Moravie : reconstitution de la figure d’un chaman de l’époque des chasseurs de mammouths

La reconstitution de la figure d’un chaman de l’époque des chasseurs de mammouths

Jusqu’en février prochain, le pavillon Anthropos du Musée morave de Brno propose une exposition intitulée « Les plus anciens bijoux et ornements corporels ». Dans son cadre sont exposés l’extraordinaire Vénus de Věstonice, une statuette paléolithique rarement montrée au public, mais aussi la figure reconstituée d’un chaman d’il y a plus de 23 000 ans et dont la sépulture a été découverte à la fin du XIXe siècle.

Vénus de Věstonice | Photo: Kristýna Maková,  Radio Prague Int.

On ne le répétera jamais assez : la République tchèque en général, et la Moravie en particulier, recèle de trésors archéologiques uniques en Europe. Il n’est donc guère étonnant que ce soit à Brno, la principale métropole morave, que se trouve un pavillon muséographique entièrement dédié au patrimoine préhistorique de la région.

C’est là qu’est actuellement exposée la délicate statuette en argile mise au jour à Věstonice en 1925. Haute de 11 centimètres et vieille de 25 000 à 29 000 ans, cette petite Vénus n’est que rarement montrée au public et son transport fait toujours l’objet d’une garde policière rapprochée digne d’un chef d’Etat.

Vénus de Věstonice au Musée régional Morave | Photo: Jan Cága,  Musée régional Morave

Ce n’est pas le seul vestige de l’époque du gravettien morave (entre 31 000 et 23 000 ans avant le présent) mis en valeur dans l’exposition du pavillon Anthropos consacrée aux plus anciens bijoux et ornements corporels. On peut y voir également la reconstitution d’un chaman datant de cette époque ancienne dont la dépouille a été retrouvée en 1891 lors de travaux de canalisation, et une marionnette amovible en os de mammouth découverte à ses côtés qui a pu servir lors de rituels chamaniques. Des disques en pierre polie, incisés ou perforés, accompagnaient la sépulture de Brno. Ils étaient cousus sur les tuniques chamaniques, afin de rejeter les forces maléfiques lors des cérémonies.

L’exposition 'Les plus anciens bijoux et ornements corporels' | Photo: Jan Cága,  Musée régional Morave

Les objets retrouvés dans la sépulture ne sont pas sans rappeler ceux utilisés – jusqu’à aujourd’hui – par les chamanes de Sibérie. Martin Oliva est archéologue et préhistorien, spécialiste du Paléolithique. Il a consacré une partie de sa carrière à ce chaman de Brno :

« L’étonnante quantité d’analogies avec les chamans de Sibérie permet en effet de dire que oui, ils devaient avoir des croyances animistes très similaires. Donc cette découverte est unique en son genre dans ce qu’elle nous permet d’entrevoir le monde spirituel des chasseurs de mammouths. »

Ce chaman à la stature plutôt imposante - 1,80 mètres - a donc vécu à l’époque des chasseurs de mammouths et a été inhumé à l’emplacement de l’actuelle rue de France à Brno. Il a vraisemblablement souffert de graves douleurs chroniques tout au long de sa vie. C’est en tout cas ce que montrent des recherches anthropologiques effectuées sur des restes d’ossements affectés par une inflammation à long terme. Cette maladie était probablement d’origine infectieuse ou métabolique et les chercheurs supposent que c’est peut-être aussi cette expérience intime de la douleur qui a ouvert à cet homme la voie des rituels chamaniques.

La reconstitution de la figure d’un chaman de l’époque des chasseurs de mammouths | Photo: Jan Cága,  Musée régional Morave

Un chaman à la peau sombre

Pied de nez jouissif à tous ceux qui ne jurent que par l’idée d’une Europe blanche, et qui ne connaissent en général rien ni à la génétique, ni aux principes qui président à la pigmentation de la peau, toutes les recherches scientifiques récentes montrent que pendant longtemps, très longtemps même, les populations préhistoriques qui ont sillonné et habité l’Europe avaient la peau sombre, et que la dépigmentation de nos ancêtres européens est en réalité très récente à l’échelle de l’évolution humaine (il y a 8 000 ans, pour la date minimale).

Ainsi, la femme de Zlatý Kůň (Bohême) datée d’il y a plus de 45 000 ans avait la peau brune, tout comme l’homme de Cheddar (Angleterre) il y a 10 000 ans, et il en allait vraisemblablement de même pour le chaman de Brno il y a 23 600 ans (selon la datation au carbone 14 d’un laboratoire d’Oxford). C’est d’ailleurs ainsi que son apparence a été reconstituée par les anthropologues, comme le détaille l’une d’entre eux, Eva Vaničková :

Eva Vaníčková | Photo: Martin Kozlovský,  ČRo Brno

« Je suis partie des informations à notre disposition aujourd’hui, et non pas de celles que potentiellement, j’aurai dans cinq ou dix ans. Et en effet, la plupart des études actuelles montrent que ces populations devaient avoir la peau sombre. Avec cette reconstitution, nous essayons d’incarner le fait qu’avec un seul coup d’œil, vous pouvez voir et découvrir sur pied les analyses anthropologiques effectuées par de nombreux chercheurs. Via cette représentation ultra-réaliste, nous essayons de rendre cette histoire ancienne plus proche de nous. »

La sépulture du chaman de Brno fait partie des plus grandes découvertes archéologiques réalisées sur le territoire tchèque. Elle rappelle, tout comme la Vénus de Věstonice, l’extraordinaire richesse du patrimoine de la civilisation gravettienne morave constituée de populations prédatrices et, malgré l’absence d’agriculture évidemment bien plus tardive, sédentaires.

http://www.mzm.cz/en/anthropos-pavilion

La reconstitution de la figure d’un chaman de l’époque des chasseurs de mammouths | Photo: Jan Cága,  Musée régional Morave
Auteur: Anna Kubišta
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