Décès de František Janouch, physicien nucléaire engagé dans le développement de la société civique
Physicien nucléaire de renom, exilé en Suède après l’invasion soviétique de 1968, initiateur et président de la Fondation de la Charte 77, František Janouch (1931-2024) est mort le 12 janvier à l’âge de 92 ans.
Destiné à faire de la médecine par son père, c’est finalement vers la physique nucléaire que se destine le jeune František Janouch, marqué par l’explosion des premières bombes atomiques alors qu’il était adolescent. C’est en URSS, à Leningrad puis Moscou, qu’il part faire ses études, alors que les Soviétiques ont commencé à expérimenter la technologie nucléaire en 1943 et ont testé pour la première fois une arme nucléaire en août 1949.
Après son retour en Tchécoslovaquie, František Janouch dirige le département de physique nucléaire théorique de l’Institut de physique nucléaire de Řež, une petite commune où il occupe également les fonctions de président du parti communiste local, un parti auquel il a adhéré en 1948, mais qui devient très rapidement source de désillusion profonde :
« Je n’ai jamais été un communiste convaincu, j’ai toujours été un communiste dans l’opposition, » admettait-il il y a quelques années dans un portrait qui lui était consacré par la Télévision tchèque.
Professeur associé à la faculté de physique de l »université Charles à Prague, František Janouch a également été l’un des membres fondateurs de la Société européenne de physique et son secrétaire exécutif adjoint.
Sa vie change toutefois avec l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du Pacte de Varsovie en 1968 : comme de nombreuses autres personnes anonymes ou personnalités publiques qui ont soutenu les réformes des années 1960, František Janouch est interdit de cours puis licencié de l’Université Charles.
Bénéficiant d’une rare autorisation de quitter le pays par les autorités communistes, probablement grâce à un soutien international, le physicien peut émigrer en 1974 et s’installe en Suède, non sans s’être vu retirer sa nationalité tchécoslovaque auparavant.
Depuis Stockholm František Janouch va toutefois s’engager immédiatement pour son pays d’origine : en décembre 1978, il créée la Fondation de la Charte 77, du nom de ce document fondateur de la dissidence tchécoslovaque, appelant les autorités communistes à respecter leurs propres engagements en faveur des droits de l’Homme.
Proche à l’époque de personnalités telles qu’Andreï Sakharov, le chercheur tchèque s’était souvenu dans un entretien :
« Une organisation suédoise a décidé d’attribuer le prix Monismanien au mouvement de la Charte 77. Après avoir reçu ce prix, en décembre 1978, en tant que représentant du mouvement, j’ai créé un compte bancaire appelé la Fondation de la Charte 77. Ensuite, j’ai commencé à distribuer l’argent déposé sur le compte aux porte-paroles de la Charte 77. Nous avons lancé un appel et les gens nous envoyaient de l’argent. Ils voulaient faire face aux pratiques despotiques du régime du président Husák, à l’emprisonnement des opposants à ce régime. Les sommes que nous avons ainsi réunies, nous les avons redistribuées aux citoyens tchécoslovaques persécutés. »
Depuis la Suède, la Fondation s’efforce dès lors de faire passer clandestinement en Tchécoslovaquie documents, livres et films interdits, mais aussi très concrètement de l’argent et du matériel technique comme des imprimantes afin de permettre à la dissidence de diffuser ses textes.
Après la révolution de Velours en 1989, la Fondation de la Charte 77 déménage à Prague, même si son initiateur, distingué par l’ancien dissident devenu président Václav Havel, reste basé à Stockholm. La Fondation organise la première collecte humanitaire dans le pays qui permet en 1992 de financer l’achat par l’hôpital pragois Na Homolce d’un Gamma knife, une machine de radiochirurgie qui envoie des faisceaux de rayons gamma sur des tumeurs cérébrales, permettant ainsi d’opérer le cerveau sans ouvrir la boîte crânienne. 100 millions de couronnes sont alors collectées permettant ainsi de sauver la vie du premier patient opéré à l’aide de cet appareil, un petit garçon slovaque prénommé Míša qui a donné son nom à cette collecte de fonds massive (« Konto Míša »).
La Fondation de František Janouch est également à l’origine de plusieurs prix dont le prix František Kriegel qui est décerné aux personnes qui ont fait montre de courage civique. Depuis 2013, également, le Conseil de l’Europe, en coopération avec la Bibliothèque Vaclav Havel et la Fondation de la Charte 77, décerne le prix Vaclav Havel à diverses personnalités pour leurs actions exceptionnelles dans la défense des droits de l’Homme en Europe et ailleurs. L’opposant russe Vladimir Kara-Murza ou le mécène turc Osman Kavala en sont les deux derniers lauréats.
Homme de convictions, František Janouch n’a cessé, via sa Fondation, de contribuer au développement de la société civique dans son pays, et hors de ses frontières, avant la chute du communisme comme dans un contexte de retour de la démocratie.