Une cause qui unit : mobilisation citoyenne pour sauver un parc à Prague 5
Depuis six ans, des habitants du quartier de Malvazinky à Prague luttent contre un projet de construction de quatorze logements qui remplaceraient un parc local. Bien qu'ils n'aient jamais été aussi proches de faire valoir leur cause, le démarrage de la construction apparaît imminent.
En 2006, deux contrats de construction ont été signés par l’ancien maire du cinquième arrondissement de Prague, Milan Jančík, dont le nom figure dans plusieurs affaires de corruption. Le projet de construction qui entrainerait la disparition de cet espace vert de deux hectares rencontre l'opposition de la population locale. Six ans d’efforts individuels ont été couronnés en février par la création d’une association civique pour sauver le parc. Représentant du parti des Verts à la mairie de Prague 5, Lukáš Budín, explique la genèse de cette mobilisation :
« Personnellement, je m’engage dans la protection de ce parc Na Pláni depuis à peu près un an. Mais le projet initial date de 2006. Le maire Milan Jančík a signé un contrat qui prévoyait qu’une partie des appartements nouvellement construits soit réservée aux familles en besoin. Cette idée a plus tard été abandonnée et le projet a adopté une logique 100% commerciale. Les plans prévoient la construction de dix maisons dans une première étape et quatre maisons dans la seconde étape. Après la décision territoriale le promoteur immobilier a reçu un permis de construire. Cependant, peu après, la décision territoriale a été annulée notamment en raison de la mobilisation civile. Logiquement, on pourrait s’attendre à ce que la construction s’arrête, mais là nous avons découvert un trou dans la loi. En effet, l’annulation de la décision territoriale n’entraîne pas automatiquement la cessation du permis de construire et le promoteur immobilier en profite bien évidemment et il peut commencer la construction à tout moment. Cela a déclenché la mobilisation des résidents. » Les premières voix des résidents locaux, qui désapprouvaient le projet de construction, se sont levées dès la signature des contrats. Il s’agissait des citoyens qui, à titre individuel, déploraient plusieurs éléments : le prix très bas pour lequel le promoteur immobilier, la compagnie Geosan Sigma, allait acheter le terrain ; la destruction du bâtiment rénové de l’école maternelle quand 150 places manquaient pour des enfants du quartier en âge de fréquenter l'établissement ; et l’atteinte à la qualité de vie locale liée à la disparition du parc en tant qu'espace vert le plus important. Leur mobilisation a contribué à l’annulation de la décision territoriale par un acte judiciaire. Cependant, la mairie du cinquième arrondissement de Prague n’a pas soutenu les habitants du quartier. Lukáš Budín résume la stratégie de la mairie en trois attitudes différentes :« L’affaire est compliquée du fait d’avoir ici une mairie qui a trois types de stratégie : soit elle déclare l’impuissance ou l’incompétence d’agir dans le domaine, typiquement en arguant qu’il s’agit des compétences des autorités centrales. Soit la mairie affirme qu’il est trop tard pour agir d'une façon quelconque. Dans ce cas, un de ses représentants va exprimer ses regrets au journal du quartier, qui est distribué gratuitement à tous les résidents, mais leur activisme ne va pas au-delà. Dernièrement, la mairie reste passive et n'agit que sous la forte pression citoyenne. L’activité de la mairie peut ainsi être qualifiée de non-activité. »
A la lumière de ces faits, les citoyens qui se sont impliqués pour sauver le parc ont décidé de créer une association « Přátelé Malvazinek » (« Les Amis de Malvazinky ») avec la tâche de coordonner leurs activités et de faciliter la participation du plus grand nombre de personnes. Martin Lepšík de l’équipe préparatoire de l’association « Přátelé Malvazinek » revient sur la création de l’association et sur les événements qu’elle a déjà organisés :« L’association ‘Přátelé Malvazinek’ a pris le relai du travail individuel des citoyens qui s’opposaient à la destruction du parc. Leurs efforts ont été couronnés par la décision judiciaire annulant la décision territoriale. Ainsi, en février 2013, plusieurs personnes se sont réunies et ont commencé des préparatifs pour la création de l’association qui a été enregistrée peu après. Pendant ce temps, nous sommes allés à chaque délibération de nos représentants élus à la mairie. Nous avons également organisé plusieurs événements, dont le plus marquant était une manifestation avec la participation de 200 ou 300 personnes qui s’est tenue le 6 juin à six heures de l'après-midi. Le 20 juin nous avons également pu réunir environ soixante-dix personnes à midi devant la mairie pour protester contre la construction, dont une trentaine a participé à la réunion du conseil municipal. »
Selon l’élu local pour le parti des Verts, Lukáš Budín, l’implication de l’association a été déterminante puisqu’elle a réussi à intensifier la mobilisation des résidents du quartier :
« L’influence des citoyens a été cruciale sans aucun doute. L’association a des leaders de très grande qualité qui sont actifs et réussissent à impliquer les autres. Certains, quand ils ont vu qu’il ne s’agissait plus d’une lutte de personnes isolées, se sont joints à leurs activités. En résultat, l’organisation est plus efficace et les gens se sentent plus solidaires. A mon sens, la création de cette association a été la réponse à l’absence de l’implication adéquate de la mairie. D’un côté, cela est triste et frustrant. De l’autre, c’est un signe que la société tchèque évolue vers une société démocratique dont l’activisme est une composante nécessaire. Même si la mobilisation se fait surtout de manière négative, c’est-à-dire pour s'opposer à des projets, c'est une question de temps pour qu’elle se tourne vers des initiatives, comme des happenings ou de la coopération entre des voisins. Je sens que cela a déjà commencé, justement à Malvazinky. »Martin Lepšík explique quelles sont les démarches potentielles dans le cas du parc Na Pláni. A la lumière de ses propos, il est clair que si l’association est sur le point de gagner la lutte au niveau judiciaire, les délais légaux ainsi que des inconsistances législatives pourraient avoir des conséquences négatives. Déjà, le promoteur immobilier a coupé environ deux cents arbres du parc ce qui a causé un dommage difficilement réparable à court terme. Martin Lepšík :
« Dans le cadre de l’affaire du parc Na Pláni, le ministère du Développement régional a obligé la mairie de Prague à rouvrir la procédure de l’attribution d’une décision territoriale puisque la première décision a déjà été annulée par la Cour l’année passée car elle violait le plan territorial métropolitain. Avec la lacune législative qui n’implique pas la fin du permis de construire en même temps, nous nous trouvons dans un no man’s land juridique. Le promoteur immobilier continue les travaux en faisant une clôture autour du parc. Le problème principal ici ce sont les délais légaux. Une décision de la Cour peut prendre des années et la décision de la mairie de Prague des mois. D’après les procédures régulières, tous les procès en cours devraient aboutir au retrait du permis de construire puisque d’après la loi, chaque projet de construction doit disposer de deux documents : décision territoriale et permis de construire. L’issue s’annonce positive : la construction sera arrêtée. »Deux scénarios s’offrent donc actuellement ; celui de l’association « Amis de Malvazinky » est le plus optimiste. Mais avant de redonner la parole au représentant de l’association, écoutons le regard plus nuancé de Lukáš Budín qui estime que la construction se poursuivra et que le promoteur immobilier abusera des délais de la décision judiciaire ce qui mènera à la construction des bâtiments :
« Il est probable qu’une négociation entre la mairie du cinquième arrondissement et le promoteur immobilier est entamée. Cependant, je pense que le projet sera finalement réalisé. Je crains que la compagnie de construction commence les travaux pendant les vacances d’été quand les gens ne sont pas à la maison. Il est difficile de prévoir l’issue de cette affaire, je dirais que c’est cinquante-cinquante. Mais cela est déjà une victoire. On est arrivé à ce stade grâce à l’activisme des résidents, parce qu’ils se sont impliqués, ont participé aux manifestations, ont écrit des lettres. L’activisme civique est crucial dans ce domaine de la planification urbaine. »
Martin Lepšík, de l’association des « Amis de Malvazinky », s'appuie d’un côté sur les décisions des autorités publiques qui vont dans le sens des demandes de l’association. De l'autre côté il insiste sur le dommage que causerait la disparition du parc :« Notre optimisme quant à l’avenir découle du fait d’avoir reçu l’appui de l’autorité publique suprême, qu'est le ministère du Développement régional. Au niveau judiciaire, notre cause a été soutenue par la Cour suprême administrative, également instance contre laquelle aucun appel n’est possible. Je répète, notre souci principal sont les délais légaux qui permettent au promoteur immobilier de poursuivre les travaux même en l'absence de tous les documents requis. Ainsi, il détruirait cette localité rare avec des espèces animales protégées comme des lucanes, des lézards ou des orvets. La destruction de ce parc entrainerait des changements irréparables dans la biodiversité, et nous ne pouvons qu’attendre des décisions administratives. »
L’affaire autour du parc Na Pláni n’a pas encore abouti, mais les effets de la mobilisation civile se font déjà sentir : non seulement dans la solidarité entre des voisins, mais également dans des avancées juridiques concrètes.
Chaque quartier de Prague a son « parc à sauver ». Longue est la liste des contentieux au sujet de la planification urbaine. Des initiatives citoyennes se multiplient afin de lutter contre des projets de construction controversés. L’enjeu actuel à Prague tourne autour de la création d’un nouveau plan territorial métropolitain. La mairie de la capitale dirigée par le parti TOP 09 fait table rase de la planification telle que la ville la connaissait depuis la fin du XIXe siècle. Il s’agit d’un processus qui déterminera quels espaces seront disponibles à la construction. Occasion pour des citoyens et leurs représentants de protéger les espaces verts dans leurs quartiers. Il est paradoxal que la mairie du cinquième arrondissement n'a pas envoyé son représentant au premier comité de planification.