Confinement : « J’étais fière de voir les Tchèques se débrouiller tout seuls, ça m’a manqué en France »

Magdalena Rejžková, photo: Magdalena Hrozínková

Comment les Tchèques vivant à l’étranger ont-ils vécu la crise sanitaire et le confinement dans leurs pays respectifs ? Ont-ils pensé à rentrer en Tchéquie ? Pourquoi ont-ils fait le choix de finalement rester ? Ces questions et d’autres encore, Radio Prague Int. les a posées à Magdalena Rejžková, auteure d’un livre sur Marseille où elle vit depuis quelques années et d’un recueil de témoignages de Tchèques en France, paru l’an dernier. Elle s’est d’abord remémorée les premiers jours du confinement en France.

Magdalena Rejžková,  photo: Magdalena Hrozínková

« J’avoue que j’ai un peu de mal à me souvenir du début du confinement. J’ai l’impression que ça s’est passé il y a un an. J’étais à Marseille, je suivais donc la situation en France, en République tchèque mais aussi en Italie parce que j’ai pas mal d’amis italiens. J’ai commencé à respecter certaines règles avant l’annonce du confinement. Mais je suis quand même allée voter car c’était la première fois où je pouvais le faire en France. Je voulais y aller. Au tout début, ça allait. Je crois que la première moitié du confinement s’est bien passée pour moi. Je suis habituée à travailler à la maison, donc je me suis dit que j’allais terminer les choses que je voulais faire. Mais après, ça a changé, et vers la fin j’ai assez souffert. »

Prague a appelé ses ressortissants partout dans le monde à rentrer au pays, et des missions de rapatriement ont même été organisées. Avez-vous songé à rentrer en Tchéquie ? Pourquoi ne pas l’avoir fait ?

Marseille,  photo: Martin Stiburek,  CC BY-SA 4.0
« J’ai beaucoup réfléchi à cela. C’est vrai qu’ayant suivi la situation en Italie, j’avais une certaine forme de respect vis-à-vis de ce virus. J’avoue que l’idée de prendre l’avion, de croiser des gens pendant un éventuel voyage, m’a effrayée. J’avais peur de transmettre le virus également. Je me suis dit que le mieux était de rester en France. A ce moment-là, comme beaucoup de monde, je pensais que cela durerait deux ou trois semaines. En plus j’avais été à Prague au mois de janvier donc je me suis dit que j’allais attendre ces deux ou trois semaines, pour voir comment cela allait évoluer. Personne n’imaginait que ça durerait si longtemps. »

Connaissez-vous des Tchèques en France qui l’ont fait ? Savez-vous quelles étaient leurs motivations à rentrer ?

« Je pense que cela dépend de la situation personnelle de chacun. Je connais les deux cas de figure : des Tchèques qui sont rentrés en République tchèque parce qu’ils y ont une maison avec jardin alors qu’ici ils ont des petits appartements. Ils se sont dit qu’ils pouvaient travailler depuis là-bas. Je connais aussi des Tchèques qui ont fait l’inverse, qui se sont précipités pour rentrer en France, comme les filles qui ont des petits copains ici. »

Avez-vous été bien informée par les autorités tchèques en France ?

« Si je me souviens bien, je n’ai pas reçu d’information officielle. Mais c’est vrai que je n’en avais pas trop besoin, je savais que j’allais rester en France. Mais quand j’ai cherché, j’ai toujours trouvé des réponses. Evidemment, il n’y avait pas que les autorités tchèques qui fournissaient des informations. Le fameux groupe Petite Prague sur Facebook a été très vivant pendant ce temps-là : de nombreuses personnes discutaient de toutes les questions autour du confinement, des masques. Là, c’était vraiment possible de trouver plein de réponses aux questions de tout le monde. Sinon chacun pouvait chercher aussi de son côté. »

Qu’est-ce qui vous a semblé le plus dur à vivre pendant le confinement en France ?

Photo illustrative: congerdesign/Pixabay,  CC0
« Comme je le disais au début, j’ai assez bien vécu la première partie du confinement. Mais à partir du moment où Emmanuel Macron a déclaré que ça allait encore durer un mois, ça m’a cassé le moral. J’ai commencé à un peu déprimer. En plus, je suis tombée un peu malade, ensuite les frontières ont fermé. Je crois que c’était ça le plus dur au niveau psychologique. En plus je n’ai pas de voiture, pas beaucoup d’argent non plus. Il n’y avait donc aucune possibilité de rentrer en Tchéquie. C’était une situation exceptionnelle. Même si je vis en France, dans ma tête j’ai toujours cette idée que s’il se passe quelque chose, je peux prendre l’avion le lendemain. Cette possibilité a disparu à ce moment-là. J’ai un peu paniqué à l’idée qu’il se passe quelque à quelqu’un en République tchèque et que je ne puisse pas y aller… Mais aussi l’inverse : imaginons que je tombe malade, je serais toute seule en France. C’était un peu dur, je me sentais loin et fragile en quelque sorte. »

A la différence de la Tchéquie, toute sortie, hors travail et courses, pendant le confinement était limitée à un rayon d’1 km, aujourd’hui on est passé à 100 km, et une attestation dérogatoire est nécessaire pour tout déplacement. Que vous inspirent ces mesures qui n’ont pas été mise en place en Tchéquie ?

« Personnellement, j’ai vécu assez mal ces attestations, ces périmètres d’1 km, comme la plupart des gens j’imagine. Ma vie se passe beaucoup à l’extérieur, j’aime bien bouger etc. Mais c’est vrai que quand je voyais les Français avant le confinement, alors que le virus était là et circulait, j’avais l’impression que beaucoup de gens étaient indifférents, qui ne prenaient pas cela au sérieux. Du coup, ça ne m’a pas trop étonnée qu’il y ait eu des mesures assez strictes. Même si officiellement nous étions limités à 1 km, beaucoup de gens, moi comprise, ont bougé dans un périmètre plus large de 2 ou 3 km. S’il n’y avait pas eu cela, les gens n’auraient rien respecté du tout. Je pense que c’était un peu nécessaire, mais c’était dur. Je suivais au même moment mes amis tchèques sur les réseaux sociaux. J’étais très jalouse de voir les gens qui faisaient du vélo à la campagne, qui étaient dans la nature… C’était un peu dur ! »

Comment jugez-vous la communication du gouvernement français pendant le gros de la crise sanitaire ? Et maintenant ?

Emmanuel Macron,  photo: ČTK/AP/Ludovic Marin
« Par rapport à la communication, je pense qu’il y a deux niveaux : le contenu et le style. Si on parle du contenu, j’avoue que j’ai trouvé les messages du gouvernement un peu flous, ou même ceux du président où il disait, dans son premier discours : il faut rester à la maison, mais en même temps, il y a des élections, allez voter. Pareil pour les masques : pendant le confinement, le gouvernement disait qu’ils étaient inutiles et soudain, ils sont obligatoires dans les transports. Je suis assez prudente par rapport à ces messages et je n’ai pas particulièrement confiance dans les capacités sanitaires de la France. Par contre, si on parle du style : par rapport à la République tchèque, j’ai préféré la façon de communiquer d’Emmanuel Macron qui parlait aux habitants comme à des gens responsables. Alors que le gouvernement tchèque a eu, je trouve, un discours très autoritaire, et qui servait davantage à montrer son pouvoir. »

En France, l’obligation de porter un masque n’est venue qu’avec le déconfinement et elle est valable uniquement dans les transports. En Tchéquie, le port du masque a été imposé dès le début, et aujourd’hui, au contraire, l’obligation s’assouplit progressivement : en France, avez-vous commencé à porter un masque dès le début « à la tchèque », ou avez-vous suivi le modèle français ?

« Je dirais que j’ai combiné les deux modèles. Au début du confinement, en mars, ma sœur m’a envoyé un masque par la poste. Mais comme la poste ne marchait pas vraiment je ne l’ai reçu qu’à la fin du confinement. Heureusement une copine tchèque de Marseille m’en a fabriqué un. J’en avais besoin parce que pendant le confinement j’ai participé à la distribution de repas pour les SDF. C’était donc obligatoire et j’ai pris l’habitude de le porter à ce moment-là : ensuite je le portais dans les supermarchés ou dans les espaces fermés. Mais en me promenant dehors, je ne le mets pas parce que j’ai estimé que ce n’était pas forcément nécessaire. »

Photo illustrative: MirceaIancu,  Pixabay,  CC0 1.0 DEED
Une info qui a fait du bruit jusqu’en France, c’est la fausse affaire des masques destinés à l’Italie et qui auraient été volés par la Tchéquie : quels échos en avez-vous vu au moment de cette histoire qui a été répercutée dans les journaux français ? Avez-vous été interrogée dessus par vos connaissances en France ?

« J’ai des amis italiens à Marseille comme je le disais. J’ai appris cette histoire par eux avant qu’elle n’apparaisse dans la presse française. C’est vrai qu’ils étaient choqués, d’autant que l’Italie se sentait déjà abandonnée par l’Union européenne pendant la crise. Même moi, je n’avais pas le détail de l’histoire quand ça a paru dans les journaux. Plus tard, j’ai essayé de leur expliquer que la réalité était un peu différente. Comme ça arrive souvent dans les médias, on se souvient de la première information mais on ne suit pas ce qui se passe après. Donc malheureusement, ça reste un peu dans les esprits que les Tchèques ont volé des masques. Seule la première information est restée. »

En tant que Tchèque en France, vous avez une opinion sur les deux pays et leur gestion de la crise sanitaire… Comment les jugez-vous ?

J’ai été surprise par ce comportement, par le fait que les Français disent que le gouvernement ne faisait rien : dans cette crise, il n’y avait pas que le gouvernement qui devait agir, mais tout un chacun devait choisir une façon de réagir.

« Pour parler de la gestion de la crise sanitaire, je pense que c’est différent si on parle du gouvernement ou des gens. En République tchèque, j’ai trouvé le style du gouvernement très autoritaire, très strict, notamment avec la fermeture des frontières. Mais peut-être que finalement ça a plutôt bien marché cette stratégie. Au niveau des Tchèques, des gens ordinaires, j’ai été surprise de voir comme ils se sont tous mis à fabriquer des masques, à être responsables. J’ai été agréablement surprise, je dois dire que je ne m’attendais pas à ça. J’ai même été assez fière que les gens se débrouillent tout seuls et comme ils le pouvaient. Ça m’a manqué en France, je dois dire. J’étais déçue de voir que les gens ne prenaient pas les choses au sérieux, qui estimaient que c’était une atteinte à leurs libertés. Pour moi, pendant cette crise, cette liberté s’est plus apparentée à de l’égoïsme parce qu’on parle ici de protéger les autres. J’ai été surprise par ce comportement, par le fait que les Français disent que le gouvernement ne faisait rien : dans cette crise, il n’y avait pas que le gouvernement qui devait agir, mais tout un chacun devait choisir une façon de réagir. On peut toujours se plaindre des gouvernements mais il faut commencer aussi par soi-même. Je pense que l’avenir dira si c’est la France ou la République tchèque qui a mieux géré la crise. Pour l’instant, je pense que les décisions tchèques, plus autoritaires, mais avec un confinement moins strict ont mieux marché. En France, le confinement a été assez dur, mais peut-être était-ce parce que les gens étaient moins ‘obéissants’ et que c’était le seul moyen d’arrêter les choses. J’ai du mal à juger, mais il était intéressant d’observer la situation dans les deux pays. »