Fusillade du 21 décembre à Prague : un appel citoyen à renforcer la législation sur les armes à feu
Un peu plus de neuf mois après la terrible fusillade à la Faculté des Lettres de l’Université Charles, où un étudiant a tué 14 personnes et en a blessé 25 autres, une initiative citoyenne appelle à renforcer la législation sur le port d’armes. La Tchéquie est en effet considérée comme un des pays les plus libéraux du monde en la matière.
Est-il normal qu’en Tchéquie, il soit possible de se procurer facilement une arme semi-automatique ? Et si oui, pour quel usage exactement ? Est-il normal qu’en Tchéquie, il soit également possible d’acheter aisément un silencieux ? Et là encore, à quels fins réellement ? Enfin, est-il normal que les personnes qui demandent un permis de port d’armes ne soient pas soumises à de tests psychologiques qui vérifient leur état mental ?
Toutes ces questions, elles sont posées par les auteurs d’une pétition citoyenne intitulée : « A tous ceux qui ne sont pas indifférents » (Všem, kdo nejsou lhostejní), des auteurs qui ont été touchés de près par la fusillade du 21 décembre 2023, que ce soit parce qu’ils étaient présents sur place et en ont miraculeusement réchappé, ou parce que parent d’une victime.
Pour David Vichnar, qui enseigne à la Faculté des Lettres au département d’études anglophones, présent sur les lieux le jour de la tragédie, les réponses sont assez simples :
« Nous estimons que l’accès quasi libre à des armes semi-automatiques est une anomalie. Ces armes offensives et paramilitaires n’ont rien à faire dans les mains de civils, elles ne sont clairement pas destinées à de l’auto-défense. De même, l’accès facilité aux silencieux est également une anomalie : un silencieux donne immédiatement l’impression que l’on veut que le tir reste secret. Enfin, il y a un vrai laxisme en ce qui concerne l’aptitude psychologique et psychique des individus qui demandent un permis de port d’armes. Dans le processus actuel d’obtention d’un permis, il y a une visite médicale mais qui ne s’intéresse qu’à l’ouïe et à la vue, donc en gros : est-ce que la personne sait bien tirer ? Mais on ne s’intéresse pas à si ce qui se passe dans sa tête le rend apte à tenir une arme. Rappelons enfin que les futurs policiers passent des tests psychologiques, or le pourcentage de personnes recalées est très important. »
Depuis 2021, la Tchéquie est un des quatre pays au monde, aux côtés des Etats-Unis, du Honduras et du Yémen, à avoir inscrit le droit de porter des armes dans sa constitution. Près de 317 000 personnes sont officiellement détenteurs d’un permis de port d’armes. Et le nombre d’armes en circulation – et détenues légalement – a dépassé le million selon les derniers chiffres disponibles au début de l’année. Dans un pays d’un peu plus de 10 millions d’habitants, c’est un chiffre particulièrement élevé d’armes concentrées entre les mains d’un petit nombre de personnes – 3 % de la population – comme le souligne un des auteurs de la pétition, le philosophe et professeur Václav Němec :
« Personnellement, j’ai du mal à comprendre cette spécificité tchèque. Je pense que c’est lié à une certaine forme d’idéologie, notamment à droite de l’échiquier politique où on semble penser que c’est ‘cool’ de jouer au Far West. C’est une perversion de la notion de ‘liberté’ : ces gens pensent que le summum de la liberté, c’est de n’avoir aucune régulation, sans comprendre que la liberté ne concerne pas quelques élus, mais tout un chacun – d’où la nécessité d’établir des règles. Mais il faut dire que cette perception est transpartisane : à gauche aussi, il y a un soutien à cette législation pro-armes, probablement en lien avec des lobbies de l’armement. C’est donc une combinaison de différents facteurs. En outre, la crise migratoire de 2015 a renforcé cette façon de penser démagogue et populiste. »
On sait aujourd’hui que l’auteur de la fusillade du 21 décembre était un individu psychologiquement instable, avec des tendances suicidaires mais également violentes contre autrui. S’il était suivi psychologiquement, cela n’a pas empêché cet étudiant de 24 ans de se constituer chez lui ce qui s’apparente littéralement à un arsenal : huit armes détenues totalement légalement, dont une arme semi-automatique qui lui a permis de tirer à longue distance sur des passants depuis la corniche de la Faculté des Lettres. A la fin de l’année dernière, près de 6 500 personnes en Tchéquie détenaient un même nombre d’armes chez eux.
À partir de 2026, une nouvelle loi sur les armes et les munitions entrera en vigueur, obligeant les marchands d’armes à signaler les transactions suspectes. Elle introduit également la possibilité de confisquer les armes à feu en cas de risques pour la sécurité ou de réduire de dix à cinq ans le délai pour le renouvellement des examens médicaux des propriétaires d’armes à feu. Elle prévoit également la possibilité pour la police d’ordonner des contrôles à tout moment.
Mais pour les auteurs de l’initiative citoyenne, les mesures introduites par la nouvelle loi – et les récents amendements à la loi actuelle – sont largement insuffisantes et ne seront pas en mesure d’empêcher la répétition de tragédies similaires à l’avenir. Au cours des dix dernières années, deux autres fusillades meurtrières ont eu lieu dans le pays : dans un restaurant à Uherský Brod en février 2015 et à l’hôpital universitaire d’Ostrava en décembre 2019. De son côté, David Vichnar espère que leur appel saura trouver un écho auprès des législateurs qui peuvent encore influencer la future loi avant son entrée en vigueur :
« Nous rencontrons différents députés. Nous sommes soutenus par certains politiques qui sont membres de la coalition gouvernementale. Ils nous sont favorables, évidemment, parce que nous sommes les premiers concernés par le traumatisme qu’a représenté cette fusillade. Ils ne peuvent décemment balayer cela d’un revers de la main. Mais quand nous présentons nos trois demandes, nous entendons les mêmes arguments selon lesquels c’est compliqué politiquement. Je ne veux pas non plus donner une image totalement négative : il existe un groupe de travail au ministère de l’Intérieur auquel je participe et qui travaille sur un renforcement des réglementations. Donc, oui, nous sommes entendus aussi. Mais nous en sommes au tout début et la route est encore longue. »
Dans un peu moins de trois mois, Prague et son université devront affronter le premier anniversaire de la fusillade de la Faculté des Lettres : avec Tomáš Hercík, un étudiant en histoire qui s’est tout particulièrement illustré par son héroïsme lors de la fusillade en aidant ses camarades, David Vichnar prépare actuellement une anthologie rassemblant des témoignages de proches des victimes ou de personnes touchées, d’une manière ou d’une autre, par la tragédie. Nous aurons l’occasion d’en reparler avec eux à cette occasion sur notre antenne.