Forum 2000

Forum 2000

Pour la huitième fois déjà, la conférence internationale Forum 2000 - Des ponts à travers les abîmes globaux, s'est tenue à Prague. Une trentaine de personnalités du monde entier, représentants d'organisations internationales et d'institutions supranationales d'une part, et représentants des sociétés civiles et mouvements humanitaires de l'autre, se sont penchés sur le thème suivant: quel rôle pour la société civile dans le monde globalisé?

Dans le groupe de débat intitulé « La société civile face à une économie mondialisée: une critique ou une coopération? », des participants ont souligné que la société civile avait déjà connu un succès: les gouvernements et les institutions internationales ne peuvent plus ignorer ce que les activistes considèrent comme une organisation inégale et injuste de l'économie mondiale. Quelles sont les propositions principales des activistes de la société civile, les problèmes principaux qui les préoccupent? Pour le Français Frédéric Mousseau, qui travaille depuis une douzaine d'année avec différentes organisations humanitaires, principalement Médecins sans frontières et Action contre la faim, ce sont les situations de famine, les crises alimentaires et les moyens d'y remédier. Avec quel message est-il venu au Forum 2000?

"Je crois que mon souhait le plus cher, c'est qu'on arrive à trouver un même terrain de compréhension mutuelle entre les différents acteurs de la société civile, en particulier sur les problèmes d'alimentation dont je m'occupe. Si on veut résoudre ces problèmes, il faut se mettre d'accord sur les causes de ces problèmes et sur les moyens d'y remédier."

Comment peut-on y parvenir, dans la pratique?

"Pratiquement, mon problème, en ayant vécu de nombreuses situations de crises alimentaires graves, où l'on voit des gens dans une grande détresse et dans une grande pauvreté, c'est de ne pas me satisfaire des organisations humanitaires qui vont donner de la nourriture, des Nations Unies et de ce que l'on appelle les bailleurs de fonds qui vont envoyer des tonnes de vivres, mais essayer de bien comprendre ce qui amène les gens à cette situation-là et de m'interroger sur ce que l'on peut faire par rapport à ces causes-là. On parlait dans notre groupe de discussion de la situation à Haïti, après le cyclone qui est passé et des inondations, qui ont coûté la vie à des milliers de personnes. L'explication était la déforestation. Pourquoi y avait-il une déforestation ? Parce que la part la plus pauvre de la population à Haïti est obligée d'aller dans les montagnes pour couper du bois, pour en faire du charbon. Ces gens ne faisaient pas ça auparavant. Leurs parents étaient agriculteurs, fermiers, ils produisaient du riz, mais aujourd'hui ils ne peuvent plus produire de riz parce que ce riz n'est pas compétitif face aux géants américains producteurs de céréales qui étaient juste à côté et qui ont fait disparaître cette production locale. Aujourd'hui, donc, on se trouve avec une masse de gens qui auparavant pouvaient survivre avec leur production, manger leur production, la vendre localement à leurs voisins et qui, désormais, se retrouvent sans revenus et avec la dernière option qui leur restera une fois cette déforestation achevée : essayer de prendre un bateau pour rejoindre un pays dit riche, pour leur survie. En Europe, on voit tous les jours à la TV des cadavres qui arrivent sur les plages d'Espagne, avec des gens qui essayent de traverser la Méditerranée pour rejoindre l'Europe, c'est le même mécanisme que l'on retrouve partout, et je crois que c'est vraiment à ce problème qu'il faut s'attaquer aujourd'hui, et pas se satisfaire de nos pauvres distributions de vivres."

Vous-même étiez dans de nombreuses missions humanitaires dans le monde?

"Oui, j'ai passé ma vie dans des missions humanitaires et des situations de crise de ce type-là, et c'est pour ça que j'en parle, que j'ai beaucoup de colère et de frustration de voir ce qui se passe. Il est vrai qu'au quotidien, à Haïti ou ailleurs, au Soudan - j'étais au Soudan pendant tout l'été avec Médecins sans frontières, effectivement, il faut mettre en oeuvre des distributions de vivres en urgence, mais cela ne doit surtout pas nous empêcher de penser aux causes profondes, aux facteurs qui nous ont amenés à la situation actuelle dans de nombreux pays et de s'y attaquer fermement. Ce qui est dangereux aujourd'hui, ce contre quoi je me bats, c'est, finalement, toute cette attention portée, et on le voit bien à travers les grands médias, à ces crises conjoncturelles et à ces réponses qui sont encore plus conjoncturelles, et je pense qu'il faut, au contraire, s'attaquer à ces causes profondes, aux vrais problèmes qu'on ignore trop souvent."