Une nouvelle histoire de la Tchécoslovaquie sort en bande-dessinée
« Comment Masaryk a-t-il imaginé la Tchécoslovaquie ? ». Ainsi s’intitule le premier tome d’une série de bandes-dessinées consacrée à l’histoire du peuple tchèque, qui vient de paraître aux éditions Mladá fronta. À l’origine du projet, l’historien et journaliste Pavel Kosatík a conçu un scénario qui prendra la forme de neuf tomes, dont il a confié la réalisation du dessin à neuf illustrateurs différents. L’idée est de raconter de manière encore inédite l’histoire de la Tchécoslovaquie, depuis sa création en 1918 jusqu’à sa partition en 1992. Petr Novák, alias Ticho762, qui a signé l’illustration de ce premier tome, était invité au Komiks’fest, le festival de Prague dédié au 9e art, qui s’est tenu au centre MeetFactory samedi et dimanche derniers. Agnès Joyaut s’est entretenu avec lui.
Une des grandes originalités du premier tome est d’avoir intégré plusieurs intermèdes dans lesquels sont mis en scène des combats de boxe. Qui sont ces boxeurs et quelle est leur signification dans l’histoire de Masaryk ? Ticho762 répond :
« Le scénario se présente comme un dialogue du début à la fin. Dans la majorité des scènes, deux personnes se parlent. À la lecture, cela m’a paru comme un duel, et en l’occurrence, à la fin du XIXe siècle, les combats de boxe étaient très populaires. Et comme, d’une certaine façon, Masaryk s’est battu pour la République, ça m’a donné une idée sur la manière dont j’allais l’illustrer. C’était évidemment un peu gros de mettre Masaryk lui-même sur le ring. J’ai donc demandé à Martin Šinkovský de compléter le scénario de Kosatík par des combats de boxe. Ainsi, la discussion de Masaryk avec Thun est représentée comme un combat de boxe avec un Autrichien, celle avec Lloyd George comme un combat avec un captif anglais, etc. »Enseignant à l’origine Ticho762 a décidé, après une courte et décevante carrière dans la publicité, de se lancer en tant qu’indépendant. Il nous raconte ses débuts dans l’illustration :
« J’ai toujours fait des bandes dessinées. À un moment donné, j’ai également fait des graphes. Au début les initiatives dans lesquelles je prenais part étaient rarement payées. En République tchèque, le marché de la BD est tellement petit, il ne suffit pas de se dire : ‘c’est décidé, je me lance dans la BD’. »Des couleurs accrocheuses comme du rose fluo surgissent par endroits des planches du premier tome. Cette touche pop mêlée à une narration dessinée tout en mouvement tenterait l’œil critique d’y reconnaître la patte d’un ancien taggeur. Ticho762 répond :
« Au départ, j’avais pensé réaliser mes planches sur ordinateur. J’aimais bien cette idée d’une touche numérique. Mais l’ordinateur représentait trop d’inconvénients. J’ai donc finalement opté pour le dessin manuel, et pour que ce soit très coloré. Je ne suis pas encore certain d’avoir un style bien défini, mais ce qui est sûr, c’est que je voulais beaucoup de couleurs. »C’est donc sous une tout autre lumière que Masaryk est placé dans cette bande-dessinée, loin des images vieillottes et ternies que la mémoire collective a tendance à véhiculer. Autre originalité dans les planches de Ticho762 : les apparitions féminines qui viennent comme inspirer Masaryk lors des moments-clés des négociations. Nous lui avons demandé ce que signifiaient ces formes d’inspiration divine :
« Masaryk s’en est beaucoup remis à la providence, il y croyait et je voulais que cela apparaisse. Quand il parle avec Beneš par exemple, la providence prend la forme d’une femme, qui le guide dans ses réflexions. Ce n’est pas Dieu au sens classique du terme. C’est plutôt un pouvoir suprême, qui juge le bien et le mal. Je l’ai dessiné en rose, parce que j’aime bien cette couleur et que cela me semblait être un bon moyen de la distinguer de la réalité, pour faire comprendre que seuls Masaryk et le lecteur la voient. Il faut également savoir qu’on est en plein Art nouveau. C’est l’époque où Mucha commence à peindre son ‘Apothéose des Slaves’. Cela m’a donc paru naturel de représenter la providence dans un style qui rappelle Mucha et son mysticisme. » Après la parution de ce premier tome, devrait s’ensuivre la publication des huit autres volets de cette série dédiée à l’épopée tchécoslovaque en bande-dessinée. Cette série complète un projet plus large, baptisé « Československo 38-89 » (« La Tchécoslovaquie 38-89 »), et dont le cœur de l’ouvrage se situe dans la réalisation d’épisodes télévisés dans lesquels se mêlent témoignages réels, illustrations et jeux interactifs. Soutenu par le ministère de la Culture et agrégeant la participation de plusieurs universités et centres de recherches, « Československo 38-89 » a pour objectif d’offrir, au plus grand nombre, un autre regard sur l’histoire commune des Tchèques et des Slovaques. À Ticho762 de conclure :« Je pense que ce projet va ouvrir des discussions sur la manière d’interroger le passé, autrement que ce que l’on apprend à l’école, etc. Ce que l’on voulait surtout montrer c’est l’importance qu’ont eue le dialogue et les réflexions dans le processus de création de l’État tchécoslovaque. L’Histoire prend forme sur un terrain très petit. Parfois, on ne se rend pas compte de ce qui est en train de se jouer. L’équilibre des décisions est si fragile... »