Mine de Turów : un accord source de désaccords

Mine de Turów

Lundi 7 février, le ministère tchèque de l’Environnement a rendu public le texte intégral de l’accord sur le règlement des conséquences de l’exploitation de la mine de Turów, signé jeudi 3 février par le Premier ministre tchèque Petr Fiala (ODS) et son homologue polonais Mateusz Morawiecki. Vu les importantes critiques sur le fond et la forme des négociations, difficile de croire que cet accord va mettre fin aux inquiétudes des écologistes et des habitants de la région frontalière.

Après six années de litiges sur fond de préoccupations environnementales, la République tchèque et la Pologne sont parvenues à un accord sur la mine de charbon de Turów, située côté polonais de la frontière entre les deux pays. Ainsi les pays voisins ont convenu d’une indemnisation de 45 millions d’euros pour les dommages causés par l’exploitation de la mine, ainsi que d’un contrôle judiciaire de cinq ans assuré par la Cour de justice de l’Union européenne. Par ailleurs, la Pologne s’est engagée à construire une paroi souterraine afin d’éviter tout écoulement supplémentaire des nappes phréatiques depuis le territoire tchèque.

Indemnisation, supervision et mesures

Anna Hubáčková | Photo: René Volfík,  ČRo

Optimiste, la ministre tchèque de l’Environnement Anna Hubáčková (KDU-ČSL) admet que si ce mur ne suffira pas en soi à faire revenir les sources d’eaux endommagées à leur état d’origine, l’indemnisation convenue devrait permettre de construire une canalisation d’alimentation en eau. Il s’agirait, toujours selon la ministre de l’Environnement, de la seule façon d’approvisionner en eau les résidents des communes tchèques voisines du site de la mine.

Très satisfait, le Premier ministre tchèque Petr Fiala a pour sa part déclaré : « Je pense que c’est un grand succès. Nous avons réussi à faire tomber un bloc qui pesait sur les relations tchéco-polonaises ces dernières années. »

Mateusz Morawiecki et Petr Fiala | Photo: Archives du Gouvernement tchèque

En effet, voilà déjà six ans que les deux pays s’affrontaient au sujet de cette mine de charbon, dont l’exploitation remonte au début du XXe siècle. Située près de la frontière tchéco-polonaise, la mine fournit du charbon principalement à une centrale électrique voisine. Le groupe PGE, qui possède la mine et la centrale électrique, est le principal employeur de la région, et il prévoit d’y exploiter la mine jusqu’en 2044, date à laquelle ses ressources devraient être épuisées. Les habitants de la zone frontalière se plaignent et s’inquiètent toutefois de la pollution sonore et de la qualité de l’air, des mouvements de terrain et, surtout, du niveau des nappes phréatiques. D’ailleurs, comme le montre le suivi effectué par le Service géologique tchèque, l’eau potable disparaît déjà des puits situés près de la frontière.

L’année dernière, la Pologne a autorisé l’expansion de l’exploitation minière, malgré les objections de la partie tchèque. La République tchèque a alors porté l’affaire devant la Cour de justice de l’UE qui, en mai dernier, a ordonné à la Pologne d’arrêter les travaux. Les Polonais n’ont cependant pas tenu compte de cette décision, remettant d’ailleurs en question l’impact de leur activité sur le territoire tchèque. Le 3 février, la CJUE a donné son accord à l’action tchèque, déclarant que la Pologne avait violé le droit communautaire en négligeant d’évaluer l’impact environnemental de la mine. Le verdict de la justice de l’UE est attendu au printemps.

Mine de Turów | Photo: René Volfík,  ČRo

Entre temps, la Pologne risque une amende pour avoir désobéi à l’injonction d’arrêter l’exploitation minière, amende que la Commission européenne s’apprête à déduire de ses subventions européennes, étant donné que la Pologne refuse de la payer.

Dès après avoir reçu les 45 millions d’euros d’indemnisation prévus par l’accord, le 4 février, la République tchèque a toutefois retiré sa plainte contre la Pologne à la CJUE.

Un accord insatisfaisant, sur le fond et la forme

Toutefois, tous ne se réjouissent pas de l’accord signé par la Pologne et la République tchèque. Greenpeace a immédiatement critiqué le gouvernement Fiala pour avoir négocié l’accord en secret et dans un délai très court, ce que l’ONG a qualifié de scandaleux. Elle n’est pas plus satisfaite du contenu de l’accord, dans lequel elle déplore l’absence de restriction des extractions ainsi que de plan prévoyant la fin de l’exploitation. Or selon l’ONG, l’accord ne devrait pas seulement assurer une indemnisation financière, mais il devrait prévoir une protection réelle de l’environnement en République tchèque.

Mine de Turów | Photo: Greenpeace Polska,  Flickr,  CC BY-ND 2.0 DEED

Initialement, la République tchèque demandait d’ailleurs beaucoup plus : 50 millions d’euros d’indemnisation et dix ans de contrôle judiciaire. Il a néanmoins fallu trouver un compromis avec la partie adverse, qui proposait pour sa part une indemnisation de 40 millions d’euros et deux années seulement de contrôle judiciaire.

L’avocate Petra Urbanová qualifie quant à elle les termes de l’accord « d’insuffisants », d’autant que la paroi convenue ne scellera que l’une des quatre sources souterraines tchèques touchées par l’activité de la mine. De plus, elle estime que, de par la précipitation et le secret dans lesquels il a été négocié, l’accord est contraire au fonctionnement d’un Etat démocratique et de l’Etat de droit.

Zittau | Photo: Botaurus-stellaris,  Wikimedia Commons,  CC BY-SA 3.0

Par ailleurs, les données du Service géologique tchèque montrent que la paroi souterraine (l’une des principales mesures de l’accord) n’aurait pas l’effet escompté : l’eau ne fera que s’écouler par un autre endroit. Ce qui est d’ailleurs confirmé par des documents de la société d’exploitation minière PGE elle-même.

Un peu plus loin à l’Ouest, côté allemand de la frontière avec la Pologne, on s’inquiète aussi : selon une étude, l’extension prévue de la mine vers la frontière tchéco-polonaise pourrait provoquer un affaissement d’un mètre de l’ensemble de la ville allemande de Zittau, située tout proche de la frontière avec la Pologne.

Pacte avec le Diable

D’après l’avocate Urbanová, par la signature de cet accord, la République tchèque a accepté de facto que les dommages continuent à avoir lieu et, par la même occasion, a renoncé au droit de se défendre contre eux à l’avenir.

Luboš Palata | Photo: Radko Kubičko,  ČRo

Dans un commentaire pour la Radio tchèque, le chroniqueur Luboš Palata estime que cet accord est on ne peut plus décevant que l’injonction préliminaire de la Cour de justice de l’UE avait suscité l’espoir de l’arrêt de « l’expansion de la monstrueuse mine polonaise, et peut-être même l’exploitation d’une centrale électrique au lignite tout aussi monstrueuse et polluante ». Il regrette que les Polonais « n’aient pas encore compris qu’il s’agissait d’un crime, et que l’extension de l’exploitation minière et la poursuite de la destruction du paysage n’étaient pas la solution ». Estimant que les Tchèques ont dans ce domaine « quelques longueurs d’avance » sur leurs voisins polonais, dont il déplore le « retard civilisationnel », Luboš Palata admet toutefois qu’il a également fallu à la République tchèque « plusieurs décennies » pour comprendre l’importance d’une approche écologique.

Vues les nombreuses critiques opposées au gouvernement tchèque en réaction à l’accord sur la mine de Turów, on se gardera toutefois bien d’ériger la République tchèque en modèle de respect de l’environnement.

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