Le transfert des Allemands après la SGM, soixante ans après
Le transfert des Allemands après la fin de la Seconde Guerre mondiale... Un thème manipulé ou tabou, sous le régime communiste. Le voile sur ce chapitre on ne peut plus controversé de l'histoire tchèque moderne se voit levé, timidement, au fil des quinze années qui se sont écoulées depuis la chute du régime communiste, grâce aux travaux d'historiens tchèques et allemands notamment. La dernière édition de l'hebdomadaire Tyden consacre plusieurs pages à cet événement. Le tout au moment où le Premier ministre, Jiri Paroubek, déclare son intention de faire un geste envers les antifascistes allemands qui vivaient à l'époque sur le territoire de la République tchécoslovaque. Un geste qui n'est pas favorablement accueilli par tous, dans le pays.
« Après la capitulation, la population allemande en Bohême, en Moravie et en Silésie s'attendait à une revanche dure. Elle supposait que la punition allait frapper les acteurs ayant commis des crimes sur les Tchèques. L'étendue et l'exécution de la revanche tchèque ont dépassé leurs attentes naïves. A quelques exceptions près, la peine a affecté l'ensemble des Allemands ».
L'auteur de l'article rappelle que la brutalité de la revanche demeure encore aujourd'hui source d'émotions. D'un côté, la partie sudéto-allemande se déclare victime, tant de Hitler que des Tchèques, ce qui lui permet d'éloigner et de dissimuler ses propres actes et, d'un autre côté, la partie tchèque a tendance à minimiser ses crimes, documentés pourtant par la recherche historique, par des termes euphémiques, dont l'« excès » ou l'« abus » sont les plus fréquents.
Le transfert des Allemands - comme le rappelle le journal - a eu deux phases. La première, surnommée le « transfert sauvage », s'est déroulée entre mai 1945, date de libération du pays et début août, date de la tenue de la conférence de Potsdam, à laquelle la décision sur un transfert « organisé et humain » des Allemands de Tchécoslovaquie et d'autres pays est tombée.
Avant la guerre, la République tchécoslovaque comptait près de trois millions d'Allemands. Après la guerre, un fragment seulement d'entre eux devait y rester. Le nombre de ceux qui ont été transférés rien qu'au cours des trois premiers mois qui ont suivi la libération est évalué à quelque 450 000.
« Exécutions arbitraires, tortures, vols, et pillages accompagnaient les transferts sauvages », peut-on lire dans l'hebdomadaire Tyden. « Dans des régions limitrophes, des mois durant, des individus en uniformes ou transformés en gardes révolutionnaires, ont pu donner libre cours à leurs penchants sadiques. Parfois, les autorités ont fait tant bien que mal un certain effort pour empêcher les violences ».
Selon le journal, c'est le Parti communiste s'appuyant sur l'Armée rouge qui était le moteur principal du transfert sauvage. Ainsi, outre l'épuration ethnique, la terreur devait servir d'instrument en vue de la radicalisation sociale, des transferts des biens et d'autres pressions devant déboucher sur l'instauration ultérieure d'un autre régime totalitaire, le régime communiste, cette fois-ci ... En conclusion, le journal Tyden écrit, je cite :« La revanche tchèque a frappé, certes, toute une série de véritables criminels allemands et de meneurs nazis... Cela dit, il n'y a aucun doute qu'ont été touchées, aussi, beaucoup de personnes injustement accusées voire tout à fait innocentes qui sont devenues victimes de la haine raciale, de la cupidité ou d'une simple envie de tuer ».
Le transfert des Allemands des Sudètes a fait l'objet d'une étude approfondie et de travaux effectués en 1996 par une commission d'historiens tchèques et allemands. Celle-ci a estimé que le nombre de victimes du transfert des Allemands se situait entre 20 000 et 30 000 personnes, dont 10 000 qui sont mortes suite à des actes de violence. 5 000 ou 6 000 décès demeurent « non spécifiés », près de 6 000 suicides ont été enregistrés.
Un article publié par l'édition de ce jeudi du quotidien Pravo titre : Que devons-nous aux antifascistes allemands ? Le Premier ministre Jiri Paroubek y explique les motifs qui l'ont poussé à la décision d'initier un geste de conciliation à l'égard des Allemands antifascistes des Sudètes. Décision qu'il avait présentée, récemment, au chancelier autrichien, Wofgang Schüssel. Le texte concerné qu'il souhaite consulter avec l'ensemble de la représentation politique tchèque et avec les gouvernements de Slovaquie, de Slovénie et de Pologne, n'est pas encore définitivement rédigé. En attendant, nous pouvons lire dans les pages du journal :« A l'époque, la situation des antifascistes allemands dans les Sudètes a été très difficile. D'abord, c'étaient des ennemis du régime nazi et, après la guerre, les Tchèques les regardaient, puisque c'étaient des Allemands, avec une grande méfiance. Pour cette raison, beaucoup d'entre eux ont quitté le pays dans lequel ils ne pouvaient plus vivre. On connaît, aussi, des cas où les antifascistes allemands ont fait l'objet de transferts forcés ».
L'initiative de Jiri Paroubek, on l'a dit, n'est pas favorablement accepté par tout le monde. L'hebdomadaire Reflex la compare à la proclamation formulée par l'ancien président tchèque Vaclav Havel lors de sa première visite en Allemagne, en 1990.
« En exprimant un mélange d'excuses et de regrets en rapport avec le transfert des Allemands des Sudètes, il a évoqué les démons appelant à une révision de l'histoire d'après-guerre. Il lui aura fallu plusieurs années pour réparer les choses, après avoir rangé ce dossier épineux aux oubliettes », estime le journal.
Parmi les réactions positives au geste envisagé par Paroubek, citons celle parue dans le prestigieux hebdomadaire, Respekt. Selon Erik Tabery, « en voulant honorer les Allemands des Sudètes qui ont lutté contre le fascisme, le Premier ministre tchèque a fait preuve de courage. Dans le climat d'hystérie anti-allemande, c'est un message inattendu ».