La guerre en Ukraine, aussi une guerre de l’information
« Les médias et l’Ukraine - Des valeurs partagées - Une responsabilité partagée » était l’intitulé de la grande conférence internationale qui était diffusée par la Radio tchèque tout au long de la journée de ce jeudi. Une conférence organisée dans le cadre du 100e anniversaire de la Radio et dont le président de la République, Petr Pavel, le maire de Kyiv, Vitali Klitschko, ou encore la journaliste et militante politique russe Zhanna Nemtsova, fille de l’opposant assassiné Boris Nemtsov, étaient les principaux invités.
Heureusement, pour écouter la radio, il reste toujours les ondes. Ce jeudi matin, lors de son ouverture à 10 heures, suivre la grande conférence organisée par la Radio tchèque a donc été possible sur l’antenne de Radiožurnal et de Český rozhlas Plus, les deux principales stations d’information de la radio publique. Et aussi sur YouTube. L’attaque informatique massive dont ont été la cible les sites de la Radio, restés indisponibles dans les premières heures de la matinée, n’a donc pas empêché sa bonne tenue, comme s’en est félicité le directeur général de la Radio tchèque, René Zavoral :
« L’attaque de hackers aujourd’hui confirme combien le rôle des médias du service public est important, car ce qui se passe n’est bien évidemment pas le fruit du hasard. Le fait que nous soyons réunis pour parler de tels sujets en dérange visiblement certains. »
En République tchèque comme ailleurs en Europe, l’invasion de l’Ukraine, ses conséquences et ses évolutions sont suivies pratiquement en temps réel. Dans les médias, mais aussi sur Internet et les réseaux sociaux. En République tchèque, comme cela avait déjà été le cas lors des graves inondations ou de la crise du coronavirus, les médias du service public ont joué un rôle clef dans l’information du public. Aux yeux de beaucoup de Tchèques, ceux-ci restent une garantie de crédibilité. Dans le paysage médiatique en Europe centrale, la Radio et la Télévision tchèques, encore largement indépendants du pouvoir politique, font d’ailleurs même presque figue d’exceptions, et c’est aussi ce que voulait rappeler la conférence de ce jeudi, comme l’a souligné René Zavoral :
« Depuis le 24 février 2022, l’agression russe en Ukraine occupe nombre de nos journalistes et collègues. Qu’il s’agisse des médias publics ou privés, les informations en provenance de la ligne de front remplissent leurs journaux. Quel est le travail des journalistes dans ces conditions complexes ? Quel est le rôle des médias, et plus particulièrement du service public, dans ces situations de crise ? Mais aussi quel est le regard des experts et des intellectuels sur l’ensemble du conflit et de l’agression russe ? C’est à toutes ces questions que doit répondre la conférence. »
Premier invité de cette conférence, le président de la République a été fidèle à la ligne de conduite qui est la sienne depuis sa prise de fonctions au Château de Prague en mars dernier. Jusqu’à présent inlassable défenseur de la cause ukrainienne, Petr Pavel a rappelé l’importance, dans un contexte miné par la désinformation, de la liberté d’informer et de pouvoir s’informer :
« Le 100e anniversaire du début de la diffusion radiophonique régulière est l’occasion de rappeler l’importance de la liberté de parole. La liberté de pouvoir s’exprimer sans censure et sans restrictions. La liberté de recevoir des informations et des idées, de pouvoir les rechercher et de les diffuser. C’est là une liberté qui est toujours fortement restreinte dans de nombreux endroits du monde et pour le respect de laquelle, encore aujourd’hui, des gens se battent au prix de leur vie. Nous en avons des exemples concrets près de chez nous. Parmi nous aujourd’hui se trouve la fille de l’opposant politique russe assassiné Boris Nemtsov. Dans la rue Vinohradská à Prague, à proximité du siège de la Radio tchèque, se trouvent aussi les studios de Radio Libre Europe dont trois journalistes sont actuellement emprisonnés : deux en Biélorussie et le troisième en Crimée occupée par la Russie. En février dernier, nous avons commémoré le cinquième anniversaire de l’assassinat du journaliste slovaque Ján Kuciak et de sa fiancée Martina Kušnírová. Tous ces exemples nous montrent quel peut être le prix de la volonté de diffuser librement des informations dans le monde aujourd’hui. »
Autre invité de marque, Vitali Klitschko a lui aussi tenu des propos forts. L’ancien champion du monde de boxe devenu maire de Kyiv estime, lui, que la guerre en Ukraine est bien davantage qu’un combat pour l’indépendance de l’Ukraine et les droits et libertés des Ukrainiens :
« L’Ukraine et cette guerre concernent chacun d’entre nous, car il s’agit pas seulement d’une guerre en Ukraine. C’est la plus grande guerre en Europe depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale et l’Ukraine est le plus grand pays en Europe. Une déstabilisation de l’Ukraine pourrait déstabiliser toute la région. Ce n’est pas non plus une guerre pour l’Ukraine. C’est une guerre pour les droits humains et pour les droits démocratiques. C’est une guerre pour la démocratie dans le monde. Nous ne combattons pas seulement pour défendre notre patrie mais aussi chacun d’entre vous. »
Des combats qui ne sont pas seulement physiques aux yeux du président tchèque. Ancien président du comité militaire de l’OTAN, Petr Pavel n’envisage une issue victorieuse à la guerre en Ukraine que si la guerre de l’information, dont selon lui nous sommes tous partie prenante, est elle aussi remportée :
« Dans les interviews, on me demande souvent si nous sommes en guerre avec la Russie. Je réponds toujours que si nous avons à l’esprit une guerre traditionnelle menée avec des armes conventionnelles et dans laquelle meurent des soldats et des civils, alors, non, nous ne sommes pas en guerre. Cette guerre-là se passe quelques centaines de kilomètres à l’est de nos frontières. Mais on ne mène pas des guerres seulement dans le monde physique. Une grande partie se passe aussi dans la tête des gens. C’est un combat pour la force de l’opinion publique, un combat dont l’enjeu pour les observateurs ici est de reconnaître qui est la victime et qui est l’agresseur. Dans le pays qui a déclenché le conflit, l’enjeu pour le gouvernement est de pouvoir défendre son action devant ses propres citoyens. Dans le pays qui est agressé, il s’agit pour le gouvernement d’être en mesure d’entretenir la résilience et la foi du peuple dans une issue victorieuse. Mais c’est aussi un combat pour convaincre les alliés de continuer à soutenir les parties qui participent à la guerre. C’est là l’essence des opérations d’information entre l’Ukraine et la Russie et c’est une guerre de l’information dont nous sommes nous aussi des acteurs. »
Plusieurs des nombreux journalistes tchèques et slovaques, parmi lesquels notamment Petra Prochazková, récemment décorée de la Légion d’honneur à l’ambassade de France à Prague, mais aussi le journaliste britannique d’origine ukrainienne Peter Pomerantsev ou encore la philosophe américaine Marci Zhore pour débattre en fin de journée de « la responsabilité de l’Occident » en compagnie de Zhanna Nemtsova, étaient aussi parmi les nombreux invités de cette conférence à revivre, pour ceux qui le souhaitent, sur le site de la Radio tchèque.