Présidentielle 2013 : les Tchèques penchent du côté des candidatures atypiques et indépendantes
Retour, dans la rubrique Panorama, sur l’élection présidentielle tchèque. Lukáš Macek est politologue et directeur du 1er cycle est-européen de Sciences Po à Dijon. Il fait le point de la campagne des neuf candidats à la succession de Václav Klaus au Château de Prague et s’explique sur les tendances et préférences qui se dégagent des récentes enquêtes d’opinion.
« Je suis assez partagé. Je vois les raisons pour et les raisons contre. Fondamentalement, ce qui me gêne, ce sont les modalités de cette réforme constitutionnelle qui, finalement, n’a fait que changer le mode de désignation du président de la République, sans qu’il y ait le moindre changement concernant le rôle du chef de l’Etat et ses compétences. Je trouve que la loi d’application qui définit les modalités précises de cette élection est très critiquable. »
Avez-vous suivi, depuis la France, la campagne présidentielle des neufs candidats ? Comment l’avez-vous trouvée ?
« Globalement, ce n’est pas une campagne intéressante, à vrai dire. Il existe un problème de base : comme, en modifiant le mode de scrutin, on n’a pas touché aux compétences du président, finalement c’est une sorte d’élection où il est difficile pour les candidats de faire des propositions et de rester sérieux. Vu le peu de poids du président dans le système politique tchèque, les candidats en sont réduits à faire des déclarations très générales qui apportent peu de nouveau. En même temps, ce n’est pas tellement leur faute. Un candidat ne peut pas vraiment s’engager sur un programme politique, ce n’est pas un chef de majorité, il ne dispose pas de l’essentiel du pouvoir exécutif. »
Il existe neufs candidats officiels à la magistrature suprême. Rappelons que plusieurs autres candidats ont été disqualifiés par le ministère de l'Intérieur en raison d'irrégularités dans les 50 000 signatures de citoyens recueillies pour sa candidature. La plainte portée contre cette décision par le sénateur et un de ces candidats rejetés Tomio Okamura a même risqué de retarder le scrutin. Parmi ces neufs candidats, on trouve deux anciens Premiers ministres du pays, l’actuel chef de la diplomatie tchèque, une eurodéputée, une ancienne eurodéputée… un artiste entièrement tatoué… Est-ce que ce choix de personnalités vous satisfait ? N’est-ce pas une occasion manquée pour d’autres personnalités, peut-être plus intéressantes, qui auraient pu se présenter ?« Sans doute. Chacun a ses favoris et chacun pourrait imaginer d’autres candidats. Ce que je remarque, c’est qu’il n’est pas facile de donner une liste de ceux qui ne se sont pas présentés même s’ils auraient pu le faire. Il est assez préoccupant de voir que pendant vingt ans de vie démocratique, les élites politiques ont généré assez peu, voire pas du tout, de personnalités qui dépasseraient les clivages habituels, qui auraient une stature d’homme ou de femme d’Etat incontesté, une aura qui en ferait des candidats naturels à la présidence. Il y a des candidats qui sont des gens bien et tout à fait honorables, mais je ressens tout de même un déficit de personnalités un peu exceptionnelles, qui seraient au-delà du quotidien de la politique partisane. »
Pensez-vous à quelqu’un de concret ?
« Non, justement. Prenons l’exemple des principaux partis politiques : les candidats qu’ils mettent en avant, que ce soit Monsieur Sobotka ou Monsieur Dienstbier, ce sont des personnalités peu visibles et peu connues qui n’ont pas forcément joué le rôle de premier plan par le passé. Les deux anciens Premiers ministres, eux, se retrouvent soit candidats indépendants, soit candidats de petites formations politique extra-parlementaires. Je trouve que cela en dit long sur la qualité des partis politiques tchèques. Du coup, on cherche un peu dehors. Là, dans le milieu académique ou d’action publique, pas forcément politique, on trouverait sans doute des personnalités intéressantes faut que, faute de soutien politique, ces gens n’ont pas forcément de grandes chances. Finalement, il y en a peu qui ont sauté le pas et qui se sont lancées. »
Est-ce que, selon vous, la victoire se jouera entre les deux principaux candidats qui arrivent en tête des sondages, à savoir les anciens Premiers ministres Jan Fischer et Miloš Zeman ? Il existe, d’après les récents sondages, plus de 12% d’électeurs encore indécis… Vont-ils plutôt soutenir Fischer ou Zeman ou peuvent-ils pencher du côté d’un autre candidat, jusqu’à présent invraisemblable ?
« Les résultats des sondages sont clairs depuis longtemps, même si la première et la seconde place sont, semble-t-il, en train de changer. Cependant, nous avons vu dans le monde et en République tchèque aussi, des sondages qui se sont trompés. Il est vrai que c’est une élection nouvelle, donc il est difficile de prévoir le comportement électoral. Beaucoup de choses tendent à montrer que ce sera un comportement spécifique. On le voit bien sur le fait que le poids du parti politique a l’air très faible, alors que dans les élections législatives par exemple, les grands partis politiques arrivent à s’imposer sans trop de difficultés. Là, on voit qu’il y a une demande pour des candidatures atypiques ou indépendantes. Donc je n’exclus par des surprises, mais il est vrai que si les sondages sont bien faits, ce sont Jan Fischer et Miloš Zeman qui sont clairement des favoris. »Deux candidats de la gauche, Miloš Zeman et Jiří Dienstbier, de même que Jana Bobošíková, ont demandé le soutien du Parti communiste, alors que Jiří Dienstbier est issu du milieu dissident… Cela vous a-t-il surpris ? Cela vous décourage-t-il en tant qu’électeur ?
« Personnellement, je ne suis pas enchanté de voir cela. Mais c’est leur droit et c’est une tactique politique tout à fait compréhensible. Est-elle payante ? Je n’en suis pas certain. Pour passer le cap du premier tour, ça peut effectivement leur servir. Cela peut toutefois se retourner contre eux au second tour. Comme toujours dans une élection à deux tous, dans le premier, on vote pour celui de qui on se sent le plus proche, au second, on vote contre quelqu’un, en choisissant le moindre mal. En République tchèque, le statut du Parti communiste continue à être particulier, il reste à la marge et suscite une attitude hostile de beaucoup d’électeurs. Donc aller trop loin dans la recherche du soutien de ce parti peut devenir contreproductif pas forcément au premier, mais au second tour. »