La région de Broumov ou la mémoire du coeur
Visite aujourd'hui de la région de Broumov, vue à travers l'objectif de la photographe Hana Jakrlova qui expose ses photos de cette région des Sudètes qu'elle a parcourue.
Les Sudètes, mémoire blessée et toujours à vif, de la République tchèque. Celle de l'expulsion forcée de la forte minorité allemande, implantée dans ces régions frontalières du pays. Dans ces zones littéralement vidées de leurs habitants, une micro-région autour de la ville de Broumov, située au nord-est du pays. C'est là que Hana Jakrlova se rend régulièrement, depuis maintenant près de sept ans. Et de ces visites épisodiques sont nées des photos noir et blanc, aujourd'hui exposées au Goethe Institut de Prague. Cette jeune photographe qui publie ses clichés dans la presse tchèque, mais aussi internationale comme Libération, le National Geographic ou Der Spiegel, est tombée sous le charme de cette région. Un lien familial l'y relie d'abord, car sa tante et son oncle y possédaient une maison, « héritée » suite à l'expulsion des Allemands :
« Cette région est en fait intéressante parce qu'il s'agit un peu d'un voyage dans le passé : là-bas, il y a encore des choses qui ailleurs en Europe ont été depuis longtemps réglées. La Seconde Guerre mondiale fait partie de l'Histoire. Mais dans la région de Broumov, dans la psychologie des habitants, c'est encore quelque chose de vivant et il est très difficile d'y porter quelque jugement que ce soit. »
Hana Jakrlova rappelle qu'un photographe est toujours en alerte visuelle, il regarde ce qui l'entoure, et selon les situations, sort son appareil ou pas. Pourquoi a-t-elle donc voulu capturer la région de Broumov ?
« La région m'a touchée par sa nostalgie, sa mélancolie, cette espèce de tristesse et de sentiment d'inachevé. Tout y est un peu entre les lignes. C'est dur d'expliquer. Bien sûr, c'est aussi lié au fait que tout y semble dans un moment de transition. La situation est nettement meilleure depuis quelques années, mais fin des années 1990, c'était une terre qui portait encore les séquelles de la guerre. C'est une région qui est diverse à tous les niveaux : une histoire qui peut s'interpréter différemment, des personnes que l'on peut juger ou avec lesquels on peu sympathiser. C'est un monde rempli de points d'interrogation. »
Les photos de Hana Jakrlova reflètent cette situation transitoire. Une chose frappe immédiatement en les observant : les hommes sont souvent absents des photos qui représentent des bâtiments ou des paysages. Et pourtant c'est une absence presque bruyante. Et inversement. Un peu comme si à travers ces photos l'on pouvait palper cet entre-deux de la région : comme si les habitants originels y étaient encore, à l'arrière plan, comme si les nouveaux habitants n'y appartenaient pas tout à fait, comme s'ils étaient absents à eux-mêmes.
« En effet, il y a très peu de présence humaine, mais il y a ce souvenir de ce qui fut ou de ce qui aurait pu être, et si le spectateur le ressent ainsi, c'est vraiment l'idéal, même si consciemment, je ne l'ai peut-être pas vu ainsi. Par exemple, en regardant ces deux photos mises en parallèle : j'ai phographié deux arbres, et en dessous il y a une photo avec le médaillon d'une photo sur une tombe, probablement au tournant du XIXè siècle. La présence humaine n'y est pas en tant que telle, ce n'est qu'un médaillon, et d'un autre côté, ces arbres ont dû être plantés par quelqu'un, très certainement avant la Seconde Guerre mondiale. C'est ainsi : cette région, qui était leur foyer, abrite les ombres de ces gens. »