Les denrées alimentaires de plus en plus chères en République tchèque
Alors que la guerre entre l’Ukraine et la Russie ainsi que l’arrivée en masse de réfugiés en République tchèque font la une des médias, certains s’inquiètent également des répercussions directes de cette crise sur la population tchèque. Dans un précédent article, nous vous avions parlé de la flambée des prix du carburant ; désormais, nous aimerions revenir sur la hausse des prix des denrées alimentaires.
En janvier 2022, l’inflation – qui, rappelons-le, entraîne une hausse des prix et une dépréciation de la monnaie – était en République tchèque à la hausse avec 9,9 %. Ce mois-ci, elle a battu des records en atteignant 11,1 %, à savoir son niveau le plus élevé depuis juin 1998, où elle était montée à 12 %.
Cette augmentation s’inscrit dans une évolution assez linéaire tout au long de l’année 2021, puisque les prix des denrées alimentaires n’ont cessé d’augmenter. Comparé à février 2021, les Tchèques paient ainsi 30 % de plus pour le beurre, 25 % de plus pour la farine et le sucre, 8,8 % pour les produits laitiers et les œufs, 8 % de plus pour les légumes et 7 % de plus pour les boissons non alcoolisées. Une hausse des prix qui se fait également ressentir dans les restaurants et dans les cafés tchèques, où les prix sont 14,1 % plus élevés qu’il y a un an.
Selon les économistes tchèques, ce phénomène n’est néanmoins pas prêt de s’arrêter. L’économiste Lukáš Kovanda nous en dit plus :
« L’inflation de février [11,1 %, ndlr] ne prend pas encore en compte la guerre en Ukraine et ses effets inflationnistes, car l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes n’a eu lieu qu’à la fin du mois de février, de sorte que l’impact inflationniste de la guerre et des sanctions connexes ne se fera sentir en République tchèque que dans les mois suivants. L’inflation pourrait atteindre jusqu’à 15 %. Cela dépend toutefois de l’évolution de la guerre et de la sévérité des sanctions et des représailles russes. »
Si le conflit russo-ukrainien influe autant sur les marchés européens et tchèques, mais également mondiaux, c’est que la Russie comme l’Ukraine sont des exportateurs de produits alimentaires et de produits agricoles de taille. Parmi les produits que les deux pays exportent le plus figure le blé – à elles seules, ils exportent 29 % de toutes les exportations mondiales –, mais il y a aussi les huiles (notamment celle de tournesol), ainsi que les grains (comme le maïs ou le soja). Les prix de ces produits ont grimpé ces derniers jours, le blé atteignant même 11 580 couronnes par tonne à la bourse de Paris, ce qui constitue un record puisque le prix moyen du blé ces vingt dernières années était de 4 603 couronnes.
Certains commentateurs tchèques appellent néanmoins à nuancer l’impact de la crise, car la guerre pourrait aussi être une « opportunité » pour l’économie tchèque, le pays étant l’un des plus grands exportateurs européens dans certains domaines agricoles. Au micro de la Radio tchèque, le journaliste Petr Holub explique :
« Les entreprises locales ont exporté plus de quatre millions de tonnes de céréales et de produits céréaliers l’année dernière, dont plus de deux millions de tonnes de blé et un demi-million de tonnes d’orge et de maïs. Les importations ne représentent qu’un cinquième de ces chiffres. L’excédent du commerce extérieur de la République tchèque n’est que légèrement inférieur pour le lait, et il en va de même pour l’huile de colza et de tournesol. »
« Bien entendu, cela ne signifie pas que les prix des denrées alimentaires vont cesser d’augmenter. Toutefois, la République tchèque n’est pas dans la position de l’Egypte, qui aura du mal à remplacer les céréales ukrainiennes ou russes. Nous sommes plus proches de la position de l’Arabie saoudite, qui n’est pas vraiment gênée par la crise actuelle des prix parce qu’il est logiquement intéressant de vendre le pétrole deux fois plus cher qu’il y a quelques mois. De même, le commerce extérieur national améliorera son bilan alimentaire. »
« On ne peut ignorer que les guerres et autres crises ont des effets paradoxaux. L’offre de certains produits de base, comme le pétrole ou le blé, est réduite, les prix augmentent et les producteurs ou les négociants en profitent. La République tchèque peut profiter de la hausse des prix du blé ou du lait. Si au moins une partie de l’économie nationale gagne de l’argent, alors cela aide l’économie nationale dans son ensemble. »
A cette analyse, certains répliquent néanmoins que les agriculteurs tchèques sont très dépendants des engrais venant d’Ukraine et de Russie. En effet, la Russie produit la majorité du chlorure et du carbonate de potassium ainsi que des phosphates qui composent les engrais, et elle a cessé l’exportation de ces engrais en réaction aux sanctions de l’OTAN. Selon des informations de la BBC, plus de la moitié de la population mondiale est nourrie grâce aux engrais. Pour la Radio tchèque et après une rencontre avec des agriculteurs de la région de Hradec Králové, le journaliste Václav Plecháček évoque cette augmentation des prix de l’engrais :
« Certains prix sont jusqu’à trois fois plus élevés qu’il y a quelques mois. C’est le cas, par exemple, du salpêtre, recommandé avant tout pour la fertilisation régénérative des hivers, pour la fertilisation des céréales, du trèfle, de la betterave sucrière, de la betterave fourragère, du pavot ou du maïs. La forte hausse des prix est survenue l’année dernière : le salpêtre d’ammonium a longtemps été acheté pour environ 4 500 couronnes la tonne et il coûte maintenant autour de 15 000 couronnes ! Les engrais azotés en général peuvent être déficients. Selon les agriculteurs, si les engrais ne sont pas fournis aux plantes au printemps, cela peut affecter fondamentalement les rendements et, en fin de compte, les prix des denrées alimentaires. »
Martin Křižák, propriétaire d’une boulangerie près de Brno, témoigne des difficultés qu’il rencontre suite à la hausse des prix :
« Selon mes calculs, le prix de la farine a augmenté de 30 %, le prix de l’essence de 50 % et le prix du gaz de 300 %, voire plus. Compte tenu de l’incertitude existante, et comme nous avons accumulé des pertes, nous estimons devoir augmenter le prix du pain entre 25 % et 30 %. »
Le président de la Chambre du commerce tchèque, Vladimír Dlouhý, a lui aussi fait part de ses inquiétudes : « Je crains que l’impact actuel de la crise ukrainienne sur l’économie ne soit bien plus important que ce dont nous parlons depuis deux ans, à savoir le Covid-19. »
Rappelons néanmoins que la République tchèque est loin d’être le pays le plus touché par la hausse des prix, et que la crise que nous connaissons actuellement pourrait aboutir, dans d’autres régions du monde, aux épisodes de famine les plus importants de notre époque. Parmi les pays les plus durement touchés figure le Yémen, qui avait déjà beaucoup souffert de l’inflation liée à la pandémie et où des millions de personnes sont déjà au bord de la famine à cause de la crise russo-ukrainienne. David Beasley, chef du Programme alimentaire mondial, parle de la situation au Yémen :
« Juste au moment où vous pensez que cela ne peut pas empirer, le monde se réveille avec un conflit en Ukraine qui est susceptible de provoquer une détérioration économique dans le monde, en particulier pour des pays comme le Yémen, qui dépendent des importations de blé d’Ukraine et de Russie. Les prix vont augmenter, aggravant une situation déjà terrible. »
Pour supporter les populations du Yémen touchées par la famine, il est possible de faire des dons à l’UNICEF de République tchèque ou bien à Lékaři bez hranic, la branche tchèque de Médecins sans frontières.
L’Egypte (qui importe 86 % de son blé d’Ukraine et de Russie), le Liban (50 %), la Syrie et la Tunisie pourraient également être très affectés par la guerre qui sévit entre la Russie et l’Ukraine. L’économiste tchèque Lukáš Kovanda évoque même la possibilité d’un second printemps arabe si les dirigeants égyptiens cherchaient à mettre fin aux subventions sur les denrées alimentaires de base, comme le pain, ce qui pourrait être nécessaire car la crise russo-ukrainienne est un nouveau choc pour le trésor égyptien, qui avait déjà souffert de la pandémie de Covid-19 :
« L’Egypte, le pays arabe le plus peuplé, a déjà du mal à subventionner le pain auquel sa population est habituée depuis quarante ans. Si le gouvernement égyptien devait augmenter le prix du pain subventionné après si longtemps, cela scandaliserait les 70 millions d’Egyptiens qui bénéficient de ces subventions. Si les Egyptiens mécontents descendent dans les rues à cause du prix des denrées alimentaires, un nouveau printemps arabe risquerait d’éclater. Au début de la décennie passée, les prix élevés des denrées alimentaires avaient été l’une des raisons principales du déclenchement des émeutes dans le monde arabe. »