème siècle européen, avec sa dose d’événements et de ruptures : en 1938, à la suite des Accords de Munich les sections sont fermées. Elles rouvrent brièvement en 1945 mais disparaissent à nouveau presqu’aussitôt, au lendemain du coup de Prague de février 1948 qui a vu l’arrivée au pouvoir du parti communiste.
En 1966, grâce à un ministre de l’Education lui-même passé par Dijon, les lycées français accueillent de nouveau des élèves tchèques, mais cela ne dure que jusqu’en 1973 lorsque des tensions entre Est et Ouest conduisent encore à l’arrêt du programme. Finalement, au lendemain de la révolution de Velours, les sections de Nîmes et Dijon sont relancées et fonctionnent sans discontinuer jusqu’à aujourd’hui. Celle de Saint-Germain-en-Laye reste close, le lycée ayant été transformé en école primaire.
Kristýna Křížová préside l’Association des anciens élèves des sections tchèques et tchécoslovaques en France. Selon elle, la longévité du dispositif ne tient pas seulement à la volonté des deux pays de mener à bien des relations bilatérales, mais également à l’attachement des anciens et anciennes à ce programme :
« Je pense que c’est le fait que vous fassiez venir des jeunes pour une période qui, à cet âge-là, est très longue et très formatrice. Qui crée des relations très fortes à ce dispositif et en même temps qui crée des relations entre les élèves et les institutions qui les entourent et les encadrent. Ils sont près de mille à être déjà passés par le dispositif, ça crée mille histoires, mille relations amicales entre profs et élèves, entre institutions et élèves qui sont faites pour durer. »
Etudier en des temps troublés
Les remous politiques qu’ont subi les sections, Stanislav Štech les a vus de près. Il a été scolarisé au lycée Carnot de Dijon de 1970 à 1973. Partir en France après la répression du Printemps de Prague, c’était alors une bulle d’air et un modèle radicalement différent.
« Il faut dire aussi que dans les années 1969-1970, gens étaient encore un peu libres. Il y avait encore les derniers échos de la libéralisation de l’année 1968, donc on avait accès à certains livres, films, il y avait encore le souvenir de certains débats de 68’ … Pour moi, partir, c’était l’espoir de respirer encore un peu plus librement, mais je n’étais pas trop politisé à l’époque. Ce qui m’intéressait, c’était surtout de maîtriser la langue, j’avais une soif d’apprendre quelque chose de totalement différent de ce que je pouvais vivre chez moi. »
Au-delà d’arriver dans un pays dit « de l’Ouest », plus libre, Stanislav Štech se souvient également d’un système scolaire très différent, qui l’a beaucoup surpris :
« L’arrivée à Dijon, c’était un choc. C’est-à-dire que j’arrivais dans un lycée où il y avait une discipline que je ne connaissais pas : l’internat, les uniformes … un régime assez rigoureux. Au début, je me souviens que j’étais très surpris de n’avoir pratiquement pas de temps libre. Il faut dire qu’il y avait aussi des infrastructures assez vétustes … Au lycée, il n’y avait pas de salles et d’infrastructures modernes. Je me souviens aussi de ce régime de surveillants et surveillants généraux : on était toujours, tout le temps, suivis et surveillés. Et puis il y avait le contraste avec les cours, avec les enseignements, avec les copains français. Les discussions qui étaient, je dirais, très vives, partiellement sur les questions culturelles ou sur le contenu d’apprentissage, mais aussi politiques. »
La réouverture des années soixante ne dure pas, et Stanislav Štech quitte alors le lycée Carnot avec un goût amer, malgré de belles années passé à Dijon :
« Nous étions la dernière promotion, le dernier groupe de neuf élèves. On est resté pour l’année scolaire 1972-1973, on disait qu’on avait enterré la section tchécoslovaque. »
Après son baccalauréat, Stanislav Štech est rentré en Tchécoslovaquie. Il est devenu professeur à l’Université Charles de Prague, et entre 2015 et 2017 il a occupé les fonctions de vice-ministre, puis de ministre de l’Education en République tchèque.
Dijon, Nîmes, Saint-Germain-en-Laye, c’est donc un passé riche, et un présent fort d’une trentaine de jeunes Tchèques actuellement scolarisés en France. Si les sections ont connu un dernier soubresaut au cours des années 2010 à cause de problèmes financiers, aujourd’hui, Kristýna Křížová se dit confiante, et ose conjuguer les sections tchèques au futur :
« Je pense que nous avons avec tous les partenaires qui encadrent les sections (l’Association, les deux ambassades, les ministères de l’Education, les deux villes, les régions) une volonté de trouver une solution, et que cette volonté a montré la raison d’être d’un programme qui a été extrêmement bilatéral et qui conserve une place dans une Europe unie. Parce que la construction de l’Europe passe par la découverte de nous tous, par un partage, et tout cela ne peut se faire que si nous nous rencontrons, si nous vivons ensemble, si nous partageons. »
Un défi de taille reste toutefois à relever pour assurer la pérennité du programme alors que le nombre de candidatures baisse depuis plusieurs années. Selon Stanislav Štech, la concurrence est désormais rude avec d’autres programmes moins contraignants :
« Il y a beaucoup moins de candidats qui se présentent au concours qu’il y a trente ans, parce qu’il y a beaucoup d’autres possibilités plus flexibles pour les jeunes, c’est-à-dire que les parents peuvent les inscrire pour faire une année d’étude un peu partout : en Allemagne, en Autriche ou même en France.
Politiquement et même mentalement, la section aujourd’hui ce n’est plus ce que c’était il y a cinquante ans, ce n’est pas aujourd’hui le voyage dans ‘le royaume de la liberté et de la démocratie’. »