Les meilleurs romans tchèques de 2019
Six ouvrages ont été nominés pour le prestigieux prix Magnesia Litera dans la catégorie de la prose. Voici les six auteurs qui sont considérés par les jurés du prix comme la fine fleur de la scène littéraire tchèque actuelle et les six livres parmi lesquels sera choisi le meilleur roman de l’année 2019.
Un pont entre le début de la civilisation et le monde contemporain
Un vieux mythe est à l’origine du roman que son auteur a intitulé Projekt Gilgameš (Le projet Gilgamesh). C’est le premier roman de Štěpán Kučera, qui a déjà signé deux recueils de contes. Štěpán Kučera s’est inspiré de l’Epopée de Gilgamesh, une des œuvres littéraires les plus anciennes du monde, qui raconte les aventures du roi Gilgamesh, héros mythique et divinité de la Mésopotamie ancienne. Cette figure légendaire a permis à l’auteur de jeter un pont entre le monde contemporain et le début de la civilisation humaine. Dans le roman, la légende de Gilgamesh, prolongée jusqu’à notre temps, est racontée et interprétée par un ordinateur super-intelligent. L’auteur s’explique :« Je cherchais un thème contemporain qui soulèverait des questions semblables à celles que pose l'Epopée de Gilgamesh. Qu'est-ce que l'Homme? Quel est son commencement et quelle est sa fin? Quel est le sens de la vie humaine? Et aussi la question de l'immortalité. La super-intelligence ou l'intelligence artificielle comporte, elle aussi, quelque chose d'un mythe ancien, c'est un peu le mythe d'un Sauveur qui viendra nous sauver ou entraînera notre perte. A travers ce thème et ce livre, je voulais me poser la question de nos origines, d’où nous allons et de savoir si nous nous plairons dans le futur qui nous attend. »
Apôtre du changement climatique
Parmi les grands thèmes qui résonnent aussi dans les livres nominés pour le prix Magnesia Litera figure le souci de protéger notre planète dévastée par les activités humaines trop intensives. Le thème environnementaliste surgit non seulement dans le livre de Štěpán Kučera mais aussi dans le roman Logoz de David Zábranský. Enfant terrible de la littérature tchèque, David Zábranský règle dans ce roman ses comptes avec le monde actuel, les élites, le politiquement correct et le multiculturalisme. L’auteur, qui se considère comme « un conservateur révolutionnaire », se pose en apôtre de la protection de l’environnement et donne à son engagement un caractère presque sacré :« Je me suis lancé dans cette vague qui semble s'amplifier de plus en plus, Dieu merci. Le changement climatique global. J'ai commencé à y croire vraiment en mai 2018 lorsque je me suis rendu en Chine. Lors de cette visite qui a été pour moi un martyre, je me suis rendu compte que notre planète subissait un changement. Je me suis donc mis à y croire. Je dis partout que c'est une question de croyance parce que personne parmi nous n'a accès aux faits vérifiables et nous sommes donc obligés de nous appuyer sur les impressions et la croyance. »Qu’adviendrait-il si les élites qui ne supportent pas les populistes et leurs électeurs primitifs, quittaient l’Europe ? Robert Holm, héros du roman, décide après une visite à Shanghai, de changer le monde. A l’aide des réseaux sociaux, il réussit à déclencher de nouvelles Grandes invasions comme aux IIIe et IVe siècles. La société se divise, le climat s’améliore et le nouveau Berlin, ville des élites, prospère au milieu du désert syrien. L’auteur cite alors la célèbre sentence tirée du roman Le Guépard de Giuseppe Tomasi di Lampedusa :
« C'est une phrase qui correspond absolument à notre situation : ‘Beaucoup de choses doivent changer pour que tout puisse rester pareil’. Cela correspond absolument au changement climatique. Nous avons besoin d'une révolution pour pouvoir rester dans l'état dans lequel nous sommes maintenant. »
Un homme et une femme sur le fond d’un paysage dévasté
Un paysage dévasté par une exploitation industrielle débridée et le départ de ses habitants d’origine est le décor du livre que son auteure Veronika Bendová a intitulé Vytěženej kraj (Un pays épuisé). Avec en toile de fond la Bohême du Nord, une région doublement éprouvée par l’industrialisation sauvage et l’expulsion des Allemands des Sudètes, elle raconte l’histoire d’un homme et d’une femme qui procèdent à des repérages pour un film dont les auteurs se délectent à porter à l’écran les ravages et la désolation de cette région. Cet homme et cette femme qui ne sont aujourd’hui que des collaborateurs, ont jadis vécu ensemble et se sont aimés. Malgré leur séparation pour des raisons multiples, il s’avère qu’ils ne sont pas et ne peuvent pas rester tout à fait indifférents l’un à l’autre.Autour d’un étang
L’auteur Michal Vrba (1976) a contribué à cette sélection des meilleurs livres tchèques de l’année avec un recueil de contes intitulé Kolem Jakuba (Autour de Jakub). Jakub est un étang qui sert d’arrière-plan à quelques-uns de ces contes qui racontent le thème éternel du conflit entre l’homme pris dans les rouages de la grande Histoire. Il s’agit entre autres des victimes innocentes d’une guerre historique, mais aussi d’un paysan menacé par la présence de l’Armée rouge ou encore du sort d’un ancien dirigeant politique qui ne parvient pas à échapper à la justice révolutionnaire.Les possibilités du roman d’amour
L’écrivain Jan Němec n’est pas un novice parmi les auteurs nominés pour le prix Magnesia litera. Il a déjà remporté un grand succès avec le roman Historie světla (L’Histoire de la lumière) sur la vie du photographe František Drtikol, que nous avons présenté dans cette rubrique. Cette fois, Jan Němec récidive avec un livre psychologique et intime dans lequel il exploite des éléments de sa propre biographie. Il l’a intitulé Možnosti milostného románu (Les possibilités du roman d’amour) :« Je rechigne un peu quand on parle de ‘roman autobiographique’, et ce même si j'emploie parfois, moi aussi, ce mot pour simplifier les choses. Je n'ai pas encore dépassé la quarantaine et je n'ai pas écrit mes Mémoires, il faut le dire. Oui, je traite dans ce livre de certains thèmes autobiographiques, mais si ce roman parvient à une certaine unité, ce n'est pas l’unité de la narration biographique mais l’unité thématique. Ce roman scrute une certaine matière thématique. »
Dans ce roman d’un style très inventif et diversifié, Jan Němec raconte les péripéties d’une relation amoureuse qui a duré six ans. Il s’interroge obstinément et douloureusement sur les raisons de la fin de cette relation. Cette quête acharnée de la réalité de l’amour dans laquelle chaque péripétie de la liaison est observée, analysée et placée dans différents contextes, pousse finalement l’auteur, pour lequel la sincérité est essentielle, à se découvrir et à laisser le lecteur entrer profondément dans son intimité :
« Quand on écrit sur soi-même, quand on prend sa propre personne comme thème principal, vous n’avez aucune certitude sur comment le texte sera lu et interprété. Une possibilité: l'auteur est narcissique et le lecteur un voyeur. Mais on peut l'interpréter aussi comme une narration psychanalytique, on peut se dire que l'introspection est une partie importante de notre vie spirituelle. Ce qui est très important, c'est que c’est le lecteur qui décide de lire ce livre. Que cherche-t-il dans la littérature, qu'attend-il de la vie, qu'attend-il du roman ? Chaque roman est une rencontre entre un livre et son lecteur, et c'est dans cette rencontre que le roman s'accomplit. Mais je pense que dans le cas de ce livre, l'éventail des réactions possibles est plus large que dans le cas d'une fiction classique. »C’était notre courte présentation de six livres nominés pour le prix Magnesia Litera dans la catégorie de la prose. Les prix dans toutes les catégories seront remis solennellement aux lauréats, si l’épidémie de coronavirus le permet, le 4 avril prochain.