Les sections tchèques en France (II) : même lycée, des décennies d’écart
Deuxième épisode de notre sujet consacré aux anciens élèves des sections tchèques et tchécoslovaques en France. Lorsque plusieurs années, voire décennies, séparent les générations, certaines différences apparaissent : les lieux changent, les pratiques évoluent. Mais, et c’est plus étonnant, des constantes demeurent, et ne manquent pas de rapprocher les anciens et anciennes au sein d’une grande communauté : la famille de celles et ceux qui ont choisi de vivre trois années de leur adolescence dans un autre pays.
Les sections tchèques en France sont deux institutions centenaires (ou presque). Une longévité que l’on peut expliquer par l’attachement que portent les anciens à leurs années de lycée. Mais un regard vers les origines suffit pour se convaincre que ce programme avait une volonté politique, symbolique et stratégique forte pour les deux pays dans un contexte crucial d’entre-deux guerre. Ni les villes choisies, ni le programme n’ont été laissés au hasard.
D’une part, Dijon était une ville chère aux yeux d’Edvard Beneš, homme politique, fondateur de la Tchécoslovaquie devenu président dans l’entre-deux guerres. Saint-Germain-en-Laye a été le lieu de signature du traité ayant entériné la naissance de la Tchécoslovaquie. Enfin, Nîmes était la ville d’Ernest Denis, historien tchécophile et artisan de la création de la Tchécoslovaquie lors des négociations de ce même traité.
D’autre part, le programme servait une ambition : renforcer les liens entre la Tchécoslovaquie et la France en créant une élite tchécoslovaque francophile et maîtrisant le français. Si l’ambition initiale n’a plus vraiment de sens de nos jours, une constante n’a pas bougé d’un iota : chaque année, dix jeunes Tchèques sortent du lycée français bac en poche, maîtrisant parfaitement la langue et forts de rencontres.
Lors de la première partie de cette plongée au cœur des sections tchèques et tchécoslovaques en France, nous avons rencontré Stanislav Štech qui a fréquenté le lycée Carnot entre 1970 et 1973. Trente-six ans plus tard, Jakub Voznica arrivait à Dijon. Bien qu’ayant évolué dans les mêmes murs, il décrit une expérience naturellement différente de celle qu’a connue Stanislav Štech dans les années soixante-dix :
« Ce qui est très différent par rapport à la République tchèque c’est qu’on doit suivre les cours toute la journée. Après, on dine à la cantine, puis nous avions un temps dédié au travail, pendant lequel on ne devait pas être dans nos chambres. Un surveillant était là pour veiller à ce que tout se passe bien. Là où les anciennes générations étaient vraiment obligées à ne rien faire d’autre que travailler, nous nous pouvions profiter de ce temps pour jouer au football ou au volley. »
« Nous avions un soir par semaine, durant lequel nous pouvions sortir de l’internat. En général, c’était le vendredi soir jusqu’à vingt-trois heures. On profitait de ce moment, en été, pour aller sur la place du Président Wilson, pour jouer de la guitare et rire tous ensemble, ou alors nous allions dans un bar, juste à côté du lycée Carnot. »
Bac en poche, Jakub Voznica a intégré les établissements parmi les plus prestigieux du système universitaire français : le lycée Henry-IV en classe préparatoire, et l’Ecole Normale Supérieure de Paris-Saclay.
Aujourd’hui, il termine une thèse de doctorat en intelligence artificielle et épidémiologie moléculaire à l’Institut Pasteur :
« Le but principal c’est de développer des méthodes basées sur l’intelligence artificielle qui permettent d’estimer des paramètres épidémiologiques comme le fameux R0, le nombre de reproduction de base, la période infectieuse ou la période d’incubation de différentes maladies. Nous faisons cela à partir des données moléculaires des virus. »
Même lycée, presque vingt ans d’écart
Tereza Nováková a étudié au lycée Alphonse Daudet de Nîmes entre 2000 et 2003, alors que la République tchèque était en train d’intégrer l’Union européenne. Elle travaille aujourd’hui au Centre tchèque de Paris, mais garde de nombreux souvenirs de ses années à Nîmes :
« Le mot qui me revient c’est que nous étions une sorte de famille. Ces trois ans à Nîmes nous ont soudées avec les autres filles. J’appartiens à la dernière année qui a passé toute sa scolarité au Foyer de la jeune fille, c’était rue Fénelon. C’était à 10-15 minutes à pied du lycée, et ce foyer accueillait des jeunes filles étudiantes. Même si on n’habitait pas à l’école, on y mangeait trois fois par jour, matin, midi et même le soir on mangeait avec les élèves internes. »
Aujourd’hui, les élèves tchèques du lycée Daudet résident dans l’établissement, au tout dernier étage du bâtiment historique classé, comme le lycée Carnot de Dijon, aux monuments historiques. Mais la ville de Nîmes présente d’autres intérêts que son architecture ou son histoire romaine. D’ailleurs, il y a un événement qui plaît beaucoup aux jeunes Tchèques, autant qu’aux lycéens français sans doute :
« Il y avait aussi des moments festifs, notamment la Feria. C’était la fête dans toute la ville deux fois dans l’année, donc on profitait et c’était très amusant. Le week-end on faisait des sorties à la mer, dans toutes les villes autour de Nîmes, il y en a plein qui sont intéressantes, parfois à la montagne dans les Cévennes, on est aussi allées marcher dans les Calanques, je m’en souviens très bien. »
Même établissement, vingt ans d’écart. Natálie Dvořáková a étudié à Daudet entre 2017 et 2020. En revanche, elle imaginait sans doute passer une année de terminale autrement, dans de meilleures conditions … Malheureusement, le Covid-19 l’a contrainte à rentrer en République tchèque plus tôt que prévu.
« En mars c’était un peu un drame parce que les écoles en République tchèque ont fermé plus tôt qu’en France, et donc notre assistante tchèque a déjà communiqué avec le ministère de l’Education, elle savait qu’on devait revenir en République tchèque mais on ne savait pas encore que les écoles allaient fermer en France. Je crois que le président français a fait son discours sur la fermeture des écoles le jeudi, et donc on ne savait pas ce qu’on allait faire. Avec deux autres filles j’ai pris l’avions aux alentours du 15 mars, et depuis ce jour on a suivi les cours à distance. »
Une situation exceptionnelle puisque puis la première fois depuis 1968, les épreuves écrites du baccalauréat ont été annulées.
« En vrai c’était un peu triste de finir nos trois ans à Nîmes comme cela, mais avec la situation c’était quand même mieux pour nous de ne pas le passer. »
Natálie raconte également qu’elle et ses trois camarades de promotion ne sont revenues à Nîmes qu’en juillet, pour récupérer leurs affaires et déménager, sans au revoir en bonne et due forme. Aujourd’hui, les quatre amies sont inscrites à l’université, mais ont choisi d’emprunter des chemins très différents :
« Barbora est revenue à Brno, en République tchèque pour faire une licence de droit, Denisa est à Paris, elle étudie les langues à la Sorbonne et Tereza est en Angleterre pour des études de développement durable. »
Natálie est inscrite à l’Université Charles de Prague, mais espère pouvoir intégrer Sciences Po Paris sur le campus de … Dijon. Elle ferait alors partie des rares Tchèques ayant pu vivre dans ces deux villes hautement symboliques. Les différentes trajectoires des camarades de Natálie illustrent plutôt bien celles que suivent les anciens des sections tchèques des dernières décennies, comme le raconte Kristýna Křížová, présidente de l’Association des anciens élèves. Elle a pu faire quelques statistiques :
« En général, sur les vingt ou vingt-cinq dernières années, nous avons à peu près 40% d’élèves qui rentrent en République tchèque pour faire leurs études universitaires, 40% d’élèves qui partent ailleurs, dans un tiers pays, aux Etats-Unis ou ailleurs, dans un autre pays ou un autre continent. »
Si les destinations sont variées, les carrières le sont tout autant, et en évolution, selon la présidente :
« J’ai envie de dire que les élèves vous les trouvez aujourd’hui dans tous les domaines d’activité. Vous avez bien sûr beaucoup de professeurs de français et de traducteurs, mais aussi beaucoup de juristes qui aident des entreprises tchèques ou françaises dans leur travail, des managers, ces dernières années des jeunes s’orientent vers les sciences politiques ou l’Union européenne et également beaucoup de médecins. Dans ma génération, à Nîmes, je suis très fière d’avoir quelques amies qui travaillent dans le domaine des droits de l’Homme. »