"Le Bourgeois Gentilhomme" au Théâtre des Etats à Prague : comme si le Roi était dans la salle
"Coudre" ensemble théâtre, musique et danse - tel était un des objectifs du tandem Molière-Lully qui ont monté en 1670 à Chambord pour le Roi Soleil le spectacle intitulé Le Bourgeois Gentilhomme. Un autre objectif des deux artistes était de faire rire Louis XIV. La réussite de cette comédie-ballet a été totale. Le Roi en raffolait et l'a faite représenter six fois d'affilée. Vendredi dernier aux Théâtre des Etats à Prague l'ensemble français Le Poème Harmonique et l'orchestre tchèque Musica Florea ont ressuscité ce spectacle en remportant un succès sans doute comparable à celui de Molière et de Lully à Chambord.
L'humour de Molière, la grâce de Lully, la lumière de bougies, les costumes somptueux, la scénographie à l'italienne mais surtout les trouvailles du metteur en scène et l'art incomparable des comédiens ont hissé ce spectacle au niveau de chef d'oeuvre. Entre leurs mains l'histoire de M. Jourdain, un bourgeois drôle et entiché des fastes de la noblesse, a pris les dimensions d'une fable philosophique et le personnage principal en est sorti autant émouvant que ridicule. Le chef de l'ensemble Vincent Dumestre :
"C'est un homme qui veut changer de condition sociale, donc en cela il est critiquable. Mais il y aussi une autre facette du Bourgeois Gentilhomme, c'est que ce qu'il aspire à être, les talents qu'il aimerait avoir et les arts auxquels il essaye de s'intéresser sont beaux. Et c'est cette facette du Bourgeois Gentilhomme qu'on essaye aussi de montrer. Il n'est pas seulement drôle, il est émouvant, il est même très touchant et juste quelque part dans son discours. Quand il énonce la beauté des voyelles a, e, i, o, u et découvre la beauté des voyelles françaises, on est comme lui, on est touché par cette beauté. En plus ce côté naïf, enfantin du personnage nous fait rire."
Pour la réussite d'un tel spectacle, pour faire "dialoguer" le théâtre, la comédie et la danse, il a fallu trouver des artistes très souples et quasi universels. Benjamin Lazar, metteur en scène du spectacle, précise les objectifs des auteurs de cette production et décrit le travail qu'il a fallu accomplir :
"Tous les artistes de la troupe avaient une expérience des arts baroques, que ce soient la danse, le théâtre ou le chant. Notre travail a consisté à unifier tout cela, à ce que les danseurs s'imprègnent de l'art des chanteurs et des acteurs, les acteurs de ceux des chanteurs et des danseurs etc., qu'il y ait une sorte d'émulation et une unité qui se fasse autour d'un langage commun à ces trois arts qui est l'expression des passions, l'art de la déclamation et de la gestuelle. "
On peut entendre la musique de Lully dans tout son éclat grâce entre autres aux cordes de l'ensemble tchèque Musica Florea. Vincent Dumestre explique pourquoi il a invité les musiciens tchèques à collaborer avec le Poème harmonique.
"Je cherchais une formation pour les cordes qui soit homogène, qui connaisse bien la musique baroque, mais sur laquelle il y ait un travail à faire au niveau de la musique française, parce que ce n'est peut-être pas sa spécialité. Donc il y avait quelque chose d'intéressant à créer. Puis c'est une très bonne formation reconnue en France. J'ai rencontré les musiciens de Musica Florea à Versailles et j'ai été séduit par le brio, l'inventivité des musiciens, par leur enthousiasme pour la musique. On a donc choisi de travailler sur un projet de la musique française qui est au coeur de notre travail."
(Nous parlerons plus en détail de ce spectacle exceptionnel dans la rubrique Rencontres littéraires, samedi 8 avril. )