Les attentats de Paris à la une des journaux tchèques

Photo: ČTK

Un seul sujet au menu de cette revue de presse hebdomadaire : les attentats de Paris du 13 novembre, événement qui a été traité sous tous ses aspects dans l’ensemble des médias tchèques et auquel les célébrations de la fête nationale du 17 novembre ont forcément fait écho.

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C’est quelques heures seulement après le massacre de Paris, dans une atmosphère de très forte émotion, que Jiří Sobota a rédigé un texte pour Respekt, hebdomadaire qui sort le lundi et dans lequel il écrit :

« Les Français ont affronté la première vague de l’horreur avec une grande dignité. Il faut souligner l’opération parfaitement coordonnée de la police et de l’armée, la communication exemplaire entre les représentants politiques, ainsi que la solidarité des Parisiens. Il n’a fallu, par exemple, que quelques heures pour voir lancer sur Twitter le hashtag ‘porte ouverte’, une façon pour les habitants du centre de proposer un hébergement aux personnes qui ne pouvaient rejoindre leur domicile. »

Même s’il est trop tôt pour évaluer les conséquences de ces attaques, l’auteur du texte publié dans le magazine Respekt estime, de concert avec d’autres éditorialistes tchèques, que celles-ci pourraient renforcer les populistes en France et dans l’ensemble de l’Europe. Toutefois, se laisser aller à l’abattement signifierait accomplir ce que souhaitent les terroristes. Selon lui, il est également certain que l’Europe ne peut plus vivre sa petite vie paisible, isolée du monde. Dans une analyse publiée quelques jours plus tard dans le quotidien Mladá fronta Dnes, Luboš Palata invite la société tchèque à ne pas céder à la haine à l’égard des musulmans suite à ces actes terroristes :

« Les gens qui quittent la Syrie ou l’Irak pour l’Europe, fuient le même danger, le même carnage qui a touché Paris dans la nuit de vendredi. Ils fuient une guerre sanglante et impitoyable, dont l’organisation de l’Etat islamique est aujourd’hui l’acteur le plus brutal. Les réfugiés, qui ne sont ni ses alliés ni ses sympathisants, sont les victimes d’une guerre qui sévit au Proche Orient et qui a tué des milliers de personnes ayant trouvé la mort dans des attentats en Irak, à Beyrouth ou ailleurs. »

Luboš Palata souligne que, même en ces moments difficiles, il ne faut pas oublier les fondements de nos valeurs européennes qui sont l’humanité et la compassion avant de conclure :

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« Nous sommes appelés à continuer à accorder notre aide aux migrants qui fuient la guerre en Syrie et en Irak. Les réfugiés ne sont pas nos ennemis, ce sont des gens qui ont été affectés par la même guerre qui nous touche maintenant à Paris. Nous constituons pour l’organisation de l’Etat islamique un ennemi commun. Voilà pourquoi il nous faut être des alliés pour l’éliminer de la surface du monde. Sinon, c’est lui qui prendra petit à petit le dessus sur nous. »

Dans l’édition de ce mercredi du quotidien Lidové noviny, Petr Zídek tient pour sa part à rappeler que le monde dans lequel nous vivons reste relativement sûr. Il explique pourquoi :

« L’émotion provoquée par les attaques terroristes barbares à Paris, considérablement alimentées par les médias qui déclinent à toutes les sauces le mot ‘guerre’, ne devrait pas nous empêcher de garder un regard rationnel sur la situation actuelle. D’un point de vue historique, nous vivons dans un monde sûr, notamment comparé à l’époque avant 1989. Entre les années 1950 et 1980, une guerre nucléaire mondiale aurait pu à tout moment éclater. Ses conséquences auraient signifié un retour en arrière de la civilisation de plusieurs centaines d’années, sinon la destruction de l’humanité. Ce n’est que plus tard que les historiens ont dévoilé qu’à certains moments, une apocalypse nucléaire n’a été évitée que par un heureux jeu de circonstances. Les menaces sont donc alors incomparables. »

L’économiste Tomáš Sedláček a réagi ce jeudi dans les pages du quotidien économique Hospodářské noviny au fait qu’une partie des assaillants du vendredi 13 novembre viennent de Bruxelles ou y ont vécu :

« Cette ville est le symbole de l’intégration européenne, le siège des institutions bureaucratiques et politiques de l’Union européenne. C’est aussi une ville d’espoir, de coopération et de culture européenne, une ville où la communication est cultivée et délicate. Il est étrange que cette ville se soit maintenant retrouvée à l’origine de la désintégration, de la terreur, de la haine, d’un manque de culture, de la barbarie et de la brutalité. Comment a-t-on pu concevoir l’intégration européenne sous ses aspects politique, économique et bureaucratique, tout en négligeant l’intégration sociale et culturelle ? »

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« Il faudra probablement voir mourir encore des centaines ou des milliers de personnes pour que les politiciens prennent la menace de terrorisme enfin au sérieux. » C’est ce que prétend dans un entretien mis en ligne sur le site aktuálně.cz, au lendemain des attaques de Paris, Karel Randák, ancien chef du service de renseignement extérieur de la République tchèque. Refusant l’hypothèse de l’échec des services de renseignement, qui n’auraient pas voué une attention suffisante aux menaces de terrorisme, il déclare également :

« Aucun Etat au monde, même s’il s’agit d’une dictature absolue, n’est capable d’édifier un système sécuritaire sûr à cent pour cent qui serait à même d’empêcher de pareilles attaques terroristes. Ce n’était pas possible dans l’ex-Union soviétique ou dans la République démocratique allemande qui étaient des régimes totalitaires très durs. Pour que les services de renseignements puissent du moins minimaliser la menace d’attaques terroristes, ils doivent bénéficier d’un soutien de l’ensemble de la société, des compétences nécessaires, d’un budget satisfaisant, d’experts qualifiés et d’un équipement technique moderne. Mais force est de constater, aussi bizarre que cela puisse paraître, qu’ils ont également besoin d’un brin de chance. »

Les journaux de cette fin de semaine se penchent pour la plupart sur la riposte entamée par la France et sur la perspective d’un futur engagement international. Voici un extrait de l’éditorial publié sous le titre « La coalition contre le Mal » dans l’édition de ce jeudi du journal Mladá fronta Dnes et dans lequel Ladislav Kryzánek écrit :

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« Avec le massacre survenu à Paris, l’organisation de l’Etat islamique a esquissé ses ambitions globales qui dépassent la région de l’Irak et de la Syrie. La riposte doit être aussi globale. Les forces de l’Occident se mobilisent, pendant qu’une vaste coalition anti-terroriste commence à se dessiner. L’Occident a maintenant compris que la menace des fanatiques islamistes était très grave et qu’il devait unir ses forces afin de mener une opération militaire déterminée. La question de savoir quelle sera la forme que prendra cette coalition demeure ouverte. Il va de soi que c’est à la France que revient la principale initiative dans ces efforts. »

L’ensemble des journaux locaux ont observé que le contexte international a également marqué les célébrations qui ont eu lieu dans le pays à l’occasion de la fête nationale du 17 novembre, qui est inscrit dans le calendrier comme le Jour de lutte pour la liberté et la démocratie. La présence du président de la République, Miloš Zeman, à une manifestation islamophobe, qui s’est tenue dans la rue Albertov à Prague, l’endroit à partir duquel un rassemblement estudiantin avait donné le feu vert au renversement du régime communiste, voici 26 ans, a notamment largement été commentée. Dans un texte mis en ligne sur le site ihned.cz, Jindřich Šídlo constate pour sa part que le 17 novembre a offert l’occasion au Premier ministre, Bohuslav Sobotka, de prononcer le meilleur discours de sa carrière politique :

« Le 17 novembre, Sobotka a réussi à abandonner son rôle de simple chef de parti, soumis au dictat des intentions de vote, pour se présenter comme un homme politique européen responsable qui, tout en prenant compte de la dimension sécuritaire de la crise migratoire, ne prend pas une attitude naïve, apeurée ou populiste. Selon lui, en effet, la peur des terroristes ne doit pas se retourner contre les réfugiés. »

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Analysant les différents points du discours que le chef du gouvernement tchèque a prononcé à l’occasion des commémorations des victimes étudiantes des nazis en 1939, Jindřich Šídlo cite un passage du discours qui est pour lui, vue l’ambiance du moment, particulièrement fort :

« On ne doit pas se faire manipuler. Bien que les récentes attaques terroristes à Paris se soient déroulées au moment de la crise migratoire, il faut se rendre compte que les tueries ont été commises par des radicaux islamistes bien organisés. Notre colère doit donc se retourner contre ces derniers et non point contre les réfugiés, chassés de leurs foyers par des violences religieuses ou ethniques, des violences dont sont responsables les mêmes assassins fanatiques ».