150 ans depuis la naissance d’Adolf Loos, architecte de l’espace et de la lumière
A Prague, il suffit de se rendre dans le quartier chic d’Ořechovka, dans le VIe arrondissement, pour découvrir une des œuvres majeures d’Adolf Loos. La Villa Müller, construite entre 1928 et 1930, est l’expression appliquée des théories fonctionnalistes et du « Raumplan » de celui qui est considéré comme un des plus grands architectes européens du XXe siècle, mais qui fut également un personnage controversé.
Fils d’un tailleur de pierre de Brno, Adolf Loos est né le 10 décembre 1870, soit il y a 150 ans, dans ce qui était à l’époque encore l’empire austro-hongrois. Au moment de la naissance de la Tchécoslovaquie, il choisit d’adopter la citoyenneté de ce nouveau pays – vraisemblablement moins par adhésion que par rejet de tout ce qui avait trait avec Vienne et ses habitants, où les controverses liées à ses travaux avaient été violentes. Cet antagonisme va de pair avec son aversion pour le style ornemental typique de la Sécession viennoise. « L’ornementation est un crime, » déclare-t-il dans une de ses nombreuses conférences volontairement provocatrices.
On lui doit le concept de « Raumplan » en architecture : l’idée est de projeter un plan en trois dimensions. Ainsi, dans la conception d’Adolf Loos, il n’y a pas de division de l’espace en étages et pièces. Celui-ci est conçu de manière à refléter les fonctions des lieux de vie et à leur interaction, donnant lieu à des intérieurs à différents niveaux qui s’entrecroisent. Les jeux d’ombre et de lumière et la sobriété des formes occupent également une place importante dans la conception de l’espace à vivre.
Maria Szadkowská est curatrice à la villa Müller, elle évoque ce qui fait, selon elle, l’originalité de la pensée d’Adolf Loos :
« Adolf Loos n’était pas seulement architecte, mais également théoricien de l’architecture, d’un mode de vie… de la vie même. Pour lui, il était fondamental que les gens comprennent sa conception de la vie moderne, une vie sans cérémoniaux inutiles et dépourvue de conventions. Il a dédié sa vie à cette idée. Pour lui, une maison devait plaire à tout le monde, au contraire d’une œuvre d’art qui pouvait ne plaire à personne. »
Dans le cas de la villa Müller à Prague, du nom d’un riche entrepreneur dans le domaine du bâtiment, la conception architecturale de l’édifice est l’illustration de la vision similaire du créateur et du commanditaire.
« Nous sommes ici dans le salon, la plus grande pièce de la villa Müller et la plus représentative aussi. Ici, on voit immédiatement l’application concrète du concept de ‘Raumplan’, c’est-à-dire du plan en trois dimensions qui a totalement abandonné le principe classique de l’étagement. Il s’articule autour d’un escalier imaginaire où différents espaces ont été aménagés sur différents niveaux, chaque espace ayant une fonction spécifique. Le salon servait de pièce de réception, de pièce pour toute la famille, mais aussi de pièce de repos – avec un petit coin auprès de la cheminée. Là, Adolf Loos a prévu différentes chaises et fauteuils pour se relaxer, selon le type de fatigue ! »
Un personnage controversé
Tout architecte qu’il était, Adolf Loos était davantage un globe-trotter qu’un sédentaire. Il a passé une bonne partie de sa vie dans les trains, dont l’Orient Express : grand voyageur, il n’a cessé de circuler entre Paris, la Grèce, l’Italie, à la recherche de son inspiration, de nouveaux matériaux et de nouvelles teintes et lumières.
Son propre appartement viennois était tout petit, composé d’un seul salon et d’une chambre à coucher luxueuse.
Comme suggéré plus haut, Adolf Loos avait vraisemblablement un caractère bien trempé : sûr de son fait et de sa modernité, il n’a pas hésité à casser les codes de l’architecture, ce qui en a choqué plus d’un dans la bonne bourgeoisie viennoise de l’époque. La fameuse Looshaus à Vienne (1910) a créé le scandale lors de sa construction : les lignes épurées, voire mornes, confèrent au bâtiment une banalité qui tranche avec le palais impérial, le Hofburg, situé juste en face.
Adolf Loos n’était cependant pas seulement un personnage controversé en raison de son œuvre. Sa vie privée laisse entrevoir une facette de sa personnalité bien plus révoltante, lui qui, en 1928, a été condamné à quatre mois de prison pour pédophilie par un tribunal de Vienne. Marié à trois reprises, souffrant de maladies chroniques, dont la syphilis, il a fini sa vie dans le dénuement et la solitude dans un sanatorium autrichien.
Des ouvrages majeurs dans l’histoire de l’architecture
Parmi ses grandes réalisations, citons le Café Museum à Vienne, la fameuse et scandaleuse Looshaus, mais aussi la maison du poète Tristan Tzara à Paris. Sur le territoire tchèque, outre la villa Müller, mentionnons encore une villa à Hrušovany, édifiée en 1914 à la demande de l’industriel Viktor Bauer, et de nombreux intérieurs de bâtiments dans la ville de Plzeň (Bohême de l’Ouest).