Août 1968 à Liberec

21 août 1968 à Liberec, photo: www.68.usd.cas.cz
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Il y a 41 ans, dans la nuit du 20 au 21 août 1968, les chars soviétiques écrasaient le Printemps de Prague mettant fin à la tentative poussée de réforme et de promotion d’un socialisme à visage humain en Tchécoslovaquie, satellite de l’URSS.

Une reconstitution détaillée des premières heures et des premières journées de l’occupation en 1968 à Liberec, ville dans le nord de la Bohême, la plus touchée, après Prague, par l’invasion soviétique qui a fait ici sa première victime et par laquelle les chars soviétiques avançaient de l’ex-RDA et de Pologne vers l’intérieur du pays, ainsi que des souvenirs personnels de témoins directs dont Přemysl Sobotka, l’actuel président du Sénat, ou l’ex-président Václav Havel qui se trouvait à Liberec au moment de l’invasion : tout cela est décrit dans l’ouvrage « Août 1968 à Liberec » paru 40 ans après l’invasion grâce aux documents retrouvés et réunis par ses auteurs dont l’historien Jindřich Marek, notre invité aujourd’hui:

« Dès les premières heures matinales du 21 août, on a compté les premiers blessés et morts à Liberec. J’ai vécu ces moments fatidiques à Karlovy Vary où nous avons été témoins du fait que la plupart des soldats soviétiques ignoraient totalement qu’ils se trouvaient sur le territoire de la Tchécoslovaquie. Tous ces simples soldats étaient mal informés, désorientés, et comme ils ne comprenaient pas les gestes spontanés des gens, leurs cris – allez-vous-en, leurs menaces le poing levé, ils ont réagi brutalement. Liberec a vécu deux vagues de violences : la première dans la matinée du 21 août, lorsque les premiers coups de feu ont été tirés, puis à midi, un massacre s’est produit sur la place centrale de Liberec : un char soviétique a heurté les arcades de l’une des maisons. Neuf habitants de Liberec ont trouvé la mort dans cet accident qui a fait des dizaines de blessés graves. Dans l’équipe de médecins qui les ont soignés il y avait le jeune docteur Přemysl Sobotka, l’actuel président du Sénat. »

Le président du Sénat,  Přemysl Sobotka
Přemysl Sobotka n’en parle que rarement, mais cette expérience l’a marqué pour le reste de sa vie, comme il s’en est confié lors d’un récent colloque sur août 1968 qu’il avait initié :

« Quand on vit les premières heures de cette occupation en tant que médecin qui commence sa carrière en soignant des blessés et en regardant les corps de ses concitoyens assassinés, on ne peut rester indifférent vis-à-vis des événements d’août 68. Même plus de 40 ans après… »

Les médecins et les infirmières qui ont alors soigné les blessés à l’hôpital de Liberec ont été confrontés à ce qu’on appelle la chirurgie de guerre. Ils se sont retrouvés confrontés à la nécessité d’appliquer leurs connaissances théoriques à la prise en charge des traumatismes spécifiques aux situations de guerre :

« Le premier jour de l’occupation, 45 personnes blessées ont été transportées à l’hôpital. Leur transport était particulièrement dangereux pour les conducteurs ambulanciers car les soldats soviétiques tiraient sur tout ce qui bougeait, même sur les ambulances de secours. Les piétons comme les chauffeurs ambulanciers dans les rues de Liberec occupé couraient le risque de se faire tuer. »

La situation à Liberec s’est calmée au bout de 24 heures après l’invasion. Les habitants n’ont toutefois pas cessé d’opposer une résistance qui a revêtu des formes multiples et parfois bien spécifiques, raconte Jindřich Marek :

« Ce qui est déjà intéressant, c’est l’engagement des campeurs qui étaient pendant l’été 1968 de passage dans la région. Václav Havel qui se trouvait avec l’acteur Jan Tříska à Liberec au moment de l’invasion soviétique, se souvient que les campeurs avaient soutenu les habitants de Liberec dans leur résistance et prenaient part aux émissions télévisées clandestines. Dans son livre ‘Interrogatoire à distance’ Václav Havel écrit que les campeurs apportaient de l’aide au comité national de Liberec, qu’ils formaient des patrouilles et enlevaient des plaques avec les noms de rues, ainsi que des panneaux de signalisation pour tromper et désorienter les occupants. »

Autre forme d’opposition spécifique aux occupants soviétiques à Liberec - les émissions télévisées du Studio Nord diffusées à partir de l’émetteur de Ještěd :

« Un studio provisoire aménagé par le rédacteur des Foires de Liberec, Miroslav Hladík, en collaboration avec des techniciens, diffusait des appels destinés aux habitants de Liberec. Ils ont réussi à le maintenir en service, en dépit des tentatives des Russes de le faire taire. Aujourd’hui, on sait que c’était le dernier émetteur libre en Tchécoslovaquie occupée. Tous les émetteurs voisins ont été mis hors service et celui de Ještěd a été le dernier à pouvoir diffuser. »