Le 3 juin prochain, cent ans se seront écoulés depuis la mort de l’écrivain pragois Franz Kafka, l’un des fondateurs de la littérature moderne. Où a-t-il vécu, quels lieux l’ont inspiré et comment a-t-il marqué sa ville natale et vice-versa ? Nous tenterons de répondre à ces questions dans notre série de reportages à travers la Tchéquie. Dans ce premier épisode, consacré à l’enfance et l’adolescence de Franz Kafka, nous allons nous balader plus précisément dans la Vieille-Ville de Prague.
Où commencer notre promenade si ce n’est près de la place de la Vieille-Ville. Kafka a vécu dans de nombreux endroits de Prague, mais son enfance et la vie de sa famille sont étroitement liées à cette partie historique de la capitale. Nous parlerons de la jeunesse de l'écrivain avec la guide Dana Kratochvílová, qui présente Franz Kafka aux touristes étrangers, mais aussi aux Tchèques :
« À vrai dire, les Tchèques ne savent que peu de choses sur Kafka. Je suis toujours surprise de voir que des adolescents américains par exemple ont tous lu ‘La Métamorphose’ et que l’univers de Kafka est un sujet plutôt familier pour eux. Actuellement, les jeunes Tchèques apprennent eux aussi à connaître l’œuvre de l’écrivain pragois, mais pour les générations précédentes, y compris la mienne, c’était un sujet tabou sous le régime communiste. »
Avec Dana Kratochvílová, nous voilà sur la place Franz Kafka qui se trouve à proximité immédiate de la place de la Vieille-Ville. C'est l’une des plus petites et des plus récentes places de Prague - elle n’a été baptisée du nom de l’écrivain, né dans l'une des maisons environnantes, qu’en 2000.
« Cette petite place située devant l’entrée de l’église Saint-Nicolas s’appelait Kurný trh au Moyen Âge, du fait qu’on y vendait de la volaille. Un relief de Franz Kafka, datant de 1966 (l’installation de l’œuvre correspond à la période de dégel politique des années 1960, ndlr), commémore son lieu de naissance. Mais on ne peut pas dire qu’il soit né précisément dans cette maison du coin de la rue. En effet, le bâtiment d’origine a été démoli lors de l’assainissement du ghetto juif. Seul le portail baroque a été conservé de la maison natale de l’écrivain à l’emplacement duquel a été construit un nouveau bâtiment au début du XXe siècle. Il a été récemment rénové. Des cafés se trouvent au rez-de-chaussée et des appartements ou des bureaux à l’étage. »
Franz Kafka est né le 3 juillet 1883, dans une famille juive germanophone. Son père Hermann était originaire du sud de la Bohême. Il était issu d’un milieu modeste. Arrivé à Prague, il a ouvert sa première mercerie dans la rue Dlouhá avec l’aide de ses cousins. Hermann Kafka s’est rapidement imposé comme un commerçant compétent et a notamment réussi à conquérir le cœur de sa future épouse, Julie, qui était en revanche issue d’une famille juive pragoise aisée. Franz est l’aîné de leurs six enfants, mais ses deux frères sont morts en bas âge.
De la place Franz Kafka, nous nous dirigeons vers la place de la Vieille-Ville, où la famille a déménagé avec le petit Franz, alors âgé de deux ans. Les Kafka se sont alors installés, pour sept ans, dans la belle maison médiévale appelée U Minuty (À la minute), où sont nées les trois sœurs de Kafka, Elli, Valli et la plus jeune, Ottla, qui était la plus proche de Franz. Décorée de magnifiques sgraffites Renaissance du XVIe siècle, la maison U Minuty se trouve juste à côté de l’Horloge astronomique de l’ancien Hôtel de ville et abrite actuellement l’Institut scout.
Le chemin de l’école à travers la place de la Vieille-Ville
« La famille de Kafka s’est installée au premier étage. Ils avaient un grand appartement, avec même une chambre de bonne. À l'âge de six ans, Franz a commencé sa scolarité. La nouvelle école allemande pour garçons qu’il fréquentait alors se trouvait dans la rue Masná. Il devait donc traverser toute la place de la Vieille-Ville. Il décrit dans son journal à quel point c’était stressant pour lui, car il avait peur de se perdre. Il a suggéré qu’il serait possible de construire une balustrade sur la place, le long de laquelle il aurait pu marcher. »
« Nous passons maintenant par la ruelle Týnská, qui est très étroite et sombre, et par laquelle Kafka se rendait à l’école. Il n’aimait vraiment pas passer par là. Il se souviendra plus tard que la cuisinière l’accompagnait tous les jours et le traînait plus ou moins derrière elle, sous le regard des marchandes locales. Chaque matin, la même scène se déroulait, et chaque jour, la cuisinière menaçait de raconter à l’école comment Franz s’était à nouveau rebellé. »
Si le bâtiment de la rue Masná abrite toujours une école primaire, ce n’est pas le cas du lycée allemand où Franz a pu continuer ses études grâce à ses excellents résultats scolaires, qui n’ont pourtant pas dissipé les doutes permanentes qu’il avait sur ses capacités. Le lycée était installé au palais Gotz-Kinský, sur la place de la Vieille-Ville, qui abrite aujourd’hui la Galerie nationale. Hermann Kafka a également eu sa boutique à cette adresse prestigieuse à partir de 1912. Avec Dana Kratochvílová, nous nous trouvons non loin de là, dans la rue Celetná.
« Nous allons d’abord nous intéresser à la maison située juste en-dessous de l’église Notre-Dame de Týn. Elle abrite aujourd’hui le magasin Kodak Express et une boutique de souvenirs. C’est ici que la famille Kafka a déménagé. Hermann Kafka avait ici des entrepôts et un grand magasin – à l’époque, il employait déjà plusieurs personnes, tandis que son épouse était caissière. Franz Kafka habitait ici pendant ses études secondaires et mêmes universitaires. La fenêtre de sa chambre donnait directement sur l’église de Týn. À l'époque communiste, la chambre était utilisée par la police secrète qui surveillait par cette fenêtre les personnes qui se rendaient à l’église. Quand on rentre dans l’église, on peut apercevoir en haut à droite cette petite fenêtre munie d’une grille. C’est donc la fenêtre de la chambre de Franz Kafka. »
« Une autre maison dans la rue Celetná est également liée à la famille de Franz Kafka. Il s’agit du palais Hrzánský qui a jadis appartenu à la famille noble des Hrzán de Harasov. Dans cette maison, Hermann Kafka avait un entrepôt de produits textiles. C’était déjà à la fin de sa brillante carrière commerciale, lorsqu’il a cessé d’assurer la vente au comptoir et n’a plus fourni que des marchandises aux magasins de Prague et d’autres villes. »
Après avoir traversé la cour du palais Hrzánský, nous arrivons dans la discrète rue Kamzíková, où se trouvait, à la Maison du paon rouge, l’une des maisons closes les plus luxueuses de Prague. De nombreuses célébrités s'y rendaient, y compris des écrivains pragois de langue allemande, dont Franz Kafka. Par ailleurs, son université, appelée à l’époque l’Université Charles-Ferdinand, se trouvait à deux pas d’ici.
De la Vieille-Ville à la place Venceslas
« Nous nous trouvons à présent devant le Carolinum, où Kafka a étudié le droit. Il a d’abord opté pour la chimie, mais l’a très vite abandonnée. Il a alors commencé ses études en 1901 et a obtenu son diplôme en droit en 1906.
« Il voulait partir vivre pour quelque temps en Italie, mais ce rêve ne s’est pas réalisé. En 1907, à l’âge de vingt-quatre ans, Kafka a commencé à travailler pour la succursale pragoise de la compagnie d’assurance italienne Assicurazioni Generali, basée à Trieste. La société a construit un immense bâtiment néo-baroque à l’angle de la place Venceslas et de la rue Jindřišská. À cette époque, avec l’émergence de nombreuses usines, les questions liées à la sécurité du travail et à l’assurance des employés sont devenues très actuelles. Grâce à sa formation, Kafka a pu se consacrer précisément à ce domaine et à ses aspects juridiques. Au bout de deux ans, il est entré à la Compagnie d’assurance contre les accidents du travail située rue Na Poříčí. Il y est resté jusqu’en 1922, où, deux ans avant sa mort, il a abandonné son poste à cause de problèmes de santé. Il a donc passé toute sa vie professionnelle au sein de cette compagnie d’assurance et y a fait une carrière très respectable. »
Dès son adolescence, Kafka écrivait des poèmes et des récits. Cependant, il gardait la plupart de ses écrits pour lui et les partageait rarement avec le public de son vivant. Écrivain hypersensible, dont la vie à une époque tumultueuse a été marquée par une série de défis personnels, il entretenait une relation ambivalente aussi avec sa ville natale.
Nous poursuivrons notre découverte des lieux à Prague et en province où Franz Kafka a laissé ses traces dans le prochain épisode de notre série, dans une semaine.
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