« En arrivant à Prague, je me suis sentie à la maison instantanément »

Jehanne Feildel

Rencontre avec Jehanne Feildel, guide-conférencière à Prague, qui propose des visites de la ville, classiques ou faites sur mesure. Jehanne Feildel est aussi la petite-fille de Valérien Ignatovitch, grande figure de la communauté tchèque en France puisqu’il a longtemps présidé l’Association des volontaires tchécoslovaques en France. Au micro de Radio Prague Int., elle a évoqué ses origines et son amour pour la ville de Prague qu’elle a si bien adoptée qu’elle cherche aujourd’hui à la faire découvrir aux autres.

Jehanne Feildel, vous êtes guide-conférencière à Prague, nous nous rencontrons aujourd’hui pour évoquer ce travail, un beau métier de découverte et de partage. Vous avez un site internet qui décrit vos services, Un tour à Prague, nous en parlerons également, mais tout d’abord parlons un peu de vous, vous êtes franco-tchèque, parlez-nous de ces origines tchèques dans la famille…

« Je ne suis pas exactement franco-tchèque, je suis d’origine tchèque. Mon grand-père était russo-tchèque, donc la dernière Tchèque pur jus était mon arrière-grand-mère qui était originaire d’un petit village dans le sud de la Bohême, à côté de Tábor. Sa famille s’est installée en Autriche, puis elle est allée en France, a rencontré un Russe blanc qui avait fui la révolution. Ils se sont mariés et c’est ainsi que sont nés mon grand-père et sa petite sœur. Moi je suis donc française, mais on a toujours eu ce côté tchèque qui est resté dans la famille. Mon grand-père était très attaché à la Tchécoslovaquie. »

La langue tchèque s’est-elle maintenue ? Votre grand-père le parlait-il ?

« Oui, il parlait tchèque. C’était sa langue maternelle, il la parlait à la maison avec sa mère et sa sœur. Il a appris le français à l’école. En revanche il n’a jamais parlé tchèque à ses enfants ce qui a été un peu conflictuel avec ma mère qui lui en a beaucoup voulu de ne pas lui avoir transmis cela. »

Savez-vous pourquoi il n’a pas voulu transmettre cette langue ?

« Cela ne se faisait pas. Il vivait à une époque où il fallait s’intégrer. Déjà qu’il avait un nom très bizarre, Ignatovitch, impossible à prononcer, à écrire, qu’il fallait toujours épeler. Il avait fait le choix de donner des prénoms très français à ses enfants, de leur parler français, de quitter tout cela parce qu’ils avaient dû mettre derrière eux leur passé tchécoslovaque. Parler une deuxième langue s’apparentait davantage à un obstacle. »

C’est très intéressant que vous parliez de votre grand-père, Valérien Ignatovitch, qui autrefois a présidé l’Association des volontaires tchécoslovaques en France. Il a toujours été très engagé dans ces liens franco-tchèques et dans l’entretien de la mémoire de ces soldats tchécoslovaques engagés pour la France…

Valérien Ignatovitch en 1954 | Photo: Archives de Valérien Ignatovitch/Paměť národa

« Il était de toutes les commémorations… »

Quels sont vos souvenirs de lui ? Je sais que c’était une personnalité qui ne laissait personne indifférent…

« Il en imposait oui. J’ai beaucoup de souvenirs. Il avait une belle moustache blanche, qui remontait sur les côtés, à l’ancienne. Il parlait un peu fort, il était assez imposant. C’est assez indescriptible : il était à la fois un peu solennel – c’était un colonel, il aimait être appelé ainsi, et en même temps, avant de se mettre à table, il pouvait crier un ‘youpie’ retentissant ! C’était un mélange de quelqu’un de sérieux et d’un grand enfant à la fois. »

Cela correspond bien à ce que l’on a pu me dire de lui ! Dans quelle mesure avez-vous hérité de ce patrimoine culturel tchèque ?

Valérien Ignatovitch à Darney en 2008 | Photo: Hynek Moravec,  Paměť národa

« On entendait souvent mon grand-père parler tchèque au téléphone, il participait souvent à des commémorations, il était à l’Arc de triomphe avec l’Association des volontaires tchécoslovaques ou allait à Darney dans les Vosges pour tel ou tel événement. Cela faisait partie du quotidien. J’ai eu la chance de vivre chez lui pendant quelques mois quand j’étais étudiante. A cette époque, il n’était plus autant engagé en raison de son âge. Mais le téléphone sonnait, ça parlait tchèque à l’autre bout, on paniquait avec mes cousines parce qu’on ne savait pas quoi répondre. Il y avait aussi beaucoup de livres chez lui qui parlaient de la Tchécoslovaquie et de son histoire. A partir de nos 16 ans, mon grand-père nous invitait tous les ans au bal du Sokol à Paris. C’était un peu notre entrée dans le monde. C’était des moments en famille parce qu’on se retrouvait avec tous les grands-cousins. Et aujourd’hui encore, tous ceux qui sont en France essayent d’y aller tous les ans même si mon grand-père n’est plus de ce monde. Pour moi le Sokol est quelque chose de normal, alors que les Français ne connaissent pas du tout. Il m’a aussi transmis l’amour du pays, la curiosité et l’envie de venir. »

Quand s’est déroulé votre premier séjour ? Avant votre Erasmus en 2013 ?

« Mon séjour Erasmus était mon tout premier séjour en Tchéquie. Quand ma mère est venue me rendre visite, c’était aussi la première fois pour elle. C’était très fort. En arrivant à Prague, je me suis sentie à la maison assez instantanément. C’est assez indescriptible. Ce n’est ni vraiment intellectuel ou cohérent. »

Vous êtes revenue à Prague, il y a quelques années, cette fois en famille, avec votre mari et vos enfants…

« Le troisième est né à Prague, les deux aînés sont nés en France… »

Et pour eux, le tchèque est par contre totalement présent dans leur vie puisqu’ils vont à l’école tchèque…

« Ils ont appris le tchèque en un claquement de doigts. Notre aîné, nous l’avons mis à l’école maternelle quand il avait trois ans. Pendant un mois il n’a pas ouvert la bouche et un mois plus tard il parlait tchèque. »

Qu’est-ce qui vous a menée à vos études d’Histoire et de valorisation du patrimoine ?

« A l’origine je voulais être journaliste, j’avais donc commencé par faire des études de lettres et sciences politiques. C’est d’ailleurs dans ce cadre-là que je suis venue à Prague faire mon Erasmus. A la fin de ma licence je ne savais plus où j’en étais, je ne voulais plus être journaliste mais je ne savais pas quoi pour autant. J’ai postulé à différents masters, je n’ai été prise nulle part donc j’étais le bec dans l’eau au mois de juillet. J’ai postulé un peu partout à des endroits où j’aurais pu aller. Je suis donc allée là où on m’a prise. Et en fait, c’était parfait ! »

Prague | Photo illustrative: user32212,  Pixabay,  Pixabay License

C’était en effet parfait puisqu’aujourd’hui vous mettez vos connaissances historiques, au service des touristes francophones qui viennent visiter Prague, en leur proposant des visites guidées classiques et sur mesure. Comment est né le projet Un tour à Prague ?

« Quand j’ai fait mes études d’histoire, dans le parcours Valorisation du patrimoine, il y avait la possibilité de passer un examen pour avoir la carte de guide-conférencière. C’est quelque chose qui me plaisait bien. A la fin de mes études, je voulais être médiatrice culturelle donc rendre accessible à tout le monde la culture. C’est un métier qui a peu de débouchés en France : trop de gens veulent le faire pour très peu d’emplois. Mais c’est resté dans un coin de ma tête : j’avais toujours cette envie de transmettre, sans vouloir devenir enseignante, et cette envie de rencontres. Quand nous sommes arrivés à Prague, je ne pensais pas que j’allais rester mère au foyer, ce n’était pas mon idée de départ, mais le système tchèque est ainsi fait que c’est ce qui s’est passé. C’est ce que j’ai fait pendant trois ans et demi, jusqu’à ce que je n’en puisse plus et que je décide de trouver un travail. Je ne savais pas quoi faire, et j’ai donc fait un coaching pour présenter ma situation. Au bout de trois séances, la coach m’a dit : ‘tu n’aurais pas pensé à être guide ?’ J’ai dit que oui, que j’avais même le diplôme. J’ai donc creusé et j’ai découvert que c’était vraiment là ma place. En réfléchissant au projet, j’avais des idées à la pelle, j’étais pleine d’enthousiasme. Cet enthousiasme ne m’a pas quittée. »

Photo: Ondřej Tomšů,  Radio Prague Int.

Quand avez-vous commencé ?

« Officiellement, en juillet dernier. Avant cela, j’ai proposé pendant quelques mois des visites gratuites pour m’entraîner. Les gens devaient remplir un questionnaire de satisfaction pour voir comment je pourrais évoluer… »

Que retirez-vous de ces visites maintenant que vous les faites officiellement ? Quelles sont les questions que vous posent le plus souvent les visiteurs ?

« J’en retire une satisfaction immense. J’adore mon travail. C’est à la fois excitant et stressant – mais pas du stress pour savoir si je vais y arriver, mais plutôt pour savoir si ce que je fais va plaire aux gens. Je suis guide privée donc je ne travaille qu’avec des petits groupes, des familles le plus souvent. Pour moi, il est très important qu’une relation, un échange se créent. J’ai régulièrement aussi des familles avec des enfants, des adolescents aussi, ce que j’adore. Les gens me posent beaucoup de questions sur le communisme et aussi sur la séparation de la Tchécoslovaquie… »

C’est vrai que pour beaucoup le nom Tchécoslovaquie est resté dans les esprits…

« Oui, comme je parle souvent de la Tchécoslovaquie, puis je parle de la Tchéquie actuelle, ils ne comprennent pas forcément. En tout cas, c’est vraiment une question qui intéresse les visiteurs. »

Parmi les tours plus classiques que vous proposez, la Vieille-Ville, Malá strana, vous proposez également une visite des passages pragois…

Le passage U Nováků | Photo: Oleg Fetisov

« Un jour je lisais un article sur Prague. Il y avait un passage se référant à Egon Erwin Kisch qui avait dit : ‘On peut traverser tout le centre-ville de Prague sans prendre la moindre rue’. Je me suis demandé comment c’était possible et ai commencé à chercher tous les passages. Je me suis passionnée pour cela. J’adore les passages et je continue à en découvrir encore que je ne connaissais pas. C’est fascinant. Et les gens apprécient car c’est une Prague vraiment cachée qui n’est pas vraiment dans les guides. »

Si vous aviez un quartier de Prague à recommander à quelqu’un, parmi tous, quel serait-il ?

« Un seul quartier c’est dur quand même ! Mais je pense que je voterais Malá Strana car c’est encore authentique. Il n’y a pas des boutiques d’aimants en plastique Made in China partout. Il y a encore une âme. Et puis j’ai lu Les Contes de Malá Strana de Jan Neruda, c’est en lisant ce livre que je suis tombée amoureuse du quartier et de son ambiance. Quand je m’y promène, je suis dans le livre, dans cette vie de quartier. Mais c’est vrai que si on vient à Prague pour la première fois, il faut quand même voir la Vieille-Ville, c’est incontournable… »

Jánský vršek à Malá Strana  (Le Petit Côté) | Photo: Miloš Turek,  Radio Prague Int.

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