Une exposition retrace l’aventure des légions tchécoslovaques

Am 11. Oktober 1914 legte die Kompanie Nazdar in Bayonne das Gelöbnis ab (Foto: Archiv des Militärhistorischen Instituts in Prag)

Dans le cadre des célébrations du centenaire de la fondation de la Tchécoslovaquie, l’Institut français à Prague consacre une exposition aux légions tchécoslovaques pendant la Première Guerre mondiale, inaugurée à la mi-juillet en présence d’historiens tchèques et français. L’occasion de revenir sur le rôle de ces soldats durant le conflit, et en particulier dans la reconnaissance de la Tchécoslovaquie comme Etat indépendant.

Un argument dans la question autrichienne

Antoine Marès,  photo : Ondřej Tomšů
« En utilisant une métaphore matrimoniale, on pourrait dire que la Première Guerre mondiale correspond à la préparation du mariage franco-tchèque après de longues fiançailles, inaugurées à la fin des années 1860 et au début des années 1870, à la suite de la déception tchèque face au compromis austro-hongrois et à la solidarité de Prague avec la France lors de l’annexion bismarkienne de l’Alsace-Lorraine, exprimée le 8 décembre 1870. »

Antoine Marès, historien français, décrit par ces quelques mots le contexte géopolitique entre la France et le peuple tchèque, alors sous l’autorité de l’Empire austro-hongrois, à la veille de la Première Guerre mondiale. Dans ce contexte, des légions de volontaires tchécoslovaques se forment, dès l’été 1914, en France avec la compagnie Nazdar, mais aussi en Russie et en Italie. Ces troupes s’engagent auprès de la Triple-Entente et sont bientôt utilisées comme un argument pour les Tchèques et les Slovaques qui militent pour la création d’un Etat tchécoslovaque indépendant. Antoine Marès :

La Première Guerre mondiale,  photo : Public Domain
« Quand la Première Guerre mondiale éclate, l’opinion publique et le gouvernement français n’avaient ni politique autrichienne ni politique anti-autrichienne, même si la cause tchèque était portée par une vague de sympathie diffuse et largement partagée, mais sans conséquence géopolitique. Dans les milieux universitaires, tout particulièrement chez les slavisants et chez les historiens, chez les protestants, chez les Alsaciens ou à la Ligue des droits de l’Homme, la cause tchèque dispose d’un soutien de plus en plus résolu dans une atmosphère passionnément anti-germanique, qui s’explique par l’air du temps. »

Convaincre l’opinion et les décideurs du bien-fondé du projet tchécoslovaque

Plaque au no 18 rue Bonaparte,  siège du conseil national en 1916,  photo : Donautalbahner,  Wikimedia Commons,  CC BY-SA 3.0
En 1916, Tomáš Garrigue Masaryk, Edvard Beneš et Milan Rastislav Štefánik créent le Conseil national des pays tchèques à Paris, qui devient à l’été de la même année le Conseil national tchécoslovaque. Une institution qui va grandement contribuer au soutien de la cause tchécoslovaque en France, selon l’historien français :

« Dans le domaine de l’information et de la propagande écrite et orale, il s’agissait de convaincre l’opinion et les décideurs français que le maintien de l’Autriche-Hongrie reviendrait, comme le dit Masaryk à Aristide Briand en février 1916, à servir le roi de Prusse, et qu’au contraire, la mise sur pied d’un Etat tchécoslovaque offrirait une barrière anti-germanique et l’obstacle principal à la réalisation du plan pangermanique. »

C’est au printemps 1918 que la position française à l’égard de l’Autriche se précise, suite à un incident diplomatique entre Georges Clémenceau, alors président du Conseil des ministres français, et le comte Czernin, ministre des Affaires étrangères autrichien, avec le dévoilement des négociations secrètes engagées par ce dernier en juillet 1917, sans que l’Allemagne n’en soit informée. Peu après, le 3 mars, le traité de Brest-Litovk met fin aux combats sur le front de l’Est et les légions tchécoslovaques qui y combattaient sont envoyées en France. Dans le même temps, cela libère aussi de nombreux soldats allemands qui peuvent être envoyés sur le front français. L’Entente se trouve alors en difficulté et le rôle des légions étrangères prend de l’importance. La période est alors décisive pour l’Etat tchécoslovaque. Antoine Marès :

Edvard Beneš,  photo : La bibliothèque du Congrès,  Public Domain
« Le 3 mai, le point de vue du gouvernement français est entièrement clarifié à travers une passe d’armes entre le député Marius Routé et le chef du gouvernement Georges Clémenceau, qui annonce la condamnation de l’Autriche-Hongrie. Beneš juge le moment propice pour demander le 28 mai à ce dernier une déclaration nette et précise en faveur des Tchèques. Finalement, Beneš obtient satisfaction le 29 juin avec une lettre par laquelle le gouvernement français reconnait le Conseil national comme l’organe suprême de la nation et la première assise du gouvernement tchécoslovaque. C’est la première fois qu’au sein de l’Entente, on parle de gouvernement tchécoslovaque. »

Reconnaissance nationale et rôle dans la guerre

Le lendemain, 30 juin 1918, le président français Raymond Poincaré reconnait officiellement le droit à l’indépendance de la Tchécoslovaquie à Darney en présence de Beneš. Il remet aux légions tchécoslovaques un symbole fort de cette reconnaissance : son drapeau national. Si le geste est symboliquement fort, il s’agit avant tout pour les autorités françaises de créer une armée tchécoslovaque, qui, ils l’espèrent, augmentera petit à petit en taille comme l’armée polonaise avant elle.

La bataille de la Somme,  photo : Public Domain
L’objectif est ainsi de soutenir l’effort de guerre dans un contexte où rien n’indique une victoire imminente, dans la mesure où les Allemands ont relancé de nouvelles offensives. Dès juillet, l’armée tchécoslovaque est donc incorporée à la 53e division d’infanterie et combat auprès des Français. Elle participe ainsi notamment à la seconde bataille de la Somme ou encore à l’offensive Meuse-Argonne, la dernière de la guerre, de septembre à novembre 1918. Le 28 octobre, la Tchécoslovaquie proclame officiellement son indépendance au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, reconnu dans les quatorze points du président américain Wilson en janvier 1918. Antoine Marès évoque la chute de l’Empire austro-hongrois :

« La guerre et la défaite ont été les catalyseurs des tensions nationales et sociales internes à l’Empire et, ce qui paraissait inenvisageable en 1914, l’était devenu quatre ans plus tard. Le temps s’était en quelque sorte accéléré. »

Traité de Saint-Germain-en-Laye,  photo : Public Domain
Le nouvel Etat tchécoslovaque est reconnu lors du traité de Saint-Germain-en-Laye, le 10 septembre 1919. Prague va alors conserver une relation forte avec la France, comme l’explique Antoine Marès :

« La France, déjà omniprésente comme modèle artistique et culturel en Bohême depuis la fin du XIXe siècle, va le devenir aussi sur le plan politique et géopolitique. Tout cela explique les liens privilégiés de l’entre-deux guerres entre Paris et Prague. Pour reprendre la métaphore matrimoniale du début que le mariage est consommé et que ce mariage sera sans ombre pendant vingt ans, jusqu’à l’infidélité des accords de Munich. »

L’exposition, « Les légions tchécoslovaques pendant la Grande guerre », est à découvrir à la Galerie 35 de l’Institut français de Prague jusqu’au 4 septembre.