Exposition « Le siècle des martyrs » : hommage au prêtre Toufar, à Gorazd II et aux autres

Si le prêtre Josef Toufar est le plus connu des religieux tchèques persécutés au XXe siècle, il n’est pas le seul ecclésiastique ou croyant à avoir été victime des régimes totalitaires. A Prague, une exposition rend hommage à ces martyrs du monde entier dans un lieu hautement symbolique.

Photo: Muzeum paměti XX. Století

L’évêque orthodoxe tchèque Gorazd II, le métropolite ukrainien Vasyl Lypkivsky et sainte Marie de Paris : ce ne sont que quelques-unes des 27 personnalités religieuses actuellement mises en lumière dans l’exposition Století mučedníků / Century of martyrs, à la Galerie Ambit à Prague. Une exposition qui rend hommage aux hommes et femmes pieux ayant fait les frais des idéologies et régimes totalitaires du XXe siècle : nazisme, fascisme et communisme. Avec leurs idéologies qui « non seulement se nourrissaient de la haine, mais aussi la favorisaient », les régimes totalitaires ont « causé énormément de douleur et fait de nombreuses victimes même dans les régions du monde qui ne leur étaient pas soumises », rappelle le descriptif de l’exposition.

Petr Blažek | Photo: Věra Luptáková,  ČRo

Constituée à l’origine en anglais, à l’initiative du projet européen Platform of European Memory and Conscience, l’exposition a déjà été présentée en France, en Pologne, en Albanie et en Roumanie, entre autres. Pour Prague, le lieu d’exposition choisi par l’institution pragoise partenaire Muzeum paměti XX. Století est celui du monastère Notre-Dame-des-Neiges, place Jungmann, dans le centre-ville. Un lieu hautement symbolique, comme l’a expliqué l’historien Petr Blažek à la Radio tchèque :

« Ce lieu lui-même est intéressant, puisqu’en 1611, 15 frères franciscains y ont été assassinés. On les a appelés les ‘martyrs de Prague’ ; ils ont été béatifiés il y a dix ans. »

Photo: Vězeňská služba ČR

Les martyrs de Prague

Église Notre-Dame-des-Neiges de Prague | Photo: Štěpánka Budková,  Radio Prague Int.

Etablis à Prague en 1604, entre autres pour administrer des soins aux pauvres, ces frères catholiques se sont surtout fait connaître par leurs prédications, qui auraient conduit de nombreux fidèles à se convertir – ce que les communautés luthériennes, majoritaires à l’époque, ne voyaient pas d’un très bon œil. Les tensions ont atteint leur paroxysme le 15 février 1611, lorsque sur fond de panique face à l’arrivée des soldats de Rodolphe II dans Prague, une foule armée de quelque 700 Pragois des classes les plus défavorisées a encerclé le monastère. Des assaillants y ont ensuite pénétré et ont assassiné les 14 frères, que l’on a donc par la suite appelés les « martyrs de Prague ».

Pas de vengeance collective dans les histoires des 27 martyrs du XXe siècle présentés dans l’exposition, mais leurs souffrances n’en ont pas été moins injustifiées, ni leurs fins moins violentes. A commencer par l’évêque tchèque Gorazd II. Petr Blažek :

« L’évêque Gorazd II était à la tête de l’Eglise orthodoxe pendant la période du protectorat de Bohême-Moravie, et il a été condamné à mort pour avoir donné asile aux soldats tchécoslovaques de l’opération Anthropoid, qui s’étaient réfugiés dans la crypte de l’église orthodoxe Saint-Cyrille-et-Méthode, rue Resslová à Prague, après avoir accompli l’attentat contre le chef nazi Reinhard Heydrich. »

Gorazd II et Josef Toufar

Josef Toufar | Photo: ČT24

Et le second martyr tchèque présenté par l’exposition montre que « le deuxième régime totalitaire ayant dirigé le pays n’a pas agi différemment », selon les mots de Petr Blažek. Il s’agit du prêtre catholique Josef Toufar, triste protagoniste du miracle dit de Číhošť. Le 11 décembre 1949, dans l’église de ce village situé dans la région de Vysočina, un crucifix se serait mis à bouger sur l’autel pendant l’homélie du prêtre. La police secrète, la StB, avait alors accusé ce dernier d’avoir manigancé un faux miracle pour inciter les croyants à s’opposer à l’idéologie communiste. Josef Toufar avait été emprisonné à Valdice et violemment torturé, jusqu’à ce qu’il décède le 25 février 1950 à l’âge de 47 ans et finisse dans une fosse commune. Juste avant sa mort, on l’avait même obligé à jouer un rôle dans un film de propagande, d’ailleurs présenté à l’exposition à la galerie Ambit.

Jerzy Popiełuszko | Photo: Wikimedia Commons,  public domain

Outre ces deux personnalités de l’histoire tchèque, l’exposition présente également le triste destin du Polonais Jerzy Popiełuszko, figure emblématique de l’opposition au système communiste imposé. Au début des années 1980, il célébrait à Varsovie des « messes pour la patrie » mensuelles. Alors que la loi martiale était instaurée en Pologne, il soutenait ouvertement les personnes emprisonnées par le régime et leurs familles. Mais il a payé cher son engagement, comme le rappelle Petr Blažek :

« En 1984, Popiełuszko a été enlevé par la police secrète, assassiné et jeté dans un réservoir d’eau. En raison de la vague d’émotion provoquée par son décès, le régime communiste a été contraint de mener une enquête, et les trois personnes qui l’avaient arrêté ont été jugées et condamnées. »

Mère Marie de Paris

Marie Skobtsová | Photo: Wikimedia Commons,  public domain

Plusieurs femmes font également partie des 27 portraits de l’exposition Le siècle des martyrs, parmi lesquelles Marie Skobtsova, mieux connue sous le nom de « Mère Marie de Paris ». Russe réfugiée en France après la révolution bolchévique, après une vie de famille, elle s’est consacrée entièrement aux pauvres à Paris. Convertie à l’orthodoxie chrétienne, elle a prononcé ses vœux religieux. Pendant l’occupation de la France par le Troisième Reich, Mère Marie aidait les Juifs en les hébergeant, leur obtenant des certificats de baptême et organisant leur départ du pays. Arrêtés avec d’autres impliqués dans ces activités, elle est morte au camp de concentration de Ravensbrück, en Allemagne.

L’exposition présente également l’histoire engagée et tragique de l’Ukrainien Vasyl Lypkivsky. Petr Blažek :

Vasyl Lypkivsky | Photo: Wikimedia Commons,  public domain

« Le métropolite de l’Eglise orthodoxe autocéphale ukrainienne Vasyl Lypkivsky est le symbole de l’indépendance ukrainienne. Il voulait que son Eglise apporte un soutien à la nation ukrainienne, très éprouvée après la Première Guerre mondiale et la révolution russe. Néanmoins, après une brève indépendance, l’Etat ukrainien a été dissout par les bolcheviks. »

Son engagement pour la nation ukrainienne et son refus de coopérer avec les autorités soviétiques lui ont cependant coûté la vie : après des années de résidence surveillée, durant lesquelles il souffrait fréquemment de la faim, Vasyl Lypkivsky a été jugé pour intention séparatiste, et exécuté en 1937. Un homme de foi symbole de l’indépendance ukrainienne que la situation géopolitique actuelle n’aurait certainement pas laissé indifférent.

Auteurs: Anaïs Raimbault , Lucie Korcová
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