Felix Maria Davídek, l’évêque à l’origine de l’Eglise clandestine tchécoslovaque

Felix Maria Davídek, photo: Enemy, CC BY-SA 3.0

Pour tromper les autorités du régime communiste tchécoslovaque, il a ordonné des hommes mariés, mais aussi des femmes, dans les années 1960 et 1970. A l'origine de l'Eglise catholique souterraine en Tchécoslovaquie, Felix Maria Davídek, lui-même évêque clandestin, est né le 12 janvier 1921, il y a cent ans de cela.  

Photo: Enemy,  CC BY-SA 3.0

Felix Maria Davídek a été ordonné prêtre le 29 juin 1945 dans le diocèse de Brno, trois ans à peine avant le Coup de Prague qui a vu l’arrivée au pouvoir du parti communiste. Dès le début, le nouveau régime engage une campagne de persécutions à l’encontre de l’Eglise catholique : les prêtres et religieux sont poursuivis, emprisonnés, torturés, les biens de l’Eglise confisqués, et son organisation entièrement remaniée, les ministères étant désormais assurés par des prêtres loyaux au parti.

Felix Maria Davídek fait partie de ces prêtres traînés en justice dans le cadre de procès montés de toutes pièces : condamné à 24 ans de prison, il sera libéré au bout de 14 ans, en 1964. Tout au long de son incarcération dans différentes geôles du pays, et malgré les difficultés, il coordonne des séminaires clandestins avec des professeurs également emprisonnés, il apporte une aide médicale et psychologique à ses codétenus. Ces activités organisées au nez et à la barbe des autorités sont le terreau à partir duquel il développera l’Eglise tchécoslovaque clandestine après sa sortie de prison.

« Dès le premier jour de sa sortie de prison, nous avons commencé à travailler ensemble. »

Ludmila Javorová,  photo: Archives de Ludmila Javorová

Ludmila Javorová est une amie d’enfance de Felix Maria Davídek. Née dans une famille catholique, elle aspire en vain à une vie religieuse. Très vite elle devient le bras droit du prêtre tchèque et occupe une place centrale dans l’organisation de l’Eglise tchécoslovaque clandestine qu’il met en place.

« Tout de suite, il a voulu savoir ce que je faisais, quelles étaient mes aspirations dans la vie, quelles étaient mes perspectives d’avenir. Il m’a dit qu’il avait besoin de moi pour ses activités. J’étais curieuse de savoir de quoi il s’agissait : après tout, il venait tout juste de sortir de prison ! Il m’a proposé d’étudier la philosophie avec lui, et les leçons quotidiennes ont commencé. Il me posait des questions sur mes connaissances, cherchant à savoir s’il y avait des jeunes gens qui aspiraient à la prêtrise. Je les ai mis en contact. Mais avant cela, il m’avait appris diverses façons de faire tout cela en sécurité, afin de ne pas éveiller l’attention. Il se savait surveillé, et il savait qui le surveillait, quand et comment. Pour lui, la sécurité était fondamentale. »

Pierre Teilhard de Chardin,  photo: Archives des jésuites de France,  CC BY-SA 3.0

Les bases de Koinotés, comme il appelle cette Eglise clandestine, sont posées. A partir de là, il organise des séminaires à l’attention des futurs prêtres souterrains, un enseignement à la fois très exigeant mais très progressiste, qui ne se cantonnait pas à la simple théologie : il prônait également l’acquisition d’une culture générale solide, via les arts, la musique, le théâtre, le cinéma, les langues et d’autres disciplines. Parmi les penseurs qu’il admire, le prêtre, philosophe et paléontologue français Teilhard de Chardin. Les séminaires se déroulent la nuit, pour des raisons de sécurité mais aussi parce que tous exercent aussi un métier pendant la journée. En 2010, Ludmila Javorová s’était souvenue pour la radio tchèque :

Ludmila Javorová,  photo: Vít Kobza,  ČRo

« C’était très dur, mais ce n’est pas ainsi que nous voyions les choses. Nous étions complètement fascinés. Personne ne nous avait parlé de cette manière jusqu’alors. Il mettait l’accent sur l’étude, le temps, la responsabilité de l’Homme vis-à-vis de lui-même et de la société, de l’Eglise. Il disait : tu es partie intégrante de l’Eglise, c’est toi qui la crées. Jamais je n’avais entendu un tel discours auparavant… »

Felix Maria Davídek aurait ordonné quelque 200 prêtres et consacré dix évêques. Surtout, pour tromper la police politique, il a également consacré environ 80 hommes mariés mais aussi et surtout, des femmes, dont Ludmila Javorová qu’il nomme « vicaire général ». En réalité, on ne connaît pas le nombre exact d’ordinations secrètes sous le régime communiste, notamment à cause l’absence de registres pour des raisons évidentes de sécurité. Une chose est sûre, en tout cas, au-delà de la simple nécessité de « peupler » cette Eglise clandestine, Felix Maria Davídek a défendu l’ordination des femmes lors d’un synode dans les années 1970.

Felix Maria Davídek,  photo: Archives de Věra Černá,  une autre étudiante de F. M. Davídek

Après la Révolution de velours en 1989, la question de ces prêtres mariés est d’ailleurs devenue un casse-tête pour Rome. Finalement, nombre d’entre eux ont été ordonnés une nouvelle fois, « sous condition » dans le rite byzantin, intégrés à l’Eglise gréco-catholique uniate qui reconnaît l’ordination des hommes mariés. D’autres anciens prêtres clandestins ont par contre mal vécu cette obligation, eux qui avaient exercé leur ministère pendant des années, en dépit du danger encouru. Quant aux ordinations de femmes, comme celle de Ludmila Javorová, elles ont été déclarées invalides par le Vatican dans les années 1990.

Felix Maria Davídek a poursuivi sa mission pastorale auprès des chrétiens tchécoslovaques ne reconnaissant pas l’autorité de l’Eglise catholique officielle soumise au parti communiste. En 1978, le Vatican lui intima pourtant de cesser ses activités, mais il continua à animer l’Eglise clandestine, à organiser des séminaires et des messes en secret. Défenseur de la liberté, religieuse notamment, il est décédé en août 1988, plus d’un an avant la Révolution de velours et la fin du régime communiste.