La fête du 28 octobre - entretien avec le professeur Alain Soubigou
La Tchécoslovaquie en tant qu'Etat commun de deux peuples, tchèque et slovaque, a été fondée en 1918. Mais elle aura relativement une courte existence, puisque sa partition interviendra à minuit, le 31 décembre 1992.
La Tchécoslovaquie en tant qu'Etat commun de deux peuples, tchèque et slovaque, a été fondée en 1918. Mais elle aura relativement une courte existence, puisque sa partition interviendra à minuit, le 31 décembre 1992. A zéro heure, le 1er janvier 1993, l'Etat tchécoslovaque faisait déjà partie de l'histoire. L'Etat tchécoslovaque oui, mais pas la Tchécoslovaquie humaine, culturelle et traditionnelle. Ce mariage aura duré soixante-quinze ans et le divorce à l'amiable a été apprécié dans le monde entier. A l'époque et même aujourd'hui, nombreux sont ceux qui s'interrogeaient et s'interrogent sur les raisons de cet éclatement de l'Etat tchécoslovaque, tout à fait contre l'esprit du processus d'intégration européenne. Certains sont allés jusqu'à chercher ces raisons dans la fondation même de l'Etat commun des Tchèques et des Slovaques ; ils n'y voient qu'une liaison forcée et inapte à résister au temps sinon sous la contrainte. La création d'un nouvel Etat sur les ruines de l'empire austro-hongrois était-elle une chose politique ou il fallait à tout prix garder les arrangements anciens? J'ai posé cette question au professeur et maître de conférence des Sciences-Po de Paris, M. Alain Soubigou, grand connaisseur de l'oeuvre du premier président tchécoslovaque, Tomas Garrigue Masaryk.
"Beaucoup de nostalgiques de l'empire austro-hongrois croient que ce sont des tchèques, des Slovaques et d'autres nationalités qui auraient fait tomber l'empire. J'ai peur, malheureusement, que l'Autriche-Hongrie ne soit tombée un peu toute seule du fait de l'immobilisme du gouvernement et puis surtout de l'empereur pour lequel on peut avoir beaucoup d'attachement mais qui n'a pratiquement rien fait pour les Tchèques et les Slovaques. La Bohême et la Moravie étaient les parties les plus riches de l'empire et cette partie alimentait et finançait l'ambiance viennoise. On a parlé de l'apocalypse joyeuse. C'était très joyeux à Vienne et les Tchèques avaient un peu l'impression de travailler pour les Viennois. Il y avait aussi des contradictions politiques, dont le manque de reconnaissance des Tchèques, des Moraves, des Slovaques et de toutes les minorités nationales de l'empire. Tout cela a accumulé une série de contradictions qui ont contribué à l'éclatement général d'un système complètement archaïque."
Quel était l'impact de la création de la Tchécoslovaquie, dans le contexte européen.
"C'est une question très intéressante. Dans son livre « La nouvelle Europe », Masaryk exposait les buts de la création de la Tchécoslovaquie. Il essaie tout d'abord de dédramatiser la disparition de l'empire. Concrètement, la création de la Tchécoslovaquie signifiait plus de démocratie en Europe centrale. C'est très important notamment quand on pense que presque tous les pays autour ont passé dans les années vingt à la dictature."Bientôt, la République tchèque et neuf autres pays d'Europe centrale et orientale, adhéreront à l'Union européenne. Elle ne sera donc plus l'Europe des quinze mais l'Europe des vingt-cinq. En Europe centrale, les membres de l'Union seront donc l'Autriche, la République tchèque, la Slovaquie, la Pologne et la Hongrie. Ces pays peuvent-ils éventuellement créer une région un peu à part, partageant la même histoire, les mêmes traditions sociales et culturelles, celles de la vie commune au sein de l'ancien empire austro-hongrois, à l'exception de la Pologne, bien sûr? Une question pour Alain Soubigou.
"L'Autriche-Hongrie ne peut jamais revivre. Politiquement ce n'est pas jouable. En revanche, ce qui est en train de se recréer avec la grande Europe, c'est peut-être moins l'Autriche-Hongrie qu'un grand ensemble de plusieurs centres, de plusieurs capitales, de plusieurs décisions et Bruxelles pilotant, ne dirigeant pas, cet ensemble. Il n'empêche que c'est moins peut-être le modèle austro-hongrois auquel il faut penser. Plutôt un modèle à la Suisse étendu à l'ensemble du continent avec plusieurs capitales."