Tentation de Vaclav Havel
« Tentation », la dernière pièce de Vaclav Havel, est entrée récemment au répertoire du Théâtre des Etats à Prague. Sa mise en scène a été confiée à l'Américain Charles Marowitz. "Pour moi, cette pièce est intemporelle, dit le metteur en scène, tandis que d'autres oeuvres dramatiques, comme par exemple Largo Desolato ou Gardenparty, sont très liées avec la période à laquelle elles ont été créées. « Tentation » est la pièce la plus souple ; elle offre une interprétation actuelle et, en même temps, quelque chose comme un noyau magique."
L'écrivain dissident Vaclav Havel se rend bientôt compte que la lettre n'était pas seulement une faiblesse, mais aussi une erreur grave. Le régime déploiera tout son pouvoir de manipulation et la lettre lui servira d'instrument pour discréditer son auteur. « Personne ne sait, écrira Havel à sa femme Olga, ce que j'ai vécu pendant cette période, la plus noire de ma vie (toi, tu le devines) : ce furent des semaines, des mois et pratiquement des années de désespoir muet, de souffrances, de honte, de reproches et de questions sans réponse." Quelques années plus tard, il saura cependant exploiter cette expérience amère. Il a payé cher ce que nous pourrions appeler le manque de discipline dans ses rapports avec le diable. Il en tirera une pièce de théâtre qu'il intitulera « Tentation » et dans laquelle il exploitera le thème faustien. Il remaniera et transformera son histoire pour en faire une fable moderne, rendant cet épisode de sa vie presque méconnaissable, même si le fond est toujours là. Peut-on manipuler le mal? Peut-on pactiser avec le diable? La rapidité avec laquelle Havel écrit démontre qu'il a déjà eu beaucoup de temps pour réfléchir à ces questions. La pièce qui en résulte est, en quelque sorte, sa réponse. Elle l'aide à se libérer de son fardeau.
Le héros de « Tentation », Henri Faustin, est un scientifique qui travaille dans un institut dont la mission est difficile à définir, mais qui se veut avant tout matérialiste. Henri joue un jeu dangereux avec le Diable, représenté ici par un vieux monsieur invalide nommé Fausset. Ce dernier lui propose de l'initier aux sciences occultes. Henri se laisse entraîner par Fausset sur le terrain dangereux des expériences occultes dans une institution où tout ce qui n'est pas matérialiste est considéré comme un crime. Bientôt, Henri Faustin se voit piégé dans un jeu d'apparences, de mensonges et de dénonciations trop compliqué pour lui. Il se croit manipulateur avant de finir par comprendre qu'il n'a été qu'un manipulé. Les connotations politiques de la pièce sont évidentes. Le personnage de Faustin peut être perçu comme une victime du régime totalitaire et diabolique représenté par Fausset. Mais la portée de cette fable moderne est beaucoup plus générale.
"Pour moi, c'est une pièce sur le dogme et les abus dont il est l'objet, sur les méthodes utilisées par les institutions pour manipuler les gens, pour ne pas leur permettre de sortir de leur influence, affirme le metteur en scène Charles Marowitz. La tentation est utilisée dans la trame de la pièce comme le moyen pour évoquer ce thème. La façon dont on interprète l'institut de recherches dans lequel se déroule l'action de la pièce est importante. Je la conçois un peu comme le Château de Kafka. En outre, c'est une pièce pleine d'humour et de sarcasme." Charles Marowitz voulait donc donner à la pièce des résonances tout à fait actuelles: "La dictature des années 80 a beaucoup en commun avec la stratégie des grandes sociétés multinationales, poursuit-il. De nombreux aspects de la pièce peuvent rappeler l'esprit de la mondialisation."
Quelques-uns des meilleurs comédiens du Théâtre national de Prague ont été engagés pour cette production. Parmi eux, Martina Valkova, qui joue le rôle de Vilma, petite amie de Henri Faustin. L'interprétation du texte de Vaclav Havel lui a posé quelques problèmes :"Havel utilise une langue spéciale qui ne situe pas la pièce dans la sphère du théâtre contemporain, mais débouche sur une déformation bizarre. Jouer dans une telle pièce est, donc, pour moi un travail très particulier. C'est très difficile à jouer, et parfois plus difficile que de jouer dans une pièce de théâtre classique. Il y tant de significations cachées dans le texte et la responsabilité vis-à-vis d'un auteur vivant est si grande que c'est plus difficile."
Vaclav Havel, lui-même, a suivi de loin les répétitions et semble satisfait:
Havel: "J'ai l'impression que la distribution des rôles est bien faite, a-t-il confié à la veille de la première. J'ai assisté à une répétition, il y a un mois, peut-être plus, et j'ai été très agréablement surpris par certains comédiens. Je pense que le choix des acteurs pour les rôles principaux est bon." Finalement, Havel, souffrant, n'a pas pu assister à la première au Théâtre des Etats, très attendue et très suivie par les médias. Les réactions des critiques ont été mitigées. Le savoir-faire du metteur en scène et le talent de certains comédiens ont été mis en avant. Par contre, les coupures que Charles Marowitz a effectuées dans le texte ainsi que l'actualisation un peu forcée de l'oeuvre, qui en a réduit et simplifié la portée, n'ont pas été appréciées.
Dans les années 1990, d'aucuns reprochaient à la pièce de Vaclav Havel de manquer d'espoir. Mais ne peut-on pas trouver une source d'espoir justement dans la lucidité finale de Faustin? Voyons comment Havel lui-même a résumé, bien des années plus tard, l'épisode de vie qui lui avait donné matière à écrire cette pièce.