Vrbětice : la Haute-Savoie a pu servir de base de repli aux espions russes impliqués

Vrbětice

La responsabilité de la Russie dans l'explosion meurtrière d'octobre 2014 à Vrbětice a été révélée ce week-end par le gouvernement tchèque, qui a pointé précisément du doigt l'unité 29155 du service de renseignement militaire russe, le GRU. Pour en parler sur notre antenne, le journaliste Jacques Follorou du quotidien français Le Monde, dont un article évoquait en 2019 une base arrière logistique en France de cette tristement célèbre unité d'espions russes.

Jacques Follorou | Photo : Devodire,  Wikimedia Commons,  CC BY-SA 4.0 DEED

RPI : On peut supposer que l’implication de l’unité 29155 dénoncée par Prague ne vous a guère surpris…

Jacques Follorou : « En fait, depuis l’affaire Skripal en 2018, c’est vrai que les principales démocraties occidentales ont uni leurs efforts pour essayer de savoir ce que ce commando de tueurs et de saboteurs avait bien pu faire. Il y a eu des partages d’informations, l’empoisonnement au novitchok de Skripal en Angleterre avait été perçu comme une provocation grave et en dépit des règles du secret qui prévalent dans le monde du renseignement un certain nombre de pays avaient uni leurs moyens et c’est vrai que depuis 2018 on essaie tous de savoir ce que les services ont pu trouver. »

Est-ce que cela signifie que dans leur enquête les services tchèques de police et de renseignement ont pu bénéficier de l’aide d’autres services, européens et américains notamment ?

Photo illustrative : Sergiu Nista,  Unsplash,  CC0 1.0 DEED

« Oui, parce que face au renseignement russe… En règle général, le renseignement ne se limite pas à un territoire. La lutte contre les intrusions et ingérences du renseignement russe, civil ou militaire, en Europe occidentale, est multinationale – les agents russes passent de pays en pays – de ce fait il faut déjà que les pays communiquent entre eux pour signaler l’arrivée ou le départ d’un agent connu. Ensuite il y a aussi la nécessite d’accéder à des moyens techniques de renseignement que ne possèdent pas forcément les petits pays mais que peuvent avoir des pays comme la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne et évidemment les Etats-Unis et qui permettent d’intercepter des communications, de surveiller… Tout cela a vraisemblablement nourri l’enquête tchèque révélée récemment. »

Les passeports sous de fausses identités d'Anatoli Tchepiga et Alexandre Michkine qui ont eux aussi séjourné en Haute-Savoie à plusieurs reprises entre 2014 et 2018 selon Le Monde | Photo : NCOZ

Dans le cadre de ces mouvements transfrontaliers des agents russes, vous avez publié un papier en 2019 sur la potentielle base arrière de cette unité 29155 du GRU en Haute-Savoie…

Haute-Savoie | Photo illustrative : Yukof,  Wikimedia Commons,  CC BY-SA 4.0 DEED

« Entre 2014 et 2018, les services français, aidés aussi par leurs partenaires, ont pu mettre en évidence l’existence d’une base arrière pour ce groupe suspecté d’avoir perpétré les sabotages et attentats de Tchéquie. Par sa proximité avec Genève – sorte de ‘trou noir’ au sein de l’espace Schengen – la Haute-Savoie a pu servir de base de repli assez pratique. Géographiquement, cela les plaçait au cœur de l’Europe, les allers et venues sont relativement discrets. Et puis il y aurait, selon les autorités françaises, la volonté des Russes de ne pas agir sur le sol français afin de ne pas attirer l’attention et de conserver une vraie forme de discrétion et de tranquillité pour leurs agissements en Europe. »

Le début du fonctionnement de cette base arrière française est daté en 2014, l’année des explosions de Vrbětice…

GRU | Photo : Ministère de la Défense de la Fédération de Russie,  Wikimedia Commons,  CC BY 4.0 DEED

« Pour le renseignement russe en Europe à partir de 2013/2014 avec la crise ukrainienne et la Crimée, on voit bien qu’il y a une hausse de son activité et de son agressivité qui vont se décliner à la fois sur du cyber-espionnage mais aussi sur des tentatives d’assassinat et du sabotage. Il y a fort à parier qu’un bon nombre de pays sont ont en train d’essayer de trouver les preuves des agissements de ces groupes. Chaque pays utilise ou utilisera ces informations à sa guise selon un agenda et des intérêts politiques particuliers. Là, il est clair que la Tchéquie a décidé de sortir du bois, de révéler ça publiquement. Ce n’est pas forcément le cas d’autres pays, mais c’est vraiment une guerre de l’ombre, à la fois sur le terrain du renseignement mais aussi sur celui de la communication. »