« En Tchéquie, l’écologie est perçue comme quelque chose qui limite nos libertés »
Là où d’autres pays d’Europe, notamment à l’Ouest et au Nord, présentent des partis écologistes ou avec un programme écologiste forts, la classe politique tchèque ne brille pas par son engagement contre le réchauffement climatique. Avec 0,99 % des suffrages aux dernières élections législatives de 2021, le Parti vert tchèque (Strana zelených) a un poids politique très faible et, à part le Parti pirate qui a, dans une moindre mesure, intégré cette composante, aucun autre parti ne se revendique comme écologiste. Pour essayer de comprendre les raisons qui expliquent cet intérêt limité pour la question écologique en Tchéquie, à l’aube des prochaines élections européennes, Radio Prague Int. s’est entretenu avec Michel Perottino, directeur du département des sciences politiques de la Faculté des sciences sociales de l’Université Charles.
Comment décririez-vous la place de l’écologie dans la politique tchèque aujourd’hui ?
« Si on entend par écologie la protection de l’environnement, elle est très faible. C’est une problématique qui est perçue comme quelque chose qui limite nos libertés et qui est contre nos intérêts. Par exemple à Prague, on a un système de transport en commun très efficace et accessible. Pour autant beaucoup de Tchèques continuent de prendre leur voiture. Donc la question ce n’est pas tant sur l’écologie, mais sur ce qu’est une société moderne. La Tchéquie est un pays largement dominé par l’idéologie néolibérale. Donc dans cette logique, l’écologie porte atteinte à notre liberté. »
Il y a eu des prises de conscience écologiques qui ont précédé la révolution de Velours, je pense notamment aux manifestations de Teplice en novembre 1989. Pour autant, l’écologie a plus ou moins disparu de tout programme politique pendant les décennies suivantes. Dans quelle mesure la Tchéquie est-elle un cas particulier dans Europe centrale et orientale post-communiste ?
« Je ne suis pas sûr que la Tchéquie soit très spécifique de ce point de vue par rapport à d’autres pays en Europe centrale, qui n’ont pas d’écologie politique et de parti vert forts très visibles non plus. Il y a eu des partis verts avant même la révolution de Velours, mais dans les années 1990, l’écologie est une thématique qui passe complètement à la trappe. Pour tous les politiques, le but est de transformer l’économie. De ce point de vue, l’écologie limitait cette voie vers le capitalisme triomphant.
Les choses changent au début des années 2000, ce qui se concrétise par l’arrivée du Parti vert à la Chambre des députés et au gouvernement. C’était à l’époque un parti vert-bleu, qui a fait partie d’une coalition de droite.
Puis le Parti vert est redescendu autour de 2-3 % de vote à partir des années 2010, ce qu’il ne leur permet pas d’avoir des députés, même s’ils ont encore quelques élus locaux. »
Comment expliquez-vous ce recul du Parti vert en Tchéquie, dans une période où les partis écologistes étaient dans une bonne dynamique dans d’autres pays d’Europe, comme l’Allemagne, la France ?
« Le premier élément, c’est qu’une partie de leurs arguments ont été repris par d’autres partis politiques, notamment les sociaux-démocrates. Mais surtout, à partir de 2008-2009, il y a eu la crise financière. Le débat en Tchéquie s’est encore plus éloigné des thématiques environnementales. Donc il n’y avait pas de réel espace politique pour ce parti, d’autant plus qu’il avait franchi la barre des 5 % en se focalisant sur un électorat libéral, qui depuis a reporté son intérêt sur d’autres partis, notamment les Pirates et les Maires. Ils n’ont pas réussi à établir un socle électoral solide qui leur aurait permis de résister et de rester à la Chambre des députés. »
Dans quelle mesure peut-on lier cette absence de l’écologie dans la politique tchèque avec la perte de puissance de la gauche tchèque ?
« Pour moi, ce sont deux choses distinctes. L’effondrement des deux forces de gauche, notamment pour les élections législatives de 2021, c’est-à-dire le parti social-démocrate (ČSSD) et le parti communiste (KSČM), est un phénomène progressif qui trouve une partie de son explication par l’explosion du parti ANO d’Andrej Babiš à partir de 2013. Bien qu’il soit dès le début inféodé à la droite, Andrej Babiš va prendre une partie de son électorat aux sociaux-démocrates grâce à sa coalition avec le ČSSD. De plus, il se présente comme proche de l’environnement, de par son holding Agrofert, même si les perspectives environnementales du groupe agro-industriel sont extrêmement faibles. »
Tout le monde est contre le Green Deal
En Tchéquie, on observe une montée du populisme et du rejet de l’Union européenne. Est-ce qu’à vos yeux ce sont des éléments qui jouent aussi dans cette absence d’écologie politique ?
« La montée du populisme est marquante surtout depuis 2010 et Andrej Babiš en est son principal représentant. Mais si on regarde de plus près, ce qui lie le populisme, l’UE et l’écologie, c’est la question du Green Deal, qui polarise énormément la société tchèque. Quasiment tout le monde est contre le Green Deal et cela crée un rejet de l’UE dans sa globalité.
Entre libéralisation à marche forcée et crise financière, il semble que l’histoire politique de la Tchéquie moderne ait laissé peu de place à l’émergence d’une écologie politique, qui puisse devenir un vrai paradigme. Que pensez-vous de ce qui pourrait advenir par la suite, pour les élections européennes de juin par exemple ? Est-ce que l’écologie est un sujet qui prendra prochainement ou c’est un processus politique qui mettra encore du temps à s’imposer ?
« Ça va mettre encore du temps. Les climatosceptiques sont encore nombreux et forts au niveau politique, je pense notamment à l’ancien président Václav Klaus. Cela nous donne une idée des possibilités d’évolution, puisque tout le monde va bien se rendre compte que les hivers sont de plus en plus chauds, que les sécheresses s’intensifient, etc. Donc la question du climat va forcément être de plus en plus visible sur la scène politique.
Mais ce qui est, à mon sens, le plus marquant pour la société tchèque, c’est cette acceptation du paradigme néolibéral qui est présente partout, à la fois dans la politique et dans la société. Tout le monde part des mêmes prémices [néolibérales], qui ne laissent quasiment aucune place aux questions environnementales. »