A Prague, les étudiants se mobilisent contre l’exploitation de charbon
Une manifestation pour le climat a été organisée vendredi dernier dans le centre de Prague. En cause, l’autorisation de prolonger l’exploitation de la mine de Bílina à Teplice jusqu’en 2035, soit cinq ans de plus qu’originellement prévu.
Au début de l’année dernière, le gouvernement tchèque avait indiqué, avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qu’il souhaitait créer les conditions nécessaires à l’abandon du charbon d’ici 2033.
Approuvée le 3 avril dernier, la prolongation de l’exploitation de la mine de Bílina jusqu’en 2035 par la société Severočeské doly a donc créé la colère de nombreux activistes et associations luttant contre les changements climatiques. Une soixantaine de manifestants étaient présents le 21 avril, non loin du Château de Prague, pour exprimer leur désaccord.
Johana et Klára, toutes deux âgées de 18 ans, sont activistes au sein de Friday for Future depuis le début de leur scolarité au lycée. Johana explique l'origine de la colère des manifestants :
« Il y a un an, le gouvernement tchèque a promis qu’il s'engageait pour la fin du charbon en 2033. Mais c’est un problème, car si l’exploitation minière se poursuit jusqu’en 2035, c’est le contraire de ce qu’ils nous ont promis. Le gouvernement n'a pas encore réagi et nous trouvons que c’est le reflet de leur inaction climatique. Ce ne sont finalement que des mots sans volonté de réellement faire quelque chose. »
L’inaction du gouvernement est tout particulièrement pointée du doigt en termes d’environnement et de lutte contre le changement climatique. Jan, un étudiant de 21 ans présent à la manifestation, décrit une désillusion quant à la politique actuelle du gouvernement en Tchéquie :
« Nous avons un gouvernement conservateur de droite qui, avant les élections et pour amener les jeunes à voter pour eux, nous avait promis de prendre la question des changements climatiques au sérieux. Mais ils ne l’ont pas fait. Ils sont revenus sur leurs paroles et ils ne font rien pour rendre notre pays durable, et c’est vraiment frustrant parce qu’ils continuent d’utiliser ce discours « sans charbon d’ici 2033 », mais ce n’est pas viable. C’est donc une situation sans issue. Tout le monde ici veut du changement mais c’est vraiment difficile, c’est comme se battre contre un mur de briques. »
Un constat que partage également Klára :
« Chaque ministère se renvoie le problème encore et encore. Actuellement, l’eau est le seul enjeu véritablement évoqué alors même que nous vendons notre futur à Turów par exemple. »
Mine de Turów : une autre source de contestations
L’étudiante fait ici référence à la mine polonaise de Turów, située non loin de la frontière entre la Pologne et la République tchèque.
La Pologne avait autorisé en 2021 l’expansion de l’exploitation minière, malgré les objections de la partie tchèque, suite à de fortes dégradations environnementales et des plaintes des habitants de la zone frontalière. Après que la République tchèque a porté l’affaire devant la Cour de justice de l’UE, cette dernière avait donné raison à Prague.
Après plusieurs années de litiges, la Tchéquie et la Pologne étaient parvenues, au début de l’année 2022, à un accord sur la mine de charbon de Turów. Les pays voisins avaient notamment convenu d’une indemnisation de 45 millions d’euros pour les dommages causés par l’exploitation de la mine. Un accord loin d’être satisfaisant d’un point de vue écologique selon Johana :
« Il y a un gros problème non seulement parce qu’il s’agit d’une mine de charbon - ce qui est très mauvais pour l’environnement - mais aussi parce qu’elle contamine l’eau du côté tchèque de la frontière et du côté polonais de la frontière et qu’elle est très mauvaise pour l’environnement local. Plus tôt ce mois-ci, la Pologne a décidé d’étendre l’exploitation minière à Turów jusqu’en 2044, ce qui est très tardif. Et nous, côté tchèque, depuis que nous avons signé ce fameux accord, nous ne pouvons influencer cette décision d’aucune façon. »
Militer pour une transition énergétique et sociale
Il y cinq ans, le débat portait sur l’arrêt des exploitations minières d’ici à 2100. Aujourd’hui, la fin du charbon tend vers 2035, ce qui est une bonne chose pour Klára et Johana. Mais selon elles, leurs actions au sein de Friday for Future visent aussi à condamner l’inaction face au dérèglement climatique. C’est pour cette raison qu’elles militent pour la transition énergétique et le développement des énergies renouvelables.
« Le développement des énergies renouvelables fait partie intégrante de notre message. Nous militons pour la transformation du système énergétique c’est-à-dire ne plus produire plus que ce dont nous avons besoin. C’est également important pour nous de mettre en avant la justice sociale face à la transformation sociale qu’engendre l’évolution de l’industrie du charbon et des énergies fossiles en général. »
« En Tchéquie, le débat est localisé dans certaines régions qui bénéficient des fonds de l’Union européenne. Mais ces subventions sont versées à de grandes entreprises comme celle de Daniel Křetínský, une des plus grandes fortunes du pays. Il dirige le groupe Energetický a průmyslový holding (EPH). Ses entreprises se font de l’argent sur la crise énergétique. En parallèle, le gouvernement tchèque n’a aucun plan pour la transition énergétique. Ils déclarent que les énergies renouvelables sont importantes. Mais concrètement, il n’y a pas d’action ni de débat. Notre message porte le développement des énergies renouvelables dans le cadre d’une justice sociale. En République tchèque, nous utilisons seulement 17% d’énergies renouvelables. »
Bien que la part des énergies renouvelables dans la consommation totale d’électricité de l’Union européenne soit passée à 37% en 2020 selon Eurostat, la Tchéquie est toujours à la traîne.
« Nous sommes nettement en dessous du potentiel qu’ont les énergies renouvelables et ce que nous pourrions en faire dès maintenant. Nous défendons une justice sociale, car pour mettre en place une transition énergétique il faut également penser aux personnes qui perdront leurs emplois dans les exploitations minières et trouver un moyen de mener une transition juste vers le renouvelable. Notre gouvernement actuel n’aborde pas ces questions. »
La Tchéquie n’est pas en reste en matière d’énergies renouvelables et possède au contraire de forts potentiels en termes de développement d’installations renouvelables. Selon l’Agence tchèque pour l’énergie, la capacité totale des installations photovoltaïques était de 244 mégawatts fin 2020, soit 10% de la capacité de production totale d’électricité nationale. L’énergie hydraulique apparaît également comme une ressource renouvelable exploitable en Tchéquie. En 2020, la capacité totale des centrales hydrauliques était de 3 387 mégawatts soit environ 15% de la capacité de production d’électricité.
Le climat, une affaire de jeunes ?
De manière plus générale, l’activisme climatique semble être plus compliqué en Tchéquie. Si cette opposition à l’exploitation minière de charbon peut être mise en parallèle avec le même type de combat en Allemagne, où l’activisme sur ce sujet est particulièrement important, Johana explique une différence entre les pays post-communistes et ceux d’Europe de l’Ouest :
« En Europe occidentale, en général, les militants ont beaucoup plus de ressources et les gouvernements ont tendance à les écouter davantage. De plus, l’opinion publique tend à être de leur côté, alors qu’en Europe centrale et orientale, nous avons connu 30 ans de totalitarisme, de sorte que les gens ne sont pas aussi enthousiastes à l’idée de confronter les gouvernements et de participer aux débats publics. »
Mais il ne s'agit pas seulement d’une différence géographique et historique. En effet, la grande majorité des manifestants présents sur la place Malostranské náměstí vendredi étaient des étudiants et des lycéens. Une génération particulièrement impliquée et inquiète des divers changements climatiques, tandis que leurs aînés étaient absents. Tereza, une étudiante en conservation de la nature de 24 ans était présente pour protester. Membre de l’organisation « Universities for Climate », elle déplore ce fossé générationnel :
« Je pense qu’il y a beaucoup de sensibilisation, mais il faut agir davantage. Plus de 80% des Tchèques pensent que le changement climatique est un problème et qu’il est nécessaire de réduire les émissions. Mais ils ne savent pas toujours quelles sont les solutions, alors il est important que le gouvernement prenne plus de mesures et qu’il y ait plus d’énergies renouvelables. Je pense que les jeunes sont plus ouverts à de nouvelles solutions et à de nouvelles idées. Mais les autres générations ont parfois peur de perdre le niveau de vie auquel elles étaient habituées. Je pense donc qu’il est important de parler davantage aux générations plus âgées. »