L'avenir incertain de la section tchèque à Dijon

Le lycée Carnot à Dijon

La décision de la région Bourgogne de supprimer sa participation au financement de la section tchèque du lycée Carnot à Dijon pour réaliser des économies, quitte à la mettre en péril, a suscité de nombreuses réactions en République tchèque. Toutes louent l’intérêt d’un projet pédagogique bientôt centenaire qui a contribué à renforcer les relations franco-tchèques via la formation de générations de Tchèques et de Tchécoslovaques francophiles et de Bourguignons tchécophiles. Ce mouvement de soutien à la section tchèque du lycée Carnot semble avoir payé puisque des partenaires financiers, et non des moindres, ont assuré qu’ils prendraient, au moins un temps, la relève de la région Bourgogne.

Olivier Jacquot,  photo: ČT24
« Il y a deux partenaires désormais pour cette section : l’ambassade de France et le ministère tchèque de l’Education nationale, qui nous a écrit il y a quelques jours. Nous prendrons en charge, à parité ce programme au moins pour la rentrée de septembre 2014. »

Directeur de l’Institut français de Prague et conseiller de coopération et d’action culturelle pour l’ambassade de France, Olivier Jacquot a confirmé à Radio Prague que six élèves, comme c’est le cas depuis plusieurs années, intégreront la section tchèque du lycée Carnot à Dijon pour l’année scolaire 2014/2015. Voilà qui devrait dissiper en partie les inquiétudes soulevées par la décision du Conseil régional de Bourgogne de supprimer la subvention attribuée à ce projet. Cette contribution était la plus importante du budget de la section, un budget auquel contribuaient jusqu’à présent déjà l’ambassade, mais également la ville de Dijon.

La décision du Conseil régional, justifiée par une volonté de réaliser des économies, a relativement surpris et menacé l’existence même de l’une des deux sections tchèques en France, avec celle du lycée Alphonse Daudet à Nîmes. Le concept, né au lycée Carnot en 1920, est le suivant : des élèves tchèques peuvent, sur concours, réaliser trois années de scolarité dans un lycée français et y passer le baccalauréat.

Le lycée Carnot à Dijon | Photo: Christophe.Finot,  Wikimedia Commons,  CC BY-SA 2.5
L’Association des anciens élèves des sections tchèques et tchécoslovaques, fondée il y a quelques années, s’est rapidement mobilisée, après avoir pris connaissance de la volonté du Conseil régional bourguignon, pour sauvegarder la section tchèque menacée. Pour Kristýna Křížová, la présidente de l’association, il s’agit de donner à de jeunes Tchèques la même opportunité que celle que les générations passées ont pu saisir à travers cette expérience marquante pour la vie entière. Lycéenne à Nîmes entre 1990 et 1993, Kristýna Křížová évoque la dimension symbolique de l’autre section tchèque aujourd’hui en activité, celle de Dijon :

« On peut dire que c’est à Dijon que tout a commencé. C’est aussi la section qui a duré le plus longtemps, la première rouverte dans les années 1960. Je pense aussi qu’elle a accueilli le nombre le plus important d’élèves tchèques et tchécoslovaques. Parce qu’il y a actuellement six élèves par an qui partent à Dijon, tandis qu’il y en a quatre pour Nîmes. Et par le passé, cette proportion était similaire. La section de Dijon est donc la plus importante en taille. »

La section tchèque du lycée Carnot, mixte depuis la moitié des années 1990, est également très fortement intégrée au tissu local dijonnais, puisque, chaque week-end, les élèves quittent leur internat pour vivre dans des familles d’accueil. Tout cela justifiait la mise en ligne par l’association d’une lettre ouverte. Kristýna Křížová raconte :

Kristýna Křížová,  photo: Site officiel de l'Ambassade de France à Prague
« C’est donc une sorte de lettre ouverte que nous avons placée sur Internet pour pouvoir la partager et qui a rencontré beaucoup de succès. Ce qui est très intéressant, c’est que les gens, non seulement ont signé la lettre, mais ont aussi apporté beaucoup de témoignages. Des témoignages qui permettent de voir les différents points de vue, les différents enrichissements que l’existence de la section tchèque apporte aux élèves tchèques et français, à leurs parents, aux familles d’accueil, aux gens qui vivent à Dijon et en Bourgogne. Cela montre le bien-fondé de l’existence de cette section. C’est vrai qu’il y a toujours des investissements à apporter, mais il y a des retours, il y a des fruits, cela a un sens. »

Plus de 800 personnes ont signé cette lettre ouverte dans laquelle plusieurs pistes de financement et de consolidation de la section tchèque du lycée Carnot sont évoquées. Proviseur de cet établissement, Hélène Rabaté est également attachée à ce projet. Voici ce qu’elle déclarait à la Télévision tchèque en février dernier :

« Au lycée Carnot, nous souhaiterions que cela continue, parce que nous sommes attachés à cette section tchèque, donc nous cherchons d’autres partenaires, d’autres sponsors. »

De prime abord surpris par le désengagement de la région Bourgogne, l’historien Jiří Hnilica, spécialiste des relations franco-tchèques, rappelle qu’il est finalement courant que les partenaires institutionnels changent avec le temps. Ainsi, depuis l’ouverture des différentes sections tchèques en France, à Nîmes et à Dijon notamment, leur budget a évolué sur la base d’un financement assuré avant tout par les Etats :

Le lycée Carnot à Dijon,  photo: Christophe.Finot,  CC BY-SA 2.5 Generic
« Après, au fur et à mesure, il y a eu des partenariats régionaux, que ce soit le département de la Côte d’Or pour le lycée Carnot ou le conseil régional de Languedoc-Roussillon pour Nîmes. Et puis il y a aussi eu les partenaires municipaux, donc par exemple la mairie de Dijon ou celle de Nîmes. Il s’agissait des partenaires les plus réguliers et après, ponctuellement, il y a eu d’autres financements. Le privé, par exemple, a été important pour le lancement des sections en 1920 et a ensuite disparu. »

La recherche de partenaires privés est justement une des options qui pourrait être envisagée à l’avenir. D’ici là, la transition vers un nouveau mode de financement, assuré par le ministère de l’Education tchèque et par l’ambassade de France en République tchèque, est donc engagée, comme le souligne le directeur de l’IFP, Olivier Jacquot :

« Simplement, le Conseil régional de Bourgogne et la mairie de Dijon, après évidemment concertation, vont prendre en charge les élèves qui sont actuellement à Dijon, mais n’en prendront pas de nouveaux, l’objectif étant que nous puissions assurer la relève pour les élèves qui partiront en septembre 2014. Mais les élèves qui sont actuellement à Dijon continueront d’être pris en charge par la ville, par l’ambassade et par la région. »

A plus long terme, peut-on imaginer que ce mode de financement se pérennise ?

« Il faut être très prudent. Tout cela dépendra de l’action, de la volonté du ministère tchèque de l’Education nationale. Nous, nous y sommes prêts. Il faut tout de suite dire que ce projet n’est pas le seul dans la coopération éducative et qu'il y a beaucoup d’autres projets, notamment le programme 'Un an en France'. »

Kristýna Křížová estime que la question de la pérennisation de la section tchèque du lycée Carnot est essentielle. Elle le déclarait au micro de Radio Prague après avoir été reçue au ministère de l’Education :

« Le ministère de l’Education nous a confirmé qu’il souhaitait travailler pour assurer l’avenir de la section tchèque de Dijon, qu’il allait pouvoir y financer à peu près la moitié des élèves, non seulement pour la rentrée 2014/2015 mais également pour les années suivantes. C’est ce qui est le plus important pour nous : trouver des financements pour la rentrée prochaine, mais aussi pour assurer la longévité de ce projet et donc avoir un modèle de financement stable. »

La participation de l’Etat tchèque ne semble pas illogique au regard du passé. C’est en tout cas ce que pense l’historien Jiří Hnilica. Selon lui, la partie tchèque, longtemps engagée financièrement dans le soutien à ces sections, a levé le pied progressivement ces dernières décennies. On l’écoute :

« Je considère que c’est une bonne chose et qu’il est tout à fait naturel que le gouvernement tchèque s’engage dans l’institution et dans son avenir lors des décennies à venir. De plus, l’institution pourra reposer sur une base plus forte d’une certaine façon, puisque la France et la République tchèque seront engagées de manière plus égalitaire. »

Un effort partagé pour des retombées attendues du côté tchèque comme du côté français : les anciens élèves et les personnes gravitant autour des sections tchèques s’accordent à louer les retours à long terme sur cet investissement dans la formation d’une jeunesse ouverte sur la France et sur la République tchèque. Jiří Hnilica est bien placé pour le dire, lui qui a porté son regard d’historien plus spécifiquement sur le rôle joué par la France dans la formation des élites tchécoslovaques durant la première moitié du XXe siècle :

Le lycée Carnot à Dijon,  photo: Christophe.Finot,  CC BY-SA 2.5 Generic
« Cette politique est en quelque sorte idéaliste. Elle croit qu’il est possible de former des jeunes d’une nation, d’un pays, dans un autre pays, pour en faire les futurs médiateurs, les futurs 'agents de liaison' - c’est un terme de l’époque -, entre les deux pays. Il y a donc un espoir que cet investissement soit rentabilisé pour les deux pays. Si on croit à cela, l’histoire des sections est un excellent exemple de la continuité des relations franco-tchèques, de l’appartenance des pays tchèques à l'Europe occidentale, et pour moi ce sont des éléments très forts. »

Le 22 avril devrait avoir lieu le concours d’accès aux sections tchèques du lycée Alphonse Daudet à Nîmes et du lycée Carnot à Dijon. Pour ce dernier, six élèves tchèques de la classe de seconde y effectueront donc leur scolarité durant l’année scolaire 2014/2015. Et pour Kristýna Křížová, il est clair que cette expérience ne sera pas anodine pour la suite de leurs histoires personnelles :

« C’est quelque chose qu’on vit entre 16 et 19 ans mais qu’on porte ensuite jusqu’à la fin de sa vie. Dans un recueil de témoignages, un ancien élève a dit qu’une année sans revenir en France était pour lui une année perdue. »