La vie (rêvée) des Tchèques en France

'Sans travail, pas de baguette', photo: Garamond

Installée à Marseille depuis plusieurs années maintenant, Magdalena Rejžková vient de sortir un deuxième livre, compilation d’entretiens réalisés avec plusieurs de ses compatriotes installés dans l’Hexagone. Venus d’horizons différents et pour des raisons diverses en France, tous s’efforcent de réfléchir sur le rapport avec leur pays d’accueil et celui de leur naissance.

Magdalena Rejžková, bonjour. Nous nous sommes déjà rencontrées à plusieurs reprises, et notre collègue Magdalena Hrozínková a eu l’occasion de dialoguer avec vous sur Radio Prague quand vous avez publié un petite guide sympathique de Marseille nommé Chtěj Marsej. Vous avez publié au mois de juin un nouvel ouvrage aux éditions Garamond qui se traduit en français par « Sans travail, pas de baguettes » (Bez práce nejsou bagety). Est-ce que vous pourriez résumer la genèse de ce projet ?

Magdalena Rejžková,  photo: Archives de Magdalena Rejžková
« L’idée est venue il y a deux ans mais j’ai réellement commencé il y a à peu près un an et demi. La motivation est venue lorsque je me suis rendu compte que je vivais réellement en France : à l'origine je ne devais être à Marseille que pour un stage de six mois et j’ai décidé de rester ensuite. Je me suis retrouvée dans ce territoire inconnu où vous vous éloignez de la République tchèque mais vous ne faites pas encore totalement partie de la société française et vous ne serez d’ailleurs jamais réellement française, une situation que beaucoup de Tchèques vivant en France connaissent. Quelque chose se passe avec votre identité : vous vous posez des questions et comparez tout le temps pour savoir si les choses sont mieux en France ou en République tchèque. Je cherchais un peu ma place, j’ai rencontré des Tchèques durant mon séjour à Marseille et j’ai vu que nous avions des problèmes en commun, même si nous n’abordons pas les différences culturelles de la même manière. »

Et il y a également des parcours différents…

« Oui. Et c’est intéressant de voir comment vivent les Tchèques en France : est-ce qu’il n’y a que moi qui vois certaines choses ou tous les Tchèques le ressentent également ? Je trouvais que les Tchèques que de Marseille avaient des parcours intéressants d'où l’idée du livre. Mais je ne voulais pas rester seulement sur Marseille. »

Vous avez donc lancé un appel à témoignages pour collecter les différents entretiens de votre livre. Combien de personnes avez-vous contacté, combien en avez-vous rencontré et combien de témoignages avez-vous gardé ?

'Sans travail,  pas de baguettes',  photo: Garamond
« Au total il y a 17 entretiens, mais on trouve quelques couples, qu'il s'agisse de couples tchèques ou franco-tchèques, soit une vingtaine de personnes dont des Français partenaires de Tchèques. Je ne sais pas combien d’offres j’ai pu obtenir au total. J’ai lancé des annonces sur Internet, sur les réseaux sociaux comme par exemple sur les groupes du type ‘les Tchèques en France’. Ça s’est fait beaucoup par le bouche à oreille. J’ai fait ça pendant toute l’année en voyageant et je trouve très sympathique d’avoir profité du hasard et des coïncidences. Le livre est bien sûr basé sur des histoires de Tchèques vivant en France mais aussi sur différents chemins de vie, des parcours et je pense que dans la vie, on rencontre des gens comme ça. »

Quelle était la motivation des personnes à répondre à vos questions, à parler de leur parcours?

« Quand j’ai formulé mes annonces, j’ai un peu écrit que je cherchais des gens aux parcours fous, intéressants, originaux. Je pensais tomber sur des gens ayant quitté la République tchèque sur un coup de tête, vendant leur voiture ou d’autres arrivant en France en voiture, dormant deux semaines dedans... Ce type de personnes a compris, a su que je voulais garder l’idée de voyage, de l’aventure. Certains Tchèques également - je ne sais pas si c’est le cas des Tchèques de mon livre -, mais les Tchèques que je connais en France peuvent se sentir seuls, par exemple quand ils habitent dans des endroits éloignés où il n’y a pas de communauté tchèque. En plus les Tchèques ne se rassemblent pas beaucoup à l’étranger. »

C’était justement l’une de mes questions. On dit souvent que les Tchèques, contrairement aux Polonais notamment, n’ont pas ce sentiment de communauté à l’étranger...

« C’est peut-être dû à une forte capacité à s’intégrer ce qui peut expliquer que nous n’avons pas ce sens communautaire que d’autres nations possèdent. »

C’est peut-être aussi culturel ?

'Sans travail,  pas de baguettes',  photo: Garamond
« Oui. Mais certains Tchèques que je connais en France souffrent d’une sorte de ‘sentiment d’abandon’ car ils connaissent de réelles difficultés liées au fait d’être tchèque, à cause de notre accent par exemple. Même s’ils sont bien intégrés dans la société, il y a des choses qu’ils ne peuvent partager qu’avec des Tchèques. Ça manque à certains et c’est pour cela qu’ils voulaient partager ça avec le lecteur. Car j’espère que les lecteurs seront ces autres Tchèques vivant en France. C’est une façon de leur transmettre des conseils, comment se sortir de certaines situations en France, etc. »

Il faut dire aussi que les Tchèques qui interviennent dans votre ouvrage sont tous des hommes et femmes qui sont partis en France librement après 1989. Ce ne sont pas des parcours d’exils.

« C’était le but car c’était trop large de prendre tous les Tchèques vivant en France et je ne suis pas historienne, je ne me sentais pas de faire un ouvrage historique. Ce n’est pas non plus une étude sociologique, c’est vraiment un livre d’auteur où j’ai choisi personnellement les entretiens. C’est pourquoi, et j’en suis désolée, certaines zones géographiques manquent dans le livre car ce n’était pas dans mes capacités logistiques et financières, comme par exemple la Bretagne. Le livre n’est pas représentatif, ce sont des gens que j’ai eu la chance de rencontrer, qui étaient disponibles et intéressants. »

Il y a des parcours très divers et originaux. On trouve au hasard un hockeyeur, une fonctionnaire d’Etat que nous avons déjà interviewée sur Radio Prague, un musicien, une danseuse et même un légionnaire. Son portrait n’a pas été tiré pour le livre car les légionnaires restent anonymes, à la différence des autres Tchèques qui ont été dessinés par une amie et collègue.

Magdalena Rejžková  (à droite) avec l'illustratrice Brunhilda,  photo: Facebook de Garamond
« Je dois dire qu’il y a des profils qui manquent, notamment un groupe de Tchèques peu connu ici et un peu clandestin. D’après mes connaissances il y a beaucoup de Tchèques qui se cachent dans le sud de la France après avoir fait des choses illégales en République tchèque. Ils ont fui, parfois avec une nouvelle identité. Je n’avais pas la possibilité d’avoir avec ce profil-là. Le légionnaire souhaitait seulement ne pas dévoiler son identité. »

Accompagnant chaque entretien, un petit encart avec un questionnaire auquel répond chaque participant : on y trouve notamment la question « quelles sont les réactions les plus fréquentes des Français vis-à-vis des tchèques » et inversement. On se rend compte que les réactions de chaque culture ou de chaque nation est souvent très empreinte de clichés et ce sont les personnes situées entre les deux qui sont peut-être les plus à même de rétablir la réalité…

« J’aimerais bien que le livre soit utile pour les Tchèques vivant en France mais je souhaiterais aussi présenter la France autrement. Il y a une image très romantique du pays et beaucoup de Tchèques pensent que la vie est facile si on vit en France. Je tente de lutter contre ces clichés. J’ai choisi des personnes aux parcours exceptionnels et j’essaye de présenter la France à travers ces gens. »

Quels sont les réflexions qui sont revenues le plus souvent dans les témoignages que vous avez recueillis ?

'Sans travail,  pas de baguettes',  photo: Garamond
« Les Tchèques se plaignent que beaucoup de Français ne connaissent pas la République tchèque, que beaucoup nous confondent avec la Tchécoslovaquie, la Yougoslavie voire la Tchétchénie. C’est revenu dans tous les entretiens. Les Français ne connaissent pas beaucoup de choses de notre pays, le pays était peut-être plus connu dans les années 1990 avec Václav Havel. Et notre position dans l’Union Européenne est peu claire pour eux, ils ont du mal à nous situer, à savoir si nous sommes un pays pauvre ou un pays riche. »

Est-ce qu’il y a des réflexions qui vous ont surprise, choquée, des choses auxquelles vous ne vous attendiez pas ?

« J’étais surprise, mais pas de manière négative, de voir d’après les témoignages que j’ai recueills auprès de ces Tchèques qu’il existe réellement un art de vivre à la française. Je pensais que cet art de vivre était un cliché mais c’est vraiment ça qui est revenu dans tous mes entretiens et qui plaît aux Tchèques qui viennent s’installer en France. Je pense que c’est pour sa qualité de vie que la France attire : on mange bien, les gens peuvent profiter de leur temps libre, etc. »

Vous évoquiez au tout début ce thème de l’entre-deux, un entre-deux de pays aux cultures proches mais différentes. N'y a-t-il pas ce même problème au retour en Tchéquie, de ne plus avoir son cercle d’amis d’enfance, de retrouver des gens aux parcours différents ?

'Sans travail,  pas de baguettes',  photo: Garamond
« On a en beaucoup parlé dans nos entretiens. Il y a souvent du côté tchèque une certaine incompréhension, plus que de la jalousie. Les gens en République tchèque ne se rendent pas compte de ce qu’il faut faire pour s’installer à l’étranger. Les Tchèques en France ne comprennent plus, eux, la situation politique au pays malgré le fait de pouvoir la suivre en direct via les réseaux sociaux. La plupart des Tchèques que j’ai interrogés sont habitués à vivre dans une société mixte, avec des gens de différentes cultures, origines et couleurs et ils ne comprennent pas que beaucoup de gens aient peur de ça en République tchèque. Mais tout ceux avec qui j’ai parlé sont contents de revenir en République tchèque, ils aiment tous le pays, leur coin préféré dans la région d’où ils viennent. Cela dépend également de la personne, de savoir si elle veut garder le contact ou le couper. »

« J’ai réalisé en faisant ce livre l’énorme liberté dont nous bénéficions aujourd’hui et c’est bien justement d’avoir choisi ces gens qui se sont venus vivre après 1989, d'eux-mêmes. On vit dans une société où on peut décider de vivre en France et partir dès le lendemain, vivre là-bas et y commencer une nouvelle vie. Il faut être fier de cette liberté qu’on a aujourd’hui car il est assez facile de la perdre. Il faut profiter de cette opportunité de bouger où on veut. Il faut le faire d’une bonne manière pour que ça nous apporte quelque chose. Si on va en France c’est bien d’interagir avec les Français, j’ai pu voir grâce à ce livre que des beaux rapports se créent. On peut rencontrer des gens très intéressants, que ce soit des Tchèques ou des Français. Et ça c’est très beau. »