Après le littoral croate, une marée tchèque sur les côtes polonaises ?
Longtemps boudées par les Tchèques, les plages polonaises de la mer Baltique connaissent un regain d’intérêt et attirent de plus en plus de touristes tchèques depuis quelques années. La flambée des prix, les températures suffocantes et la forte affluence sur le littoral croate pourraient conforter cette nouvelle dynamique.
Le bruit des vagues, le sable fin, la chaleur estivale, non, nous ne sommes pas en Croatie, mais bien sur les rives de la mer Baltique en Pologne. À en croire les dernières statistiques, les Tchèques sont de plus en plus nombreux à privilégier les plages de leur voisin slave du nord pour passer leurs vacances. La moindre fréquentation, le coût abordable de l’hébergement et de la restauration, la douceur du climat et l’offre touristique sont parmi les principaux atouts de la région. Interrogé par Forbes.cz, Ladislav Veselý, le directeur du portail tchèque Slevomat, indique que « pour la première fois, […] la Pologne fait partie des destinations estivales les plus populaires. Sur un an, les ventes de séjours en Pologne ont augmenté de 50 % ». Confirmation de cet intérêt croissant, l’Organisation polonaise du tourisme (Polish Tourism Organisation) a même ouvert une antenne cette année à Prague. Contacté par Radio Prague International, son responsable, Pavel Trojan, se veut confiant et s’attend à ce que la dynamique observée se poursuive :
« La mer Baltique est très romantique. Elle offre des centaines de kilomètres de marais, de côtes et de plages ; des paysages très différents de l’Adriatique où la plupart des Tchèques vont chaque année. On y trouve une nature splendide, des parcs nationaux, des châteaux et des villes historiques comme Gdańsk ou Szczecin. La région a une histoire complexe mais passionnante. Beaucoup de nations ont peuplé la côte qui appartient aujourd’hui à la Pologne. »
De plus, à l’instar de la France, où certains vacanciers délaissent les plages de la Méditerranée pour celles de Bretagne ou de Normandie, où le climat est plus soutenable l’été, les Tchèques pourraient à l’avenir être plus nombreux encore à se laisser séduire par la Baltique comme destination estivale. Pour Markéta, une Tchèque partie en famille il y a quatre ans découvrir la péninsule de Hel et les plages de la Baltique, l’expérience a été convaincante :
« C’est un endroit idéal au regard des étés particulièrement chauds que nous vivons. Les plages du nord peuvent s’avérer plus attrayantes que celles du sud où il fait 40 °C. Certes, quand nous y sommes allés, il ne faisait pas si chaud et la mer était plutôt froide, mais nous avons pu nous baigner. Le temps n’était pas pleinement estival, il faisait autour de 20 °C. Certains jours nous nous baignions et d’autres nous voyagions et faisions des visites. Je garde un bon souvenir de la Baltique, bien qu’elle ait été froide. Là-bas, les plages de sable n’étaient pas noires de monde. Il y avait cependant beaucoup de vagues, ce qui est moins fréquent dans le sud, en Croatie, en Italie ou sur l’Adriatique de façon générale. »
La Pologne a su tirer profit de la crise sanitaire
Paradoxalement, l’intérêt des Tchèques pour la Pologne s’est développé à la faveur de la récente crise sanitaire. Grâce à des conditions d’entrée sur son sol plus souples que ses voisins, la Pologne a attiré une nouvelle clientèle de touristes désireux de partir à l’étranger. Or, la conurbation de Gdynia, Sopot et Gdańsk – les « Trois Villes », comme elles sont appelées en Pologne – et leurs alentours réservent de belles surprises à ceux qui les découvrent, comme en témoigne Markéta :
« Concernant le pays en lui-même, j’ai apprécié certaines excursions notamment à Gdańsk - une splendide ville historique – et dans une réserve naturelle [ndlr – le parc national de Słowiński] où l’attraction principale est une immense dune qui se déplace au cours de l’année et que vous pouvez gravir. Pour nous, il s’agissait d’une vraie curiosité. C’était plaisant de louer un vélo et de faire un tour. »
Outre le « Sahara polonais » évoqué par Markéta, Pavel Trojan recommande également aux visiteurs de passage la moins connue mais tout aussi séduisante embouchure de la Vistule :
« Je vais vous confier un secret. A l’est de Gdańsk, il y a une région de la Poméranie nommée Żuławy Wiślane (les marais de la Vistule), où vivaient autrefois de nombreux Hollandais. Ils se sont installés là car à certains endroits, les terres sont situées sous le niveau de la mer. Les dirigeants polonais avaient donc besoin des Hollandais et de leur savoir-faire pour dompter ces terres inhospitalières. Il y a encore aujourd’hui de nombreuses ‘maisons hollandaises’, comme on les appelle. L’endroit reste préservé du tourisme de masse. »
En Croatie, les touristes moins nombreux
Si la tendance devait se confirmer, ce serait un changement majeur dans les coutumes des Tchèques, habitués depuis des décennies à affluer l’été sur le littoral croate. Toutefois, l’inflation commune à tous les pays du continent couplée à la hausse des prix depuis l’adoption de l’euro par la Croatie le 1er janvier dernier, a dissuadé certains vacanciers tchèques de venir goûter aux charmes du littoral adriatique. Selon les estimations, les prix, en glissement annuel, auraient bondi d’environ 14 % dans l’ex-république yougoslave, contre 6 à 8 % pour l’Italie, l’Espagne ou la Grèce.
Un patrimoine polonais encore sous-estimé
Il y a quelques années encore, la simple idée de passer les vacances d’été en Pologne aurait laissé sceptique plus d’un Tchèque. Ces derniers ont longtemps manifesté une forme d’indifférence, voire de condescendance, à l’égard de leur voisin d’outre-Silésie. Pourtant, la Pologne de 2023 n’a plus rien à voir avec celle des années 1980, aux routes endommagées et peuplée de paysans dans l’imaginaire collectif tchèque.
Preuve de ce désintérêt des Tchèques pour leur voisin polonais, le sous-investissement chronique dans le domaine des transports pour faciliter la circulation entre les deux pays. La situation tend néanmoins à s’améliorer progressivement. Depuis cette année, des trains partent chaque jour de Bohumín, en Moravie-Silésie, pour le littoral polonais et un axe routier Ostrava-Gdańsk vient d’ouvrir comme le rapporte Pavel Trojan du Polish Tourism Organisation :
« Cette année, la toute première autoroute reliant la République tchèque à Gdańsk depuis Ostrava a été inaugurée. Il faut environ cinq heures et demie pour relier les deux villes. C’est une aubaine pour les Moraves. À présent, aller sur le littoral polonais devient une sortie du week-end, alors qu’avant un tel projet nécessitait une journée de route et requérait de prendre au moins sept jours de congé pour être sûr de vraiment profiter de la destination. »
Pour les Pragois, en revanche, à défaut de prendre l’avion, une dizaine d’heures de route, en voiture ou en bus, restent nécessaires pour une escapade sur le littoral de la Baltique. Aucune ligne directe de train n’est encore proposée depuis Prague. Le tronçon ferroviaire devant raccorder la capitale tchèque, via Hradec Králové en Bohême de l’Est, au réseau ferré polonais et ainsi établir une liaison directe avec la ville de Wrocław située de l’autre côté de la frontière, est toujours à l’étude. La jonction autoroutière devrait précéder celle ferroviaire. Le permis de construire pour le prolongement de l’autoroute D11 depuis Jaroměř (région de Hradec Králové) jusqu’à la frontière tchéco-polonaise a, en effet, tout juste été obtenu.
La Pologne a-t-elle alors vocation à devenir « la nouvelle Croatie » comme le titrait le magazine Forbes.cz ? Il en faudra sûrement encore davantage pour convaincre les Tchèques de déserter les plages de l’Adriatique. Dans une entrevue publiée sur X (Twitter), avant son départ en congé, le Premier ministre tchèque, Petr Fiala, a confié qu’il partirait, lui, comme à son habitude, en famille et avec des amis en Croatie. Et vous, seriez-vous prêts à vous laisser tenter par l’appel de la Baltique ?