Terminus pour les jeunesses communistes tchèques ?

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Le 16 octobre dernier, le ministère de l'Intérieur annonçait la dissolution de l'association des jeunes communistes, le KSM. Raison invoquée : un passage illégal dans le programme de l'association qui mentionne l'objectif « d'éliminer la propriété individuelle des moyens de production pour la remplacer par la propriété collective ». Cette interdiction n'a pas encore pris effet, le KSM ayant déposé un recours contre la décision.

Les Tchèques ont-ils manqué la seule et unique occasion qu'ils auraient pu avoir, après la révolution de velours, d'interdire le Parti communiste ? Pour certains, cela fait partie d'une des plus grandes erreurs de l'équipe de Vaclav Havel, qui avait finalement renoncé à franchir ce pas. Un peu partout ailleurs, dans les pays de la région, les partis communistes se sont transformés de gré ou de force en partis plus ou moins sociaux-démocrates.

Ici, le Parti communiste a lui aussi changé de nom, mais uniquement parce que le pays lui-même a changé de nom. De Parti communiste tchécoslovaque, KSC, le nom du parti unique, on est donc passé à Parti communiste de Bohême et de Moravie, KSCM. Plus de quinze ans après la chute du régime, ce KSCM reste l'un des principaux acteurs sur la scène politique tchèque. Une anomalie seulement provisoire pour certains, un problème à éliminer pour d'autres. Une commission sénatoriale vient d'être mise sur pied pour étudier la constitutionnalité du parti. Mais juste avant la création de cette commission, c'est l'association des jeunes communistes qui a fait l'objet d'une décision d'interdiction.

Selon la porte-parole du ministère de l'Intérieur, Marie Masarikova, le passage en question dans le programme est contraire aux normes juridiques en vigueur dans le pays :

« Le passage incriminé dans leur programme et cet objectif ne respecte pas la Constitution du pays ainsi que les droits fondamentaux et libertés fondamentales. Ce n'est en aucun cas une décision politique, ajoute Marie Masarikova, le ministère en tant qu'institution doit veiller au respect de la loi. »

Plus de dix-sept ans après la révolution de velours, dans un pays où le Parti communiste joue encore un rôle clé dans les sempiternelles négociations politiques au plus haut niveau de l'Etat. Le président du Parti communiste, Vojtech Filip a dénoncé cette interdiction du KSM, qu'il considère être politiquement motivée. Le Parti a d'ailleurs assuré un soutien juridique au KSM, association juridiquement indépendante du parti mais étroitement liée à celui-ci et qui siège dans les mêmes locaux.

Pour le politologue Petr Just, la décison du ministère est compréhensible : « Aucun Etat ne laisse agir librement dans son système une association qui déclare publiquement vouloir faire la révolution et veut remplacer le régime actuel par un autre avec des méthodes révolutionnaires ».

Ce n'est pas la première fois que le ministère tchèque de l'Intérieur prend de telles mesures. En 2000 et 2002, des formations d'extrême-droite, l'Alliance nationale (Narodni Alliance) et l'association de la jeunesse républicaine (Sdruzeni republikanska mladez) avaient elles aussi été interdites.

Mais pour Zdenek Stefek, secrétaire du KSM, pas de doute : l'interdiction des jeunesses communistes reflète une tendance à la fascisation de la société tchèque : « Le ministère de l'Intérieur s'efforce depuis longtemps de criminaliser l'idéologie communiste et tend à criminaliser toute pensée critique sur le système actuel. Etant donné que nous n'enfreignons la loi dans aucun document, mais avons seulement un autre point de vue sur l'avenir de notre pays, de notre planète et de notre société, ça doit être cela qui dérange le ministère. Ce n'est pas logique, c'est un pas vers la fascisation de ce pays. Cela fait partie d'une des multiples tentatives pour atteindre le Parti communiste (KSCM). La question est de savoir comment et combien de temps cela va durer. »

La décision prise par le ministère est loin de faire l'unanimité, même chez les anti-communistes convaincus. Jiri Slavicek fait partie de cette génération d'exilés, partis de Tchécoslovaquie après l'écrasement du Printemps de Prague. Il vit depuis à Paris :

« C'est vraiment l'absurde qui commence à régner. Je n'ai jamais été communiste : les communistes ont enfermé quelques membres de ma famille, moi y compris, pour des délits qui ont tous été révisés et amnistiés. Mais comme ils le disent dans le Canard enchaîné, il faut toujours avoir quelqu'un à blâmer. Mais c'est nous qui sommes à blâmer, puisqu'on n'a pas réussi à leur expliquer de quoi il s'agit. Ils ont parfaitement le droit de dire n'importe quelle connerie - passez-moi l'expression - puisque c'est ça la vraie démocratie : comme disait Churchill, c'est le pire des régimes à l'exception de tous les autres... Même l'association des anciens prisonniers politiques, pour qui ce serait légitime, ne réclame pas ce genre de décision. Et je pense que c'est d'abord une perte de temps, parce que les jeunes communistes doivent devenir des communistes responsables et ils sont bien obligés de s'adapter à la réalité. Je défendrais la possibilité qu'ils doivent avoir de dire des conneries - même si je serais contre bien sûr - et d'ailleurs cela nous permettra d'éduquer nos enfants et de vivre mieux ».

L'association des jeunes communistes a déposé un recours contre la décision du ministère. Si la décision est confimée, le KSM a indiqué être prêt à porter l'affaire devant la Cour européenne des droits de l'Homme, « pour défendre la liberté de parole et d'association ». La Cour strasbourgeoise qui vient d'ailleurs de condamner la semaine dernière la République tchèque pour avoir refusé d'enregistrer un parti politique, le Parti Liberal (Liberální Strana), qui entendait faire annuler l'impunité de réprésentants du régime communiste. La CEDH a estimé qu'il fallait tenir compte "du contexte historique et politique" de l'affaire, relevant notamment qu'après le changement de régime en 1989 deux lois avaient été adoptées, déclarant que le régime communiste violait systématiquement les droits de l'Homme.

Considérant que le projet du Parti Libéral n'était ni « de nature à compromettre le régime démocratique du pays » ni favorable à un « recours à la force à des fins politiques », la Cour a jugé que le refus d'enregistrer le PL apparaît « non nécessaire dans une société démocratique » et a conclu à la violation de l'article 11 de la Convention européenne des droits de l'Homme.