La dernière BD de Lucie Lomová: meurtre au théâtre
« Je dessine depuis toujours et depuis toujours je veux raconter des histoires », dit Lucie Lomová considérée aujourd’hui comme un des auteurs les plus inspirés de la bande dessinée tchèque. D’abord dessinatrice de BD pour enfants, elle a mûri et créé successivement déjà trois albums pour adultes. Dans son dernier opus, elle ose aborder le genre difficile du roman policier classique. Ce récit raconté par des images en noir et blanc amène le lecteur dans le monde du théâtre, monde que l’auteure connaît très bien parce qu’elle en est issue.
« Je suis tombée amoureuse de la bande dessinée quand j'étais petite. Quand j’ai été aux Etats-Unis, je ne savais pas parler et les tas de cahiers de bandes dessinées qui sortaient là-bas, les BD formidables et très kitch, m'ont appris à lire un peu en anglais. Le genre de la bande dessinée me semblait toujours très intéressant, cela me semblait très accessible, parce que je pouvais le comprendre même sans savoir lire. Et je ne me doutais même pas de l'ampleur que la bande dessinée allait prendre au cours des décennies suivantes, je ne pouvais pas prévoir dans quelle mesure allait s'élargir la gamme des possibilités de la BD de raconter des histoires. On dit que, chez nous, on assiste à un boom de la BD mais ce n'est pas que chez nous, c'est dans le monde entier. Ce n'est que depuis quelques années qu'existe par exemple la BD documentaire ou une immense vague de la BD autobiographique. Alors le genre ne cesse de me fasciner par son dynamisme et par les éléments toujours nouveaux de la langue de la bande dessinée qui ne cesse de se développer comme toute autre langue. »
Au début de sa carrière, Lucie Lomová dessine pendant dix ans pour le magazine Čtyřlístek l’histoire de deux petites souris mais finalement ce travail cesse de la satisfaire et elle décide de changer de registre. « Après un temps, une histoire pour adultes a commencé à roder dans ma tête », se souviendra-t-elle.C’est grâce à un éditeur français qu’elle aura finalement l’occasion de démontrer son talent. En 2006, le dessinateur, spécialiste de la BD et éditeur Thierry Groensteen fait confiance à la jeune auteure tchèque et publie aux Editions de l’An 2 son album intitulé « Anna en cavale ». Cette histoire rocambolesque d’une jeune femme poursuivie par la mafia russe, une sorte de thriller plein de rebondissements et avec une foule de personnages secondaires, fait découvrir au grand public une auteure qui sait non seulement débrider sa fantaisie mais lui donner aussi une forme solide et très agréable pour le lecteur. Traduit en tchèque, l’album sort ensuite également en Tchéquie et les amateurs tchèques peuvent eux-aussi se délecter du talent de cette nouvelle vedette de la BD.
En 2011 Lucie Lomová récidive avec un nouvel album auquel elle a travaillé pendant deux ans et demi et qui raconte la vie romanesque du voyageur Alberto Vojtěch Frič (1882- 1944) et de son ami et protégé Tcherwuish, un Indien de la tribu Chamacoco d’Amérique Latine. Cette épopée en images intitulée « Les Sauvages – Divoši » sort parallèlement en Tchéquie et en France et consacre Lucie Lomová comme un des meilleurs auteurs de la bande dessinée tchèque de sa génération. Forte de ces deux succès, l’auteure se hasarde sur un terrain encore inexploré par elle et décide de mettre en images une histoire policière. Elle la publiera en 2014, encore parallèlement en France et en Tchéquie, sous le titre « Sortie des artistes – Na odstřel » :« J'ai créé cette BD à l'époque où j'avais besoin de faire quelque chose de plus léger, quelque chose de divertissant pour me reposer après avoir travaillé longtemps sur la BD ‘Les Sauvages’. J'ai voulu donc essayer de faire un roman policier parce que je pensais naïvement que ce serait reposant et que ça me donnerait moins de travail. Mais c'était une énorme erreur, parce qu'à la différence des autres genres, quand vous écrivez un roman policier, vous devez savoir d'avance énormément de choses. »
Dans ce roman policier, Lucie Lomová revient dans le milieu du théâtre qui lui est familier. Elle a étudié la théâtrologie à Prague, a travaillé pendant un temps dans un théâtre de Moravie du nord et a été aussi critique de théâtre avant de devenir auteure de BD. C’est également une critique dramatique Dita Oulibská, qui est un des personnages principaux du roman. On a tenté même de rapprocher ce personnage de l’auteure en cherchant les ressemblances entre Dita Oulibská et Lucie Lomová. Celle-ci refuse cependant d’être confondue avec l’héroïne de son roman, qu’elle aime bien mais à laquelle elle voulait insuffler une vie autonome :« J'aime beaucoup ce personnage, parce que c'est une femme hors catégories, disons d'âge moyen pour ne pas dire d'un certain âge, une originale, pas très jolie. C'est donc une femme qu'on s'attendrait à voir plutôt dans une cuisine ou faisant le ménage, mais en même temps elle est très intelligente, très cultivée et elle sait trouver une issue à des situations extrêmement difficiles. »
Ajoutons que Dita Oulibská se découvre dans le roman aussi un talent de détective. Tout commence un soir lorsque Dita, femme de l’inspecteur Oulibský, tombe malade et envoie son mari assister à sa place à une première théâtrale dont elle doit écrire la critique. L’inspecteur Oulibský ne se doute pas que lui et tous les spectateurs de la première, seront témoins d’un meurtre sur scène. Juste avant le début du spectacle, un des comédiens se déclare souffrant et se fait remplacer au pied levé par son collègue. Le personnage qu’il devait incarner, doit se suicider sur scène, mais lorsque le comédien remplaçant appuie sur la détente du revolver normalement chargé à blanc, un coup part et le pauvre tombe raide mort. Il s’avère que quelqu’un a chargé avec des balles réelles le pistolet que l’on pensait inoffensif. Il s’agit donc de toute évidence d’une affaire criminelle et l’inspecteur Oulibský ouvre aussitôt une enquête qui se révèle difficile bien que les suspects et les motifs ne manquent pas. En créant cette BD, Lucie Lomová a été conseillée par un véritable commissaire de police :« Le personnage de l’inspecteur Oulibský n'a rien à voir avec le policier qui me conseillait. Il ne m'a donné que quelques conseils précieux. Ota Oulibský s'est formé progressivement dans mon esprit. J'ai commencé par imaginer sa tête que je voulais très simple parce que je savais que je la dessinerais beaucoup de fois. Je lui ai donc fait une tête quasi rectangulaire avec une petite calvitie et un menton assez proéminant. Et puis le personnage s'est composé tout seul. »C’est donc un meurtre sur scène qui fait démarrer toute une série d’événements, de rebondissements et de coups de théâtre qui jonchent la trame de cette comédie policière. Evidemment nous n’allons pas porter ici un coup mortel à ce roman policier en vous dévoilant quel sera son dénouement. Nous vous laissons le plaisir de jouer les détectives avec l’inspecteur Oulibský et sa femme et de découvrir vous-mêmes l’assassin et le motif de son crime. Nous pouvons vous dire seulement que ce crime sordide a mûri pendant plusieurs décennies et qu’il faut donc chercher les antécédents de cette affaire criminelle dans le passé. La BD « Sortie des artistes » a paru aux Editions de l’An 2 en France et aux éditions Labyrint en Tchéquie.
Lucie Lomová se repose actuellement de la bande dessinée pour adultes en collaborant à une importante série de courts métrages pour enfants inspirés par la série sur les aventures de deux petites souris qu’elle a jadis créée pour le magazine Čtyřlístek. Entre 2009 et 2011 elle a enseigné à l’Académie littéraire Josef Škvorecký de Prague où elle donnait des leçons aux jeunes adeptes de BD. Elle organise aussi des workshops pour les enfants. Interrogée sur les conseils qu’elle donnerait aux futurs auteurs de la BD, elle leur recommande une méthode tout à fait modeste :« Qu'ils soient attentifs le plus possible à la réalité, qu'ils cherchent à raconter des histoires même sans vouloir d'abord les publier, qu'ils essaient d'écrire pour eux-mêmes un journal intime sous forme de la bande dessinée, qu’ils essaient de créer quelque chose à partir d’un fait complètement banal, parce que cela aussi est possible. Même la façon dont certains détails sont soulignés sur le plan graphique peut être assez intéressante pour attirer l'attention de quelqu'un. »