A Prague, l’urgence climatique au cœur du Festival arctique 2019
Quelques jours avant la grève pour le climat organisée par les étudiants de la Faculté de lettres de l’Université Charles, s’est tenue la cérémonie d’ouverture du Festival arctique au Carolinum de Prague. L’occasion pour des scientifiques, politiques et autres intellectuels tchèques d’échanger sur les enjeux climatiques, notamment dans la région névralgique qu’est l’Arctique. Leur constat est unanime : l’avenir des Tchèques, qui comptent parmi les plus climato-sceptiques d’Europe, est étroitement lié à celui de la banquise arctique.
En préambule de notre entretien à l’Université Charles, il nous a invités à rejoindre les étudiants tchèques qui assistaient à la projection d’un documentaire visant à les sensibiliser au thème de l’environnement. Présentée sous forme de tutoriel par des Inuits et intitulée « Comment construire un igloo ? », la vidéo en cours a donné le ton d’un festival dont Zdeněk Lyčka précise la raison d’être :
« Tout a commencé l’année dernière à Svalbard sur l’île de Spitzberg où nous avons présenté un groupe de musique avant-gardiste tchèque appelé ‘Už jsme doma’. Ensemble, nous avons préparé des expositions, des pièces de théâtre et des conférences scientifiques. C’était donc une rencontre entre la science et la culture avant-gardiste. Intitulé ‘At home in Svalbard 2018’, le projet a rencontré un franc succès et c’est pourquoi j’ai pensé que ce serait bien d’organiser une suite ici, à Prague. C’est ainsi qu’est né l’Arctic Festival 2019 ! »
Pour l’ensemble des spécialistes qui sont intervenus sur la question environnementale, cela ne fait aucun doute : l’Arctique est une région plus proche de nous que l’on ne le pense… Si l’on en croit Zdeněk Lyčka, les changements de l’écosystème arctique auront un impact à l’échelle mondiale auquel la République tchèque n’échappera pas :
« Tous les scientifiques savent très bien de quoi il retourne. Ce qui se passe là-bas, en Arctique, a des conséquences directes ici, en République tchèque. Les sécheresses, les inondations, les pluies diluviennes : tout est lié, et c’est précisément ce que nos scientifiques étudient. Mais ils cherchent aussi des solutions pour nourrir les générations futures qui peupleront l’Arctique. »Depuis 2007, la République tchèque dispose d’un pied à terre sur l’île norvégienne de Spitzberg, située dans l’océan arctique sur l’archipel du Svalbard, à mi-chemin entre la Norvège et le pôle Nord.
« Nous avons des scientifiques en mission permanente en Arctique, car nous possédons une station de recherches à Svalbard. Leur travail est très apprécié de leurs collègues. Je pense que c’est un bon exemple pour montrer qu’un petit pays comme la République tchèque, sans accès à la mer et sans trop de ressources, peut participer aux progrès dans ce domaine. En Arctique, la fonte des glaces et le changement climatique sont deux fois plus rapides qu’ailleurs. »
Administrée par l’Université de Bohême du Sud, la station tchèque de recherches Svoboda - du nom du professeur et écologiste pragois Josef Svoboda -, accueille des chercheurs et étudiants de diverses nationalités pour étudier les impacts du changement climatique sur l’écosystème arctique, notamment la fonte des glaces et du permafrost.
Par le terme ‘permafrost’, les scientifiques désignent les sols gelés qui couvrent une large partie de notre hémisphère nord et stockent depuis des millénaires des milliards de tonnes de gaz à effet de serre. En fondant, ils risquent de libérer ces gaz, accélérant encore davantage le réchauffement climatique, comme l’explique Hana Šantrůčková, professeure à l’Université de Bohême du Sud :
« Des conséquences dramatiques peuvent venir de l’Arctique puisque la hausse des températures y sera plus importante que celle de notre région en 2100. On s’attend à une augmentation de 8° C dans cette zone ! Cela entraînera la fonte des glaciers, des banquises et du permafrost, dont nous savons qu’il contient une énorme quantité de carbone. Les derniers résultats montrent que le permafrost contient deux fois plus de carbone que l’atmosphère... »Au-delà de ce constat alarmant, c’est une réaction des autorités tchèques mais aussi européennes, qu’espèrent les acteurs du festival. Membre du Programme de l’ONU pour l'environnement depuis 2011 et ancien ministre de l’Environnement tchèque, Jan Dusík fait ainsi un parallèle entre la révolution de Velours - dont est actuellement célébré le 30e anniversaire, et l’émergence d’une conscience climatique tchèque :
« Le régime communiste ne respectait pas l’environnement. Le tournant démocratique d’il y a trente ans est d’ailleurs lié au mauvais état de l’air. Dans certaines régions comme en Bohême du Nord, les gens étouffaient, ils ne pouvaient plus respirer ! Depuis, il y a eu beaucoup de changements au niveau de la législation : c’est beaucoup mieux aujourd’hui, mais des choses restent à faire. De nouveaux problèmes sont apparus, en lien avec la mondialisation, l’augmentation des transports, etc. Ça fait beaucoup, mais la République tchèque est un petit pays au milieu de l’Europe, et les pays européens se doivent de répondre ensemble au défi de l’environnement. »
Pour Jan Dusík, le scepticisme ambiant qui règne en Tchéquie, longtemps alimenté par l’ancien président Václav Klaus, reste un frein au changement et à la responsabilisation, et ce, bien que les rapports scientifiques établissent clairement la contribution humaine au réchauffement climatique.« Je pense qu’il y beaucoup plus de scepticisme en République tchèque sur l’impact du changement climatique et sur la nécessité d’agir : ‘ce n’est pas vrai’, ‘ce n’est pas si grave’, ‘on a déjà fait le nécessaire, pourquoi ferions-nous davantage ?’, ‘pourquoi nous, alors que les États-Unis ne font rien et que la Chine se développe ?’, etc. C’est très simplifié : la Chine et les États-Unis, ce ne sont pas juste les images que vous voyez à la télé, les discours des présidents. C’est beaucoup plus complexe. Il y a beaucoup d’actions menées à travers le monde, mais elles ne sont pas toujours visibles dans l’espace public tchèque. Maintenant, avec le mouvement des Fridays for Future, ça change un peu. »
S’il a ratifié l’Accord de Paris il y un peu plus de deux ans, le gouvernement tchèque ne fait pas pour l’heure de la protection de l’environnement une priorité. En témoigne sa position sur les énergies fossiles. Cela provoque la colère de plus en plus de Tchèques, dont fait partie Hana Šantrůčková :
« Je suis très critique à ce sujet. Je suis convaincue que quelles qu’en soient les raisons, le changement climatique est en cours. Nombre de politiques et d’autorités tchèques ne veulent pas accepter cela. Ils ne veulent pas non plus utiliser les outils nécessaires à la réduction de nos émissions de carbone, dans l’industrie mais pas seulement. Je pense que l’agriculture aussi est très importante, puisqu’elle émet du CO2, c’est pourquoi nous devons passer d’une agriculture intensive à une agriculture plus durable. »Le festival, avec conférences, projections et expositions au programme, se prolonge actuellement à Teplice, ainsi qu’à České Budějovice et Plzeň jusqu’au 31 janvier prochain.
Plus de renseignements sur le site du Festival arctique : https://www.prf.jcu.cz/en/cpe/news/arctic-festival2019.html