« Andrej Babiš essaie de trouver de nouveaux alliés, dont des nationalistes et eurosceptiques »

Andrej Babiš à la Conservative Political Action Conference organisée à Budapest

La participation début mai d’Andrej Babiš à la CPAC (Conservative Political Action Conference) de Budapest a fait grincer des dents jusque dans les rangs du parti ALDE, dont son mouvement ANO fait partie à l’échelon européen. « Les opinions généralement exprimées lors des événements de la CPAC ne reflètent en aucun cas les valeurs fondamentales du parti ALDE et de ses membres », peut-on lire dans un communiqué publié le 28 mai à Bruxelles par cette Alliance des Libéraux et Démocrates pour l’Europe.

Viktor Orban, le Premier ministre hongrois, était le principal orateur lors de ce meeting de Budapest qui réunissait divers profils, de l'ancien chef de cabinet de Donald Trump, Mark Meadows, au chef du RN français Jordan Bardella en passant par l'ancien Premier ministre slovène et donc Andrej Babiš, présenté comme un "entrepreneur à succès et un leader conservateur"

Responsable du bureau de Bruxelles de la Fondation Schuman, Eric Maurice revient sur ce nouvel épisode dans la trajectoire de l’ancien chef du gouvernement tchèque.

Eric Maurice | Photo: YouTube

« Je pense que cela entérine une évolution qu’on a pu observer depuis plusieurs années, y compris quand Andrej Babiš était Premier ministre. Il s’est éloigné depuis longtemps des principes et des valeurs qui forment le parti ALDE - qui est représenté par le groupe Renew au Parlement européen. Cela fait longtemps qu’Andrej Babiš est un peu marginal et marginalisé au sein de ce groupe, même s’il dispose de plusieurs députés européens influents. On sentait depuis longtemps qu’il n’était plus au centre du jeu dans ce groupe parlementaire, et qu’il était très éloigné de ses valeurs. C’est donc une confirmation de ce qu’il est devenu aujourd’hui ».

Paradoxalement, les députés européens issus du mouvement ANO d’Andrej Babiš s’en sortaient plutôt bien dans l’enceinte du Parlement et au sein de Renew. Mais à l’heure actuelle, cet épisode semble marquer une certaine rupture…

« Oui, et je crois même que lors des dernières élections européennes en 2019, on se posait déjà quelques questions sur le positionnement du Premier ministre et des eurodéputés, et surtout les femmes députées qui représentaient le mouvement ANO au Parlement Européen. Je pense notamment à Dita Charanzová ou Martina Dlabajová qui sont plutôt influentes avec une image positive. On peut également citer la vice-présidente de la Commission européenne issue du mouvement ANO, Věra Jourová. Mais on voit bien qu’Andrej Babiš n’a plus grand-chose à avoir politiquement avec ses représentantes à Bruxelles ».

Andrej Babiš et Viktor Orbán | Photo: Bureau du Gouvernement tchèque

Ce rapprochement du mouvement ANO dans le sillon de Viktor Orban était donc une évolution que l’on sentait venir…

« Oui. On a bien observé ces dernières années que le positionnement européen d’Andrej Babiš a toujours été éloigné du groupe centriste, avec ses attaques contre la presse, les discours populistes, y compris sur la question de l’immigration. Dans les faits, tout cela le rapprochait de Viktor Orban plutôt que d’Emmanuel Macron (dont le parti est membre du groupe Renew, ndlr), voire du leader historique du parti ALDE et ancien Premier ministre belge, Guy Verhofstadt. Qu’il aille à ce congrès de Budapest organisé par Viktor Orban est une conséquence logique de cette évolution, et cela confirme ce que l’on soupçonnait depuis quelques années. Aujourd’hui, il n’est plus Premier ministre et il a échoué aux élections présidentielles tchèques. Peut-être qu’il se sent davantage libre de ses mouvements, qu’il n’a pas à ménager ses anciens alliés politiques et qu’il essaie de trouver de nouveaux alliés, dont des nationalistes et eurosceptiques, en vue des élections européennes de l’an prochain. J’ai plutôt l’impression qu’avec l’élection de Petr Pavel et le gouvernement actuel, l’évolution du climat politique est bien notable et ce ne sera pas favorable à ses ambitions. »

Andrej Babiš s’est défendu dans la presse tchèque ce lundi, en affirmant que ce communiqué du parti ALDE émanait d’un « petit mouvement négligeable de l’opposition hongroise ». Cela vous parait-il plausible ?

« Oui. On sait que le mouvement hongrois Momentum est représenté dans le groupe Renew au Parlement européen. Puisque l’on parlait des valeurs, ce mouvement d’opposition hongrois et les membres polonais du parti ALDE sont représentants de ce combat pour les valeurs européennes et l’État de droit. Que ce mouvement hongrois soit écouté au sein de son parti, à en juger par le contexte politique en Hongrie, n’est pas anormal ou inattendu. Et que le parti réagisse parce qu’un membre d’ALDE se rapproche de Viktor Orban, qui est l’adversaire politique des représentants de Momentum, est tout à fait normal. Le parti défend ses valeurs. »