Université : la dure vie des doctorants en Tchéquie
Cet automne devrait être présentée au Parlement tchèque une réforme d’envergure concernant l’éducation supérieure, dont une partie importante porte sur les études doctorales. La précarité étudiante est, en Tchéquie, une réalité qui touche tous les domaines d’études et tous les niveaux. La hausse du coût de la vie n’arrange pas les choses, notamment pour les doctorants, qui pâtissent de conditions déplorables pour effectuer leurs recherches. Inflation, crise post-Covid, bourses dérisoires, nous avons discuté des conditions de vie des doctorants en République tchèque avec Jakub Šindelář, doctorant en Histoire moderne à l’Université Charles de Prague et vice-président de l’association des chercheurs-doctorants en Tchéquie.
« Je suis vice-président de l’association des chercheurs doctorants en République tchèque. Le but est de protéger les droits et les intérêts des gens qui font leur doctorat en République tchèque, c’est-à-dire aussi bien les tchèques que les étrangers, et de lutter pour que leurs conditions s’améliorent. »
Un de vos combats est de militer pour rehausser les bourses pour les doctorants, comment pouvez-vous y parvenir et pourquoi est-ce nécessaire ?
« De cette manière, il y a une réforme des études de doctorat qui a été initiée par le ministère de l’éducation, du sport et de la jeunesse, parce qu’il y a un consensus comme quoi le système qui est en place maintenant ne fonctionne pas. Il y a trop de gaspillage de financement, les gens ne réussissent pas à finir ces études. Pour les doctorants, aussi bien que pour les universités et le gouvernement, ça ne fonctionne pas, en effet. Le problème c’est que les bourses sont insuffisantes pour garantir un revenu suffisant pour que les gens puissent se concentrer sur leur travail de recherche, pour faire leur thèse. Ça veut dire que les gens doivent travailler à côté, soit à l’université, soit dans des boulots différents pour pouvoir survivre. Ça veut dire qu’ils n’ont pas assez de temps pour se concentrer sur leur travail, cela prolonge leurs études, souvent les gens n’arrivent pas à finir… »
Toi, ça fait cinq ans que tu sur ta thèse - tu travailles aussi à côté depuis cinq ans ?
« Oui je travaille principalement au sein de l’université, parce que je fais pas mal de travail administratif et je donne des cours. Ce sont les revenus principaux pour moi parce que la bourse se termine après quatre ans, avec la pandémie il y a eu une prolongation de six mois, mais sinon il faut avoir un revenu ailleurs. Même si ce n’est pas réaliste que les gens finissent en quatre ans. »
Par rapport à cette réforme, quelles sont vos revendications ?
« En tant qu’association, on est assez contents parce qu’on pense que la réforme va dans la bonne direction. Le problème avec cette réforme est qu’elle a été repoussée, pour des raisons légitimes parfois, à cause de la pandémie de Covid et après la crise énergétique liée à la guerre en Ukraine, il y avait des enjeux beaucoup plus urgents que la réforme des doctorats. La réforme devait être déjà appliquée à partir de 2021. Elle devrait être proposée au Parlement cet automne, si je ne me trompe pas, et votée, on espère, au début de l’année prochaine. »
« Difficile de parler de méritocratie »
Quelles sont les conséquences de cette précarité étudiante ?
« Seulement la moitié de tous les étudiants au niveau doctorat arrivent à finir. Et seulement environ 10% de tous les doctorants arrivent à finir dans le temps envisagé, c’est-à-dire en quatre voire cinq ans, à peu près. Ça ne fonctionne pas vraiment. L'Université reçoit un montant fixe qui est 11 250 CZK par mois pour chaque étudiant doctorant qu’elle accepte. Ça empêche de concentrer le financement, c’est-à-dire pour l’université de prendre moins d’étudiants mais de donner des conditions un peu dignes, réalistes, pour effectuer le travail. L’idée est de casser ce lien, c’est-à-dire que le nouveau système devrait conserver le niveau total de financement accordé à l’Université pour les doctorants tout en donnant plus de liberté aux universités de choisir comment elles vont utiliser ces financements. Il y aura aussi une condition, il y aura un revenu minimal à garantir pour les doctorants à temps plein, qui équivaut à 1,2 salaire minimum tchèque, environ 21 000 CZK, ce qui serait presque le double de maintenant. La réforme devrait être strictement liée au salaire minimum - quand il augmentera, la bourse minimum des étudiants augmentera aussi. »
« L’éducation supérieure se ferme à ceux qui n’ont pas les moyens. Il y a des enquêtes qui montrent qu’il y a des gens qui ne considèrent même pas faire des études supérieures, ça devient une forme de privilège et il y a une forme de reproduction sociale des inégalités. Parfois, l’université crée des systèmes de financement dits “de motivation”. Si vous arrivez à avoir des résultats très bons, voire exemplaires, vous touchez un peu plus d’argent. L’effet pervers de ce système est le suivant : qui sont les gens qui arrivent à avoir des résultats excellents ? Ce sont les gens qui ont le privilège de ne pas avoir à payer le loyer, qui ne travaillent pas à côté, ce sont eux qui ont les résultats exemplaires et qui sont rémunérés pour ça. Les gens qui n’arrivent pas vraiment à travailler, et ce n’est pas leur faute, ce n’est pas qu’ils n’ont pas les compétences. Si, au début, on n’a pas les conditions nécessaires pour travailler, c’est difficile de parler de méritocratie ou de financement de motivation. »
Tu parlais du retard de la réforme à cause de la pandémie, quelles ont été les évolutions de la situation des doctorants depuis la pandémie ?
« Les doctorants sont souvent sujets à des conditions négatives en ce qui concerne la santé mentale, et c’est quelque chose que la pandémie a vraiment aggravé, parce que l’un des problèmes de faire une thèse est que c’est une expérience très isolante. Je pense qu’au niveau du stress, la situation s’est beaucoup aggravée, surtout avec la crise énergétique et la hausse du coût de la vie, ça a vraiment empiré la situation, car les bourses n’ont pas suivi l’évolution des loyers, le prix des loyers dans les grandes villes mais aussi en région. C’est devenu encore un peu plus difficile, je pense. »
10 500 CZK mensuel comme base pour un doctorant
Les bourses n’ont pas du tout suivi l’inflation ?
« L’Université Masaryk a un peu augmenté, mais si on regarde à ma faculté, c’est toujours 10 500 CZK depuis que j’ai commencé il y a cinq ans, alors que les prix n’ont rien à voir. En 2021, le prix de la vie pour un doctorant, c’est environ entre 25 000 et 35 000 CZK par mois. Aujourd’hui c’est bien plus que 25 000 CZK (environ 1000 EUR), mais la bourse, elle, est restée à 11 000 CZK. Le ministère de l’éducation donne toujours 11 250 CZK pour chaque doctorant à l’université. Ce montant n’a pas été réévalué depuis plusieurs années, ça n’a pas suivi l’inflation. Le coût de la vie augmente, mais le revenu n’augmente pas. »
Avec tous ces aspects négatifs, est-ce que ce n’est pas décourageant pour commencer un doctorat ? Dans le contexte actuel, avec l’inflation, la crise énergétique, est-ce qu’il y a toujours autant de candidats pour les doctorats ?
« Les gens ne font pas ces études pour gagner de l’argent. C’est bien que la motivation des gens soit qu’ils adorent faire des recherches et qu’ils veulent aider la société à faire avancer la connaissance scientifique, mais c’est un peu dommage que le système, qui est beaucoup basé sur le travail des doctorants, abuse du fait que ces gens soient passionnés. Ce n’est pas seulement au niveau des doctorants : la semaine dernière, les protestations concernaient le niveau de revenu des employés de l’université. Une université dont je ne vais pas citer le nom oblige les doctorants à donner quatre semestres de cours non rémunérés. On dit que ça fait partie des obligations quand on fait un doctorat. Mais c’est beaucoup de travail quatre semestres d’enseignement. Je leur ai demandé s’ils trouvaient ça normal de demander un tel travail gratuitement, parce que la bourse principale doit permettre de faire la thèse, de faire avancer le doctorat. Ils m’ont répondu “Si les gens n’aiment pas les conditions, ils peuvent faire leur doctorat ailleurs”. »
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