Vrbětice : deux explosions, deux morts, deux espions et encore beaucoup de questions
Six ans et demi après la première explosion meurtrière dans un dépôt de matériel militaire, la Russie est désignée comme coupable.
Qui sont les suspects ?
La police tchèque a diffusé samedi un avis de recherche avec les clichés de deux des espions les plus célèbres dans le monde depuis l’empoisonnement au novitchok en Angleterre en 2018 : Alexander Michkine et Anatoli Tchepiga – identifiés dans une impressionnante enquête du site d’investigation Bellingcat.
Le journal Respekt précise que ces deux membres du GRU – le service de renseignement militaire russe – sont venus sous de fausses identités en Tchéquie quelques jours avant la première explosion en octobre 2014, munis de passeports moldave et tadjik. Ces deux hommes, qui avaient accordé un entretien tragicomique à la chaîne Russia Today pour se dédouaner dans l’affaire du novitchok, étaient des membres de l’unité 29155 du GRU, pointée du doigt par l’Europe et les Etats-Unis pour ses activités de sabotage et de subversion ainsi que des assassinats et tentatives d’assassinats.
En 2019, le quotidien français Le Monde révélait qu’une quinzaine des membres de cette tristement célèbre unité avait séjourné à plusieurs reprises en Haute-Savoie, désignée comme « base arrière » de ce réseau d’espions russes, auquel est également imputé le coup d’Etat manqué au Monténégro en 2016.
Pourquoi Vrbětice ?
C’est la question à 1 million de roubles, que certains éléments de l’enquête de la police et du contre-espionnage tchèques, s’ils sont rendus publics, pourraient aider à élucider. D’après les informations publiées dans la presse tchèque, cet entrepôt morave abritait du matériel militaire (armes ou munitions ou les deux) qu’un homme d’affaires bulgare, Emilian Gebrev, s’apprêtait à revendre à des ennemis de la Russie. Soit à l’Ukraine, selon le journal Respekt, soit à des combattants engagés contre le régime de Bachar el Assad en Syrie, selon SeznamZpravy.
Ce marchand d’armes bulgare a lui-même été victime d’un empoisonnement à Sofia en 2015 ; il a survécu mais l’ombre du GRU plane sur cet tentative d’assassinat, indique la BBC.
L’entrepôt de Vrbětice est géré par Imex Group et selon les informations du site iRozhlas.cz tenait plutôt du moulin que de la forteresse, accessible sans difficulté surtout pour des barbouzes – les deux hommes se sont faits passer pour des clients travaillant pour le compte de la Garde nationale du Tadjikistan.
L’explosion aurait-elle dû avoir lieu sur le sol tchèque ?
A priori non, selon les informations distillées depuis samedi soir par le ministre tchèque de l’Intérieur, Jan Hamáček. La bombe à retardement aurait dû se déclencher pendant le transport de la cargaison, peut-être en Bulgarie et peut-être le 3 décembre, date d’une deuxième explosion à Vrbětice, qui n’a heureusement fait aucune victime. La première explosion du 16 octobre a en revanche tué deux hommes qui travaillaient sur le site, Vratislav Havránek et Luděk Petřík.
L’enquête de Bellingcat a établi que c’est exactement à cette période, à la fin de l’année 2014, qu’Alexander Michkine et Anatoli Tchepiga ont reçu des mains de Vladimir Poutine la médaille de héros de la Fédération de Russie, pour des faits d’armes jusqu’ici supposés en Ukraine…
Au début de cette semaine, plusieurs questions restent bien sûr en suspens à Prague qui se retrouve au milieu d’un épisode au parfum de Bureau des Légendes mais bien réel : depuis quand les autorités tchèques savent-elles que les Russes sont responsables de ce drame ? Ces révélations ont elles été coordonnées avec l’administration Biden, comme l’affirme Moscou, qui reproche au gouvernement tchèque « d’avoir même devancé son maître outre-Atlantique » ?
Il y a cinq jours à peine, Jan Hamáček proposait d’organiser dans la capitale tchèque une rencontre entre Joe Biden et Vladimir Poutine, avant d’annoncer qu’il devait s’envoler ce lundi pour Moscou négocier des doses du vaccin Spoutnik V… Tout cela semble bien loin maintenant.
Le week-end écoulé a changé la donne et marque une nouvelle étape cruciale dans l’histoire mouvementée des relations entre Prague et Moscou. Le trentième anniversaire du départ de leur garnison de Bohême des derniers soldats soviétiques, dans deux mois exactement, sera célébré ici dans un contexte très particulier.